Comment s’établissent les priorités de déneigement à Montréal?

Le Montréalais de base aime chialer contre la température, les bouchons de circulation et le déneigement. Et, parfois, contre les trois en combinaison. À preuve : le 13 janvier, à 13 h 19, alors que la Ville de Montréal diffusait sur ses réseaux sociaux de l’information sur le deuxième chargement de neige de la saison hivernale, les commentaires négatifs ont immédiatement commencé à s’accumuler, ajoutant à la bordée de neige une tempête de critiques.
Les plus courantes portaient sur le temps pris à dégager les rues. « Il était temps, depuis une semaine », disait l’un avec un émoji de bâillement. « Enfin, je ne vous raconte pas la galère de chasse de places qu’on a faite avec mes voisins depuis plusieurs semaines », ajoutait un autre. Et ainsi de suite, jusqu’à cette évaluation globale : « Je me souviens d’un temps où l’efficacité était au rendez-vous à la Ville de Mourial ! »
François Limoges, maire de Rosemont–La Petite-Patrie, ne nie pas que le chargement de la neige puisse prendre du temps. D’autant que la situation découle d’une décision réfléchie et parfaitement assumée de le retarder au profit du déblaiement prioritaire des rues et trottoirs. « On reçoit des plaintes pour le déneigement, c’est vrai », dit l’élu responsable par intérim du service hivernal à Montréal. « Mais on n’en reçoit pas souvent pour les trottoirs mal déneigés. »
Il ajoute qu’on tient pour acquise cette préséance accordée aux trottoirs, alors qu’il s’agit d’une priorité datant d’une décennie à peine.
Pendant longtemps, les propriétaires ont déblayé eux-mêmes la neige devant leur maison. La première « moissonneuse à neige » mécanique, une invention locale, a été employée à Outremont en 1927. Et dans les décennies qui ont suivi, les rues ont souvent reçu une attention obsessionnelle de ces machines.
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« Dans Rosemont, nous avons été les premiers à dire aux travaux publics que la priorité devait être accordée aux trottoirs », dit M. Limoges, qui a été l’un des premiers élus de la formation Projet Montréal, maintenant au pouvoir dans la métropole. « Les gens des travaux publics trouvaient ça révolutionnaire. Leur priorité, c’était de déblayer les rues, puis de charger la neige le plus rapidement possible ; les trottoirs n’étaient pas du tout priorisés. Il a fallu changer les méthodes de travail des cols bleus pour y arriver. »
Le maire d’arrondissement raconte les effets immédiats du changement de priorité. En 2012, après une forte bordée de neige, il avait traversé son arrondissement en marchant sur les trottoirs, puis avait été obligé de marcher dans la rue une fois passée l’autoroute Métropolitaine, qui en sépare la section nord. Une chose habituelle à cette époque pas si lointaine. C’était ça aussi, quand l’« efficacité était au rendez-vous à la Ville de Mourial ! »…
Une nouvelle politique
Une fois au pouvoir, Projet Montréal a centralisé les décisions pour uniformiser les opérations de déneigement à l’échelle montréalaise. Une nouvelle politique adoptée il y a moins d’un an, en avril 2024, a fait passer de 3,1 jours à 4,3 jours le temps permis pour le chargement de la neige et a étiré les parcours que les équipes de déneigement doivent couvrir. Il y a plus de 10 000 km de rues et de trottoirs à déblayer sur le territoire. Les équipes ont maintenant un délai d’une douzaine d’heures avant de commencer le déblaiement, s’il est jugé nécessaire.
Un sondage Léger a révélé l’an dernier que les Montréalais sont généralement satisfaits du service de déneigement.

« Quand on décrète un chargement, les arrondissements ont l’obligation de déblayer les trottoirs, de les sécuriser, de les saler ou de répandre des abrasifs, de déblayer les rayons de trottoir et, ensuite, ils peuvent commencer le chargement de la neige, résume M. Limoges. Il faut déblayer les rues, c’est important. Mais la priorité est accordée aux trottoirs. C’est un changement de pratique majeur qu’on tient maintenant pour acquis, et c’est tant mieux. »
Ce service essentiel sert tout le monde, et en premier lieu les personnes à mobilité restreinte. M. Limoges a été le proche aidant de sa mère pendant des années ; il connaît donc les contraintes auxquelles font face certaines personnes. « Un trottoir mal déblayé, ça veut dire un emprisonnement chez soi pour une personne fragilisée. C’est aussi simple que ça », affirme-t-il. « Pour les parents avec une poussette, pour les gens qui se déplacent avec une canne ou une marchette, pour les fauteuils roulants, c’est une nécessité d’avoir un trottoir bien — et vite — dégagé », résume l’élu de Projet Montréal.
Alan DeSousa, maire de l’arrondissement de Saint-Laurent et tête d’affiche de l’opposition à l’Hôtel de Ville, souligne aussi la nécessité de bien dégager les trottoirs afin de permettre une mobilité inclusive. « Notre objectif a toujours été que la personne du troisième âge qui va faire ses emplettes à pied au magasin le fasse de manière sécuritaire », dit-il, en précisant que cette règle est en vigueur dans son arrondissement depuis des années. « Notre objectif est également de donner du confort aux automobilistes. »
Cela dit, il estime que du temps est encore nécessaire avant de pouvoir évaluer la qualité des services de déneigement rendus depuis la mise en place de la nouvelle politique. De nouvelles règles de sécurité obligent aussi les travailleurs — notamment les conducteurs de machinerie lourde — à prendre des périodes de repos, ce qui peut ralentir certains services, note-t-il également.

Et les pistes cyclables ?
Les réseaux sociaux déversent aussi leur flot de reproches à propos des pistes cyclables, qui seraient mieux déneigées que les trottoirs.
« Que voulez-vous, la Ville n’a pas compris qu’il y a des centaines de milliers de piétons qui marchent sur les trottoirs chaque jour pour, peut-être, un cycliste qui roule sur les pistes de bicycles », dit une publication datée du 8 janvier, photo à l’appui. « Me semble que le choix est évident. Mais la Ville s’entête à nous laisser des trottoirs dangereux au profit des cyclistes ! Je trouve ça médiocre comme choix. Vive la Reine ! Vive Valérie Qui-déjà ? »
François Limoges rappelle que Montréal compte bien plus de trottoirs que de pistes cyclables. Il est donc normal que le traitement de ces zones pour cyclistes se termine plus vite. De plus, l’asphalte noir des pistes absorbe davantage les rayons du soleil et réagit mieux aux abrasifs que le béton des trottoirs.
« Les pistes [cyclables] sont déneigées en même temps que les trottoirs, mais elles ne le sont pas plus rapidement et ne le sont pas au détriment du travail sur les trottoirs », affirme l’élu responsable par intérim du service hivernal.
2340 km de trottoirs
Le réseau de trottoirs de Montréal totalise 2340 km. La qualité de ces infrastructures a été évaluée en 2019 et en 2020, et une nouvelle campagne d’auscultation artérielle est prévue en 2025. Bilan : la chaussée pour les piétons n’est guère plus en forme que celle pour les véhicules à moteur.
La métropole a développé sa propre méthode d’auscultation des défauts de surface, pour en venir à la conclusion que 34,1 % du réseau est en excellent état, et 22,7 % en bon état. La note « moyenne » vaut pour 18,2 % des trottoirs. Reste ce qui ne va pas : 12,2 % du réseau est en mauvais état et 12,8 %, en très mauvais état. Le quart des zones bétonnées pour les marcheurs laisse donc à désirer.
La Ville de Montréal estime par ailleurs qu’environ 30 % de ses rues sont « dans un mauvais état ».