Le succès de Hot Wheels, porté par la nostalgie

La collection de jouets Hot Wheels de Bruce Pascal, qui contient plus de 8 000 voitures.
Photo: Marvin Joseph The Washington Post La collection de jouets Hot Wheels de Bruce Pascal, qui contient plus de 8 000 voitures.

Enfant, Bruce Pascal adorait tester les limites de ses Hot Wheels. Il pouvait insérer un pétard dans l’une de ces voitures miniatures en métal et la faire exploser, ou en aplatir une à l’aide d’un marteau pour voir si elle roulerait encore.

Aujourd’hui âgé de 63 ans, il ne se permettrait plus de maltraiter ses jouets. Sa collection est si vaste qu’elle remplit littéralement un entrepôt dans la banlieue de Washington et comprend notamment le prototype « Pink Rear-Loading Beach Bomb », la Hot Wheels la plus rare jamais fabriquée.

Bien que sa flotte de 8000 voitures soit unique, Bruce Pascal fait partie d’un contingent croissant de passionnés qui alimentent la domination des Hot Wheels — le jouet le plus vendu dans le monde, selon la société d’études de marché Circana. Ces voitures sont encore principalement destinées aux enfants, mais les adultes les achètent à un rythme plus rapide, dit Roberto Stanichi, qui gère la marque Hot Wheels chez Mattel. Il estime que les collectionneurs adultes représentent environ un tiers du chiffre d’affaires global.

Les investisseurs se préparaient à une éventuelle baisse des ventes, explique Arpine Kocharyan, analyste à la banque d’investissement UBS. « Et pourtant, le marché continue de croître. »

« La capture démographique est incomparable, poursuit-elle. Vous pouvez cibler un enfant de 3 ans jusqu’à un collectionneur de 60 ans. Il s’agit presque d’un modèle de jeu universel, qui ne connaît ni les frontières ni les barrières culturelles. »

Photo: Marvin Joseph The Washington Post La collection de Bruce Pascal contient des dessins originaux et autres artefacts.

L’attrait durable de ce jouet, vieux de 56 ans, en fait une exception dans un secteur où le public se rétrécit. Bien que les enfants d’aujourd’hui délaissent les jouets traditionnels au profit des écrans, l’intérêt pour Hot Wheels n’a fait que croître. En 2023, les ventes brutes ont augmenté de 14 % par rapport à l’année précédente, pour atteindre 1,43 milliard de dollars, selon l’entreprise.

À partir de 1,25 $ l’unité, le prix est un attrait, en particulier pour les familles soucieuses de leur budget. En fait, les jouets coûtent aujourd’hui moins cher qu’en 1968, lorsqu’ils étaient vendus entre 69 et 89 cents, soit entre 6 et 8 $ d’aujourd’hui. Mais si l’entreprise peut garder les prix si bas, c’est en partie grâce au volume : Mattel fabrique — et vend — 22,5 jouets Hot Wheels par seconde, affirme M. Stanichi. Cela représente environ 709 millions de voitures par an.

Mattel, dont la capitalisation boursière s’élève à près de 6,5 milliards de dollars, est également le fabricant d’une autre marque traditionnelle : Barbie. Le lien tient pratiquement du destin : le créateur de Hot Wheels, Elliot Handler, aujourd’hui décédé, était marié à la femme qui a créé Barbie, Ruth Handler.

Hot Wheels dispose toutefois d’une plus grande marge de manœuvre pour tirer parti de son attrait transgénérationnel et l’entretenir. Bien que la culture automobile l’ait transformé en une marque « style de vie », le jouet évoque également de chaleureux sentiments de nostalgie, explique James Zahn, rédacteur en chef de la publication spécialisée The Toy Book et rédacteur principal du Toy Insider.

