Combien pour monter à bord du TGV?

Un voyageur marche sur un quai de la gare de Lyon à Paris.
Photo: Philippe Lopez Agence France-Presse Un voyageur marche sur un quai de la gare de Lyon à Paris.

Le pays se remet à rêver (ou à faire croire qu’il rêve à nouveau) d’un train à grande vitesse reliant Québec à Windsor. À quels tarifs se ferait ce trajet ? À quelle vitesse ? Et quelle leçon de réalité donne la Suisse avec son réseau ferroviaire étendu, efficace et moderne, mais sans TGV ?

Le train à grande vitesse (TGV) fait rêver. Parcourir la distance entre Montréal et Québec en une heure trente ou se rendre de Montréal à Toronto en trois heures tout en admirant le paysage défiler en accéléré est une perspective attrayante. Mais à quel prix ? Pour convaincre les voyageurs d’adopter le TGV, il faudra proposer des billets à un coût abordable, inférieur à celui de l’avion, avec un service et une ponctualité bien supérieurs à celui du train actuel, soutiennent des experts.

À un coût prévu d’au moins 100 milliards de dollars, voire 200 milliards, il demeure difficile de déterminer quel pourrait être le prix d’un billet pour monter à bord d’un TGV.

À l’heure actuelle, un billet d’autobus pour se rendre de Montréal à Toronto, une distance de 542 km, coûte autour de 65 $ avec Megabus et le voyage peut durer 6 heures 25 minutes. Le même trajet en train de Via Rail nécessitera que le voyageur débourse plus ou moins 120 $, selon le moment de la journée, pour un trajet variant entre 5 heures et 8 heures 30 minutes.

Quant à l’avion, un aller simple Montréal-Toronto peut coûter quelque 200 $ — et même moins selon le moment de la réservation — pour un vol d’une durée de 1 h 25. Ce temps de déplacement ne tient cependant pas compte de la congestion routière pour se rendre à l’aéroport Montréal-Trudeau ni du temps qu’il faut prévoir pour l’embarquement.

Un TGV roulant à 200 km/h qui fait l’objet d’espoirs serait potentiellement en mesure de parcourir la même distance en trois heures.

Quel devrait être le coût d’un billet de TGV si l’on veut attirer suffisamment de voyageurs ? La réponse n’est pas facile, car bien des questions demeurent quant à sa réalisation : quel sera le coût total du projet ? Quels seront son tracé et les prévisions d’achalandage ? Quel sera le modèle d’affaires ? Selon Jacques Roy, professeur titulaire au Département de gestion des opérations et de la logistique à HEC Montréal, un déplacement en TGV devra coûter moins cher que l’avion pour être attrayant. Il avance un coût de 300$ à 350 $ aller-retour pour la liaison Montréal-Toronto, avec des tarifs plus avantageux pour les gens qui réservent très tôt.

« Pour le TGV entre Montréal et Toronto, on s’attaque vraiment au marché du transport aérien. On vise les voyageurs d’affaires, essentiellement. À mon avis, ce sera loin d’être suffisant. Ça risque de coûter très cher. Jusqu’à quel point veut-on subventionner les gens d’affaires qui vont changer de mode de transport pour aller de l’avion au TGV ? » se demande-t-il.

Le TGV pourrait toutefois attirer les touristes, croit François Pepin, membre du conseil d’administration de Trajectoire Québec, qui voit d’un bon oeil l’arrivée d’un TGV. « Il peut y avoir un intérêt touristique quand on pense aux Européens qui viennent ici et qui sont habitués à utiliser le train et à un service de qualité. Le service de train actuel est pourri et l’avion ne relie pas les centres-villes. »

Il est toutefois loin d’être acquis qu’un futur TGV canadien puisse relier les centres-villes, car il faudrait creuser un second tunnel sous le mont Royal, le REM détenant le monopole du tunnel existant, convient-il.

Selon François Pepin, le coût d’un billet du TGV pourrait se comparer à celui de la première classe du train actuel, mais il reconnaît qu’il devra être impérativement plus bas que celui d’un billet d’avion. « Ça limite beaucoup la tarification. C’est difficile de comparer les prix parce qu’il y a la tarification dynamique qui entre en ligne de compte. Le TGV en France a sorti le service OUIGO. Ils sont très “agressifs” au chapitre du marketing. »

Ce texte fait partie de notre section Perspectives.

Jacques Roy n’est pas convaincu que le Canada profitera du « trafic induit », qui s’applique aux gens qui voyagent en raison du TGV et qui ne l’auraient pas fait sinon. C’est ce qui fait le succès des « low cost » en Europe, explique-t-il, en citant les compagnies aériennes qui offrent aux Britanniques — « s’ils sont dans la grisaille dans le nord de l’Angleterre » — un billet d’avion à 40 euros pour se rendre sur la Côte d’Azur. « Mais Toronto, ce n’est pas la Côte d’Azur », souligne-t-il.

Et la liaison Montréal-Toronto pourrait difficilement s’appuyer sur les déplacements familiaux. « On pourrait en voir entre Montréal et Québec, mais je ne suis pas sûr qu’ici, les gens aient beaucoup de famille à Toronto. Ça risque d’être un enjeu quand on fera des prévisions d’achalandage. »

Coûts ailleurs dans le monde

Ailleurs dans le monde, le TGV fait partie du paysage depuis longtemps. À des fins de comparaison, Le Devoir a examiné les prix des billets en classe économique pour de courts séjours au début du mois de décembre, avant la période des Fêtes, lors d’une fin de semaine et pendant la semaine.

Monter à bord d’un TGV à Paris pour se rendre à Bordeaux, une distance de près de 584 km en voiture, coûte en moyenne 120 $ au voyageur, bien que certains trajets puissent coûter aussi peu qu’une trentaine de dollars, selon le moment choisi.

Les comparaisons sont difficiles. Par exemple, au Japon, il est possible de profiter de forfaits qui permettent de se déplacer dans tous les trains et TGV qui sillonnent le pays. Mais parcourir la distance de 450 km entre Kyoto et Tokyo à bord du Shinkansen, un trajet d’environ 2 heures 10, coûte environ 134 $CA.

L’engouement pour le TGV est compréhensible, mais cela ne signifie pas que c’est une décision sage, estime Jacques Roy. Dès 1995, il était sceptique à l’égard d’un TGV quand l’idée a circulé. « Je me souviens que les fonctionnaires à Québec disaient : “C’est un TGV ou rien du tout !” Finalement, c’est ce qu’on a eu : rien du tout. »

Avec Sarah Boumedda

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