Zombie 1, Canada 0
Dans son livre de 2012, Theories of International Politics and Zombies, le politologue américain Daniel Drezner examine l’efficacité qu’auraient, face à une attaque zombie, les réponses traditionnelles des gouvernements. Il y a ceux qui voudraient rencontrer le chef des zombies, lui expliquer que la matière cérébrale individuelle a une réelle valeur qu’il est préférable de ne pas consommer. Incapables de le convaincre de changer ses choix alimentaires, ceux-là voudraient au moins négocier avec les assaillants. Il y a ceux qui ont la gâchette chatouilleuse et qui répondraient avec une force maximale et létale à la première apparition du foyer de rébellion. La conclusion du politologue coule de source : dans ce cas précis, il est préférable d’avoir Arnold Schwarzenegger à la tête du processus décisionnel plutôt que, disons, le Mahatma Gandhi.
Loin de moi l’idée de comparer Donald Trump à un zombie, du moins à un zombie politique. Il faudrait, pour s’y risquer, parler d’un personnage politique que le comportement, les mensonges, les agressions sexuelles et une tentative de coup d’État rendraient en toutes circonstances impropre à la politique et qui, pourtant, resurgirait constamment pour s’imposer.
Quelqu’un en doute-t-il encore ? Il souhaite déclencher contre le Canada un assaut économique — des tarifs de 25 % sur tout — qui nous plongerait dans une récession immédiate. Son plan A est de nous annexer purement et simplement. S’il a un plan B, il est seul à le connaître.
La quasi-totalité de ses victimes potentielles s’est comportée comme le premier groupe de gouvernants décrit par Drezner. Justin Trudeau s’est précipité dans son antre, à Mar-a-Lago, pour lui offrir son entière collaboration, car Trump avait fait semblant de vouloir régler les problèmes quasi inexistants d’entrée de fentanyl et de migrants illégaux par sa frontière nord. Trudeau s’est empressé de lui promettre d’agir sans délai pour sécuriser la frontière américaine (ce qui, dans le monde normal, relève des États-Unis, pas du Canada), mais il fut le premier à entendre que le vrai objectif de Mr. T était d’avaler son pays.
François Legault fut le second à pratiquer le président zombie, dans la Ville Lumière. Il s’empressa de lui dire qu’en effet, sa frontière devrait être mieux protégée par nous. Il déclara ensuite que le Canada devrait se presser de dépenser 2 % de son PIB en dépenses militaires. L’Américain s’est fait fort de déplacer la cible, déclarant désormais qu’il souhaite des dépenses de 5 % du PIB. (Sait-il que son pays n’en dépense pas plus de 3,5 % ?)
L’Ontarien Doug Ford présenta son imposante carrure dans les émissions américaines préférées de Trump et y tint un double discours. Dans le cas d’une attaque tarifaire, il allait fermer le commutateur de l’électricité à ses voisins américains. Ce qui le plaçait dans le second groupe étudié par le politologue américain. Mais il prenait également place dans le premier groupe en proposant une « forteresse Amérique-Canada » et une renégociation des arrangements énergétiques continentaux.
Le cas le plus intéressant fut celui de l’Albertaine Danielle Smith. Elle s’est rendue à Mar-a-Lago pour discuter avec l’annexeur en chef. On la voit tout sourire avec le président orange. Mais on y découvre un troisième personnage : Kevin O’Leary. Il s’agit du milliardaire canadien qui a invité Smith à Mar-a-Lago. Et depuis que Trump parle d’annexer le Canada, O’Leary répète que ce n’est pas une mauvaise idée, après tout !
Mme Smith a-t-elle brandi la menace de réduire ou de fermer le robinet de pétrole albertain coulant vers les États-Unis ? Pas du tout. Elle a expliqué trois choses. Si on excepte les exportations de pétrole, les États-Unis ont un surplus commercial avec le Canada, pas un déficit. Ce qui est parfaitement exact. Elle a évoqué la possibilité « d’exemptions » tarifaires pour l’Alberta. Finalement, elle a discuté avec lui d’une augmentation des ventes de pétrole canadien au sud et de nouveaux pipelines. Elle dit n’avoir capté aucun signal d’une volonté de Trump de ne pas imposer les tarifs annoncés.
Tentons de constater l’état des lieux du point de vue du président américain. Il n’a fait que brandir des menaces et, immédiatement, les dirigeants canadiens se sont bousculés pour lui dire qu’il avait raison pour la frontière (c’est faux), sur la défense (ça se discute) et que des concessions peuvent tout à fait être envisagées. Danielle Smith a même proposé d’augmenter les importations de biens et services américains au Canada.
Trump sait que la principale arme de rétorsion détenue par le Canada repose sur l’énergie. Si on décidait de couper, de restreindre ou de taxer fortement l’exportation de notre énergie, l’impact serait réel et significatif sur les prix à la pompe, puis sur toute la chaîne des produits. Trump s’étant engagé à réduire les prix pour les consommateurs, il aurait un peu de fil à retordre aux élections de mi-mandat, en 2026, si on tient jusque-là.
(Note technique : il serait absurde de fermer le robinet, car c’est par un pipeline passant par le territoire américain que l’Alberta approvisionne l’Ontario et le Québec. Il serait plus judicieux de réduire le volume des exportations de pétrole, ce qui provoquerait une hausse du prix tout en maintenant les revenus pour le Canada.)
Trump doit savoir qu’à part Doug Ford, personne n’est partant pour jouer sur le levier énergétique. Legault a dit non (pour l’instant). Smith avertit que, si on lui impose une décision semblable, cela provoquera « une crise d’unité nationale ». Des mots de code pour une menace de sécession albertaine.
Bref, non seulement les victimes de Trump se comportent-elles exactement comme il ne faut pas le faire lors d’une attaque zombie, mais, en prime, elles se battent entre elles : entre libéraux et conservateurs pour le déclenchement d’une élection, entre libéraux pour la chefferie, entre Doug Ford et Danielle Smith sur l’arme de l’énergie. Bref, aucun zombie n’a jamais bénéficié de proies aussi faciles.
Ce texte fait partie de notre section Opinion, qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.