Pour l’Ukraine
Quand la Russie a agressé l’Ukraine en février 2022, je ne voulais pas y croire. Poutine, me disais-je, roule les mécaniques et fait son show de boucane pour impressionner la galerie, mais, après avoir fait exploser quelques pétards pour marquer son territoire, il va se calmer.
Je me trompais lourdement. En septembre 2024, soit deux ans et demi après le début de la guerre, une enquête du Wall Street Journal évaluait à un million le nombre de victimes militaires du conflit. Du côté ukrainien, le journal dénombrait environ 80 000 morts et 400 000 blessés. Du côté russe, les chiffres s’élevaient à 200 000 morts et à 400 000 blessés. Un vrai carnage.
Et ce n’est pas tout. Selon les Nations unies, 11 700 civils ukrainiens auraient été tués depuis février 2022 et 25 000 auraient été blessés, autant de drames auxquels il faut ajouter les presque sept millions d’Ukrainiens qui ont dû fuir leur pays dans d’épouvantables conditions.
Je souhaite, évidemment, la victoire de l’Ukraine. Quoi qu’on puisse penser des projets politiques des uns et des autres dans cette affaire, il apparaît incontestable que la Russie s’est délégitimée en déclenchant une guerre d’agression et en multipliant, depuis, les crimes de guerre.
De plus, dans cet affrontement, je ne vois pas comment les partisans de la démocratie et du droit international pourraient tolérer la violence impérialiste imposée par la Russie autocratique à une Ukraine souhaitant rejoindre le camp des démocraties occidentales.
Que faire, toutefois, une fois ces principes admis, alors que le conflit s’enlise et qu’une victoire totale de l’Ukraine semble de plus en plus improbable ? Faut-il, comme le suggère Bernard-Henri Lévy (BHL) dans sa revue La Règle du jeu, continuer de fournir à l’Ukraine toutes les armes nécessaires non seulement à la défense de son territoire, mais aussi à l’attaque du territoire russe ?
Faut-il même, pour éviter que cette guerre ne devienne « la bérézina des démocraties », comme l’écrit BHL, envoyer en Ukraine des instructeurs militaires occidentaux pour mieux former les troupes, comme le suggérait Emmanuel Macron en février 2024 ? L’idée a été froidement accueillie par les autres membres de l’OTAN, qui craignent qu’un tel geste soit perçu comme une déclaration de guerre directe de l’Occident à la Russie.
« Il est certain qu’il faut garder une position de fermeté à l’égard de la Russie, encore faut-il savoir où l’on fixe le curseur », écrivait le politologue Pascal Boniface, en avril 2024, sur le site de l’Institut des relations internationales et stratégiques (IRIS).
À moins d’un engagement direct de l’OTAN sur le terrain, continuait-il, « le conflit risque de prendre la tournure d’une guerre de maintien des positions ». Les morts et les victimes continueront de s’accumuler, sans possibilité de résolution satisfaisante de part et d’autre. C’est la raison pour laquelle, selon Boniface, aujourd’hui, « le terme de négociation ne doit pas être un terme tabou, à l’instar du terme cessez-le-feu ».
Tout cela est troublant, déchirant, mais la guerre, pendant ce temps, tue. Photojournaliste à La Presse, Martin Tremblay pratique le reportage de guerre depuis des années. Il a documenté, en images, l’agression russe en Ukraine. Pour mieux faire connaître et comprendre le triste sort des victimes civiles de ce conflit, il a décidé d’ajouter l’écrit à ses photos en publiant Elliot Black en zone de guerre, tome 1. Ukraine