Le commissaire au lobbyisme souhaite plus de transparence de certains OBNL

Me Jean-François Routhier a «bon espoir» de présenter un projet de réforme lors de la session parlementaire en cours.
Photo: Archives iStock Me Jean-François Routhier a «bon espoir» de présenter un projet de réforme lors de la session parlementaire en cours.

Dans son état actuel, la Loi sur la transparence et l’éthique en matière de lobbyisme exclut plusieurs types d’organismes à but non lucratif (OBNL). Une réalité propre au Québec par rapport au reste du Canada, que dénonce le commissaire au lobbyisme, Me Jean-François Routhier. « Ce n’est pas transparent pour les citoyens », estime ce dernier.

« On n’a pas de façon, nous, de réagir lorsqu’on constate ou dénonce qu’il y a des comportements [de la part de représentants d’OBNL] qui seraient autrement non acceptés de la part de lobbyistes qui sont inscrits et qui sont visés par la loi », dit Me Routhier en entrevue au Devoir.

Cette exclusion a encore lieu d’être dans certains cas, soutient le commissaire, mais elle doit être modifiée, car elle est « trop large, elle vise trop d’organisations ». Concrètement, c’est l’exclusion des OBNL qui ne sont pas des organismes communautaires à proprement parler qui pose problème.

« On n’a jamais dit qu’on souhaitait encadrer des organismes communautaires ou des organismes citoyens, exprime Jean-François Routhier, mais on pense qu’il y a certaines strates des organismes à but non lucratif qui devraient être encadrées, notamment lorsque leur principale raison d’être, c’est de faire des représentations d’intérêts. »

Qu’est-ce que le lobbyisme ?

Les activités de lobbyisme surviennent lorsqu’une personne — un lobbyiste — communique avec des responsables d’une institution publique afin d’influencer leur prise de décisions. Ces activités d’influence peuvent par exemple survenir lorsqu’un avocat communique avec le ministère des Transports dans le but de faire modifier une loi.

En ce moment, l’exclusion de la loi qui vise les OBNL — qui est en place depuis plus de 2002 — est « très binaire », illustre Me Routhier. « On met tous les organismes à but non lucratif dans la même catégorie. Que ce soit Greenpeace, des fondations, des instituts, des think tanks ou des organismes communautaires », explique-t-il.

« Tous les jours »

La sortie du commissaire au lobbyisme survient en réaction « à l’actualité », précise le communiqué publié jeudi. « Tous les jours », Me Routhier envoie des articles qui traitent d’écarts à la loi sur la transparence du lobbyisme à ses collègues qui travaillent à la surveillance, raconte-t-il. « Il y en a là-dedans qui, oui, sont des organismes à but non lucratif et il y en a d’autres qui sont assujettis [à la loi]. Donc, sur plusieurs sujets, je réagis, parce que c’est toujours la même chose », note-t-il.

L’un de ces exemples est une récente enquête du Devoir qui a révélé que la Fondation Jasmin Roy Sophie Desmarais avait fait l’objet de favoritisme au ministère de l’Éducation.

« Ça fait sept ans que plusieurs titulaires de charges publiques me disent, en privé, [qu’]il faut encadrer les OBNL. Mais rendu en public, on n’entend pas ce discours-là, déplore le commissaire. J’ai hâte que quelqu’un dise : “Bien oui, il est temps qu’on réfléchisse, qu’on ait une réflexion honnête sur le sujet et non pas une réflexion qui est émotive.” »

« Le fait d’être assujetti au code de déontologie des lobbyistes, ça fait en sorte que, moi, j’ai l’autorité pour intervenir et dire “non, il y a des choses qui ne fonctionnent pas”. Alors que là, [dans le cas des OBNL] je n’ai pas cette autorité-là parce qu’elle m’est retirée », résume-t-il.

Pas possible, selon des OBNL

Pour Mercédez Roberge, qui représente la coalition Mon OSBL (organisme sans but lucratif) n’est pas un lobby, un regroupement de plusieurs organismes à but non lucratif qui s’oppose depuis 2014 à l’idée d’être assujetti à la loi sur le lobbyisme, celle-ci n’est en aucun cas compatible avec la réalité des OBNL.

« L’intention derrière une intervention, derrière une communication envers des titulaires de charges publiques, ça devrait faire une différence », souligne Mme Roberge.

Selon cette dernière, assujettir les OBNL va notamment « nuire au droit d’association » de ceux-ci. « Si, pour former un conseil d’administration [d’un OBNL], il faut consentir à ce que son nom soit inscrit au registre du lobbyisme, les groupes ne seront plus capables de se constituer un conseil d’administration ou d’avoir des gens pour signer des lettres, explique Mercédez Roberge. Ça, c’est un contexte totalement différent de celui des entreprises. »

Autre différence, selon Mme Roberge : « La transparence est intrinsèque aux mouvements sociaux pour l’avancement des causes », ce qui n’est pas le cas pour les entreprises à but lucratif.

Dans son projet de créer une réforme de la Loi sur la transparence et l’éthique en matière de lobbyisme, Me Routhier cherche aussi, entre autres, à faire en sorte que ce soit les entités — les entreprises et les organisations — qui soient responsables plutôt que les individus et à réduire la portée de la loi. Une modification qui ne changerait rien au problème, selon Mercédez Roberge, car « c’est quand même leurs noms qui vont se retrouver dans le registre ».

Quant à la volonté du commissaire de ne pas assujettir les « organismes communautaires qui offrent des services de soutien directs à la population », Mme Roberge soutient qu’au final, cela « n’exclut pas beaucoup de monde ».

« Un organisme communautaire ne se définit pas uniquement par son offre de services directs à la population », dit-elle. Elle donne l’exemple « d’organismes qui font des campagnes de sensibilisation pour faire augmenter le salaire minimum et qui ne rendent pas de services directs à la population. Il n’y a pas de service, de soutien précis à des personnes en particulier ».

Quant à savoir si la coalition Mon OSBL n’est pas un lobby serait prête à accepter qu’une partie des OBNL soit assujettie à la loi sur le lobbyisme, Mercédez Roberge est catégorique : la réponse est non. L’objectif de son groupe serait même plutôt de « solidifier » le règlement qui est déjà en place.

« Ce qu’on cherche, nous, c’est que la loi soit forte pour les organismes qui peuvent tirer un profit d’une intervention [de lobbyisme] et que l’esprit de la loi soit préservé. La loi n’a pas été faite pour assujettir tous les OBNL et il n’y a rien dans le contexte de 2002 ou de 2025 qui a changé ça », résume Mme Roberge.

Elle espère également faire cesser ce qu’elle décrit comme un « acharnement » de la part des commissaires au lobbyisme envers les OBNL sur la question de l’assujettissement à la loi.

Un « bon espoir » de présenter la réforme

Étant un « éternel optimiste », le commissaire Jean-François Routhier dit avoir « bon espoir » de présenter le projet de réforme de la loi lors de la session parlementaire en cours. « Je pense que ce qu’on a présenté comme réforme, autant aux oppositions qu’au gouvernement, tient la route », soutient-il, en affirmant que le projet est « prêt à être déposé, à être débattu ».

C’est d’ailleurs le « meilleur moment », alors qu’il n’y a pas de scandale, affirme le commissaire. « On a le temps de réfléchir. »

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