« Je pense que ce qui fait la spécificité de Hot Wheels, c’est qu’il s’agit d’un jouet abordable pour les enfants, avec lequel de nombreuses générations ont grandi », dit M. Zahn. Et cela se poursuit à l’âge adulte, car la marque « passe du rayon des jouets au monde réel ».

Photo: Marvin Joseph The Washington Post Bruce Pascal ouvre son musée aux visiteurs quelques fois par an.

Un véhicule pour la culture automobile

Le lien entre Hot Wheels et la culture automobile remonte à sa création, dit M. Zahn. Le jouet est apparu sur le marché à la suite d’une renaissance du « hot-rodding », une activité où les amateurs de voitures et les passionnés d’équipement se réunissaient dans des expositions et des salons pour montrer leurs véhicules, explique-t-il.

« Si vous aimez les voitures aujourd’hui, il y a de fortes chances que la première voiture que vous ayez possédée ait été une Hot Wheel », souligne M. Stanichi.

C’est ainsi que la passion de Bruce Pascal a commencé. L’enthousiasme pour les voitures était une condition sine qua non dans sa famille, explique-t-il lors d’une récente visite de son entrepôt de 4000 pi2 (372 m2) transformé en musée personnel dans la banlieue de Washington, dans le Maryland, qui abrite 10 000 voitures et pièces commémoratives. En plus des voitures, on y trouve des bandes dessinées, des œuvres d’art, des plans originaux, des moules en bois sculptés à la main et des brevets. Stationnée à l’intérieur se trouve une Ford Model T Roadster de 1913 — une vraie, de couleur lavande — et des dizaines de Hot Wheels de 1968 qu’elle a inspirées. Sa collection est estimée à plus de 2 millions de dollars.

Bruce Pascal a également interviewé près de 400 anciens employés de Mattel et a coécrit avec Michael Zarnock un livre sur l’histoire des Hot Wheels.

« J’ai grandi avec le pétrole dans le sang », dit l’agent immobilier commercial. Son grand-père supervisait l’histoire des transports aux Archives nationales et son père collectionnait les voitures anciennes. « Il est beaucoup moins cher pour moi d’acheter une Tesla X et de l’avoir sur mon bureau que d’aller acheter une vraie Tesla X et de la mettre dans mon garage. »

Les premières voitures Hot Wheels étaient des versions à l’échelle 1 : 64 de voitures sport comme la Camaro, la Firebird et la Mustang. Depuis, Mattel a sorti toutes sortes de voitures, de la Honda Civic à la Batmobile en passant par les véhicules vus dans Ghostbusters, The Simpsons et Scooby-Doo. La société a récemment annoncé un partenariat avec la Formule 1.

« Ils ont fait un travail très intelligent pour faire évoluer la marque », estime Chris Byrne, expert et consultant en jouets. « Ils sont restés fidèles à la vitesse, à la performance et à la collection et ont simplement adapté le design pour refléter davantage la culture d’aujourd’hui afin qu’elle soit toujours pertinente pour les enfants. »

Roberto Stanichi considère les adultes passionnés de voitures comme un réservoir de clients potentiels. Mattel cherche donc toutes les occasions de mettre les deux dans la même phrase : Il y a des événements comme le Hot Wheels Legends Tour et le Hot Wheels Monster Trucks Live, des jeux vidéo et des collaborations avec des marques de mode, des artistes, des athlètes et des musiciens. Un film sur les Hot Wheels est en cours de développement avec Warner Bros. et la société de production Bad Robot de J.J. Abrams.

Bruce Pascal constate que les partenariats créent « une raison pour un public adulte différent de s’enthousiasmer pour Hot Wheels ». M. Stanichi espère que le film en sera le prolongement, en exploitant la nostalgie latente et la sympathie des consommateurs à l’égard de la marque.

Photo: Marvin Joseph The Washington Post La fascination de Bruce Pascal pour les voitures Hot Wheels a débuté lorsqu’il était enfant.

La marque Hot Wheels concède également des licences d’exploitation de sa propriété intellectuelle à un large éventail de produits, notamment des jeux de société, des jeux vidéo, des vêtements et des meubles. C’est une tactique que de nombreuses marques populaires adoptent parce qu’il s’agit d’une façon facile et peu coûteuse de faire de l’argent, explique Arpine Kocharyan. Les ventes de Barbie ont augmenté de 16 % au cours du trimestre qui a suivi la sortie du film à l’été 2023.

« C’est une poule aux œufs d’or, qui va continuer à donner, dit l’analyste. Vous êtes payé pour [l’octroi d’une licence pour votre propriété intellectuelle] alors que les coûts associés sont très faibles. »

Mattel nourrit également l’appétit des collectionneurs pour les voitures neuves et exclusives. Ils peuvent adhérer au Red Line Club, qui leur donne accès à des collections spéciales. L’entreprise en lance des dizaines par an, avec environ de 10 000 à 50 000 voitures disponibles à l’achat. Elles se vendent en quelques minutes, selon M. Stanichi. Nombre d’entre elles sont remises en vente sur eBay à un prix élevé. Bruce Pascal paie 99 dollars américains pour un abonnement annuel qui lui permet d’obtenir l’envoi et la facturation automatiques d’une voiture. Il y a aussi les chasses au trésor, où les passionnés recherchent des voitures Hot Wheels avec des roues en caoutchouc qui sont placées au hasard dans les magasins à côté des voitures traditionnelles avec des roues en plastique.

Mais Bruce Pascal affirme que rien n’est comparable à la découverte d’une boîte de voitures Hot Wheels lors d’une vente de succession et au déballage d’une surprise de grande valeur à l’intérieur.

« Il est difficile de décrire ce sentiment aux non-collectionneurs », dit-il, précisant que c’est comme une libération chimique dans son corps lorsqu’il “comble un trou” dans sa collection.

Qu’il s’agisse de cartes de baseball, de pièces de monnaie ou de peluches, la collection est aussi une affaire de communauté. Il existe des groupes Facebook d’échange de Hot Wheels et des rassemblements en personne. Bruce Pascal se rend à deux congrès de collectionneurs par an, au cours desquels les passionnés apportent souvent des voitures Hot Wheels à vendre, installant ce qui ressemble à des minimarchés dans leurs chambres d’hôtel et négociant toute la nuit.

La nostalgie transgénérationnelle

Ces dernières années, la nostalgie a attiré beaucoup de monde dans l’industrie du jouet. Les consommateurs millénariaux et de la génération X, en particulier, se réintéressent aux jouets, explique le rédacteur James Zahn. « Ils veulent retrouver ces sentiments chaleureux de nostalgie qui leur rappellent des temps plus simples. »

Ils reviennent également aux Lego et aux livres de coloriage. De nombreuses marques se sont adaptées : les magasins American Girl, de Mattel, servent désormais des cocktails et vendent des marchandises et des costumes de poupées de taille adulte ; la chaîne Build-A-Bear propose une ligne « nocturne » avec des tenues osées.

Bien que cela fasse plus de vingt ans que Colby D’Anieri n’a pas fait vrombir une voiture Hot Wheels sur une piste de course, il ne peut s’empêcher de parcourir le rayon des jouets chaque fois qu’il en croise un.

« Cela me ramène à l’époque où j’étais enfant », explique cet homme de 33 ans originaire de Pennsylvanie.

Il a fini par céder il y a quelques années et a ajouté quelques Hot Wheels à son panier. Aujourd’hui, il en possède des centaines, dont une réplique de sa première voiture, une Ford Focus ZX3, sortie en 2003.

S’il s’adonne à ce passe-temps en partie parce qu’il aime étudier les détails des voitures, c’est aussi pour ses futurs enfants.

« Pouvoir les léguer à mes enfants et leur permettre de jouer avec est une idée fantastique. »

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