Ça va bien aller, prise 2
En fin de semaine, je me suis rappelé les arcs-en-ciel et les fameux « Ça va bien aller » accrochés aux portes et aux fenêtres de nos maisons, nos écoles, nos hôpitaux ou nos entreprises. Maintenant que la pandémie est derrière nous, force est d’admettre que tout ne s’est pas passé aussi bien qu’on l’espérait. Tout dépend de la façon dont on voit le verre d’eau. Est-il à moitié vide ou à moitié plein ? C’est souvent une question de perspective. C’est notre filtre personnel qui nous fait trancher d’un bord ou de l’autre. Notre personnalité, notre vécu, notre manière d’appréhender le monde influencent la lecture que nous faisons des faits et des données probantes.
Il faut aussi considérer le fait que ceux qui colligent ces données et réalisent des études à partir de ces dernières le font à travers leur propre filtre de perception. Rien n’est jamais totalement objectif. Cela ne signifie pas pour autant que c’est faux ou biaisé. Il y a une différence entre inventer un fait et interpréter un événement ou des données sous un angle différent. C’est même précisément ce qui alimente les débats et les échanges constructifs, qui sont eux-mêmes le moteur de nos démocraties.
En tout cas, c’était vrai jusqu’à tout récemment.
Quand j’ai fait mes débuts en politique, on disait qu’il n’était pas nécessaire de tout dire, mais qu’il ne fallait jamais mentir. Autrement dit, qu’il fallait contrôler le message sans jamais inventer d’informations. Je fais référence ici, oui, à la fameuse « cassette ». Je n’ai jamais été un fervent adepte de cet exercice que j’avais en horreur. J’ai cédé à la tentation d’y recourir une seule fois, et ce fut l’un de mes pires moments en politique. C’était lors du lancement d’un hommage au Grand Antonio, pour ceux qui s’en souviennent. Une vraie honte.
Cette époque me semble aujourd’hui bien lointaine… Me voilà pris au piège de la nostalgie : je m’apprête à dire, comme tant d’autres avant moi, que « c’était mieux avant ». Mais encore une fois, tout est une question de perspective. De quelle époque parle-t-on au juste ? Les références varient selon le lieu où l’on vit, notre parcours, nos expériences. Chacun façonne son propre âge d’or en fonction de ses souvenirs. Rien n’est jamais totalement objectif, mais les faits restent les faits. Du moins, c’était encore le cas jusqu’à récemment.
Aujourd’hui, en politique, la véracité ne semble plus poser de problème à certains. Il suffit pour ceux-là de dire une chose pour qu’elle soit vraie. Quitte à déformer délibérément les faits.
En repensant aux arcs-en-ciel affichés dans les fenêtres, une réflexion m’est venue sur le rôle de l’État. J’aime dire qu’au Québec, nous avons sorti l’Église pour la remplacer par le gouvernement. Depuis la Révolution tranquille des années 1960, nous vivons sous un régime que l’on peut qualifier d’« État providence » ou de social-démocratie. On pourrait débattre longuement de son état actuel, mais si l’on se compare, force est d’admettre que le Québec demeure une société où l’interventionnisme gouvernemental est fort, même sous des gouvernements de centre droit. N’en déplaise à certains, c’est en partie ce qui définit l’identité québécoise et sa distinction, cette volonté de mettre en commun les ressources pour offrir une chance plus égale à tous.
Personnellement, j’y tiens.
Je ne me souviens plus qui a dit ça, mais une personne mentionnait récemment que ce qui fait fonctionner un système, c’est la confiance que nous avons que nos voisins en respecteront les règles. Par exemple, lorsqu’on traverse une rue, on ne s’arrête pas pour vérifier si la voiture qui approche fera son arrêt au feu rouge. On a confiance que la personne au volant le fera. Mais que se passe-t-il lorsque cette confiance s’effrite ? Lorsque nous commençons à croire que notre voisin ne respectera plus les règles ? Le doute s’installe, la peur grandit et le système tout entier se dérègle.
Imaginez maintenant qu’un groupe entier de la société se met à croire que ses voisins ne respectent plus les principes fondamentaux du vivre-ensemble. La fracture devient inévitable.
C’est précisément là que sont rendues nos démocraties occidentales. La polarisation et l’essor des théories du complot les plus absurdes sont les symptômes d’une perte de confiance envers les autres. Ce sentiment nourrit un besoin de contrôle, une quête d’ordre dans un monde perçu comme chaotique, menaçant. On cherche alors un leader providentiel qui promet de rétablir l’autorité, de ramener les « bonnes valeurs » et de restaurer cette confiance égarée.
Ce qui s’effrite alors, c’est l’esprit du collectif. Je ne suis pas sociologue et je ne prétendrai pas l’être, mais il est difficile de ne pas voir dans ce repli le symptôme d’un individualisme exacerbé. Et si c’était précisément cet électrochoc — la menace d’une guerre économique de Donald Trump — qu’il nous fallait pour raviver cette solidarité essentielle au bon fonctionnement du système ?
Face à l’adversité, l’humain innove, crée et se dépasse. C’est exactement là où nous en sommes. Au-delà de la crise climatique, nous traversons une multitude de crises existentielles. N’est-ce pas le moment idéal pour se réinventer plutôt que de recycler de vieilles recettes ? Je n’ai pas de solution miracle, mais j’ai envie de participer à la construction d’un monde meilleur, optimiste. Un monde qui rêve encore.
Ce texte fait partie de notre section Opinion, qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.