«Le petit Nicolas – Qu’est-ce qu’on attend pour être heureux?»: Nicolas et ses papas

L’un des effets collatéraux moins connus de la pandémie de COVID a été la multiplication des films et des séries d’animation, si « simples » à réaliser en temps de confinement et de travail à distance. Et si plusieurs projets qui en étaient à leurs étapes préliminaires ont été mis de côté lorsque les tournages ont de nouveau été possibles, ceux qui ont été menés à terme éclosent ces derniers mois au petit et au grand écran.
C’est le cas du très beau, touchant et drôle long métrage d’Amandine Fredon et Benjamin Massoubre qui, mêlant documentaire et fiction, raconte l’amitié qui a uni Jean-Jacques Sempé, décédé plus tôt cette année, et René Goscinny, disparu il y a 45 ans ; et la naissance d’un personnage occupant, depuis la fin des années 1950, une place unique et chère dans l’enfance de millions de francophones. En réponse au sous-titre du Petit Nicolas. Qu’est-ce qu’on attend pour être heureux ?, on pourrait répondre « ce film ».
Tout commence en alternance, entre le Paris de Goscinny et celui de Sempé. Le premier tape à la machine à écrire et le second est à sa table à dessin. Ils se retrouvent dans un café, parlent foot, puis Sempé mentionne ce gamin qu’il a créé pour Sud-Ouest Dimanche et que le journal lui a demandé de développer. Et de demander à son copain, « magicien des mots », s’il aurait envie de travailler avec lui là-dessus. Remue-méninges s’ensuit et le petit Nicolas, ses parents, ses amis, sa maîtresse, son monde, quoi, se « dessinent » rapidement. Et deviennent si réels pour les deux créateurs que le petit bonhomme sort bientôt de la page glissée dans la machine à écrire et de celle déposée entre les pinceaux et les crayons, pour poser des questions à ses papas.
Le projet initial des deux réalisateurs était de produire un documentaire mêlant des images d’archives du tandem aux histoires du Petit Nicolas. Mais assez vite, l’idée d’un film à 100 % animé s’est imposée. Et c’était la chose à faire. Le cadre idéal pour voir, pour la première fois, s’animer le gamin plusieurs fois incarné dans des films en prise de vue réelle.
Deux volets
D’autant que, connaissant et maîtrisant l’ensemble de l’oeuvre, Amandine Fredon et Benjamin Massoubre recréent à merveille le style des livres. Au scénario, en reprenant le ton enfantin si juste, si droit au but, si (im)pertinent de naïveté planté par Goscinny. Et à l’image, dans le trait comme dans la façon qu’avait Sempé de ne pas dessiner l’entièreté des décors — une adaptation évidente… qui ne l’était pas tant que ça : l’édition fonctionne sur le vertical ; le cinéma, sur l’horizontal.
À ce volet « Nicolas » s’imbrique celui « Sempé et Goscinny ». Ici, la place est laissée au style plus coloré, plus plein, plus rempli, que l’illustrateur utilisait dans ses dessins humoristiques publiés dans The New Yorker, L’Express, Le Figaro, Paris Match, etc. Quant au contenu, il éclaire beaucoup sur l’histoire somme toute peu connue de ses deux artistes. De cela, on aurait pris davantage dans ce film où le passage d’un style visuel à l’autre et du documentaire à la fiction se fait avec une fluidité et un naturel absolument enchanteurs.
Ainsi, l’humour du gamin et de celui de ses papas cohabite à merveille avec le touchant. Et le très émouvant. Parce que cette profonde amitié qui s’est déclinée pendant une dizaine d’années sur papier a été brutalement fauchée quand René Goscinny s’est éteint le 5 novembre 1977, à l’âge de 51 ans. La vie avait fait que les voies des deux hommes s’étaient éloignées, mais le destin veillait sur leur amitié : ils s’étaient revus une dizaine de jours avant le drame. S’éteint alors la voix d’Alain Chabat, qui s’était glissé avec chaleur, douceur, rondeur et humour dans celle de Goscinny. Portée par Laurent Lafitte, la peine du papa survivant va alors droit au coeur. Même chose pour celle de Nicolas, désormais à moitié orphelin : le jeune Simon Faliu excelle du début du film à sa toute fin.
Le petit Nicolas. Qu’est-ce qu’on attend pour être heureux ? est un bel hommage à deux grands artistes et à leur travail commun. Un hommage d’une fidélité totale à leurs styles respectifs. L’humour de l’un, l’élégance de l’autre. L’intelligence des deux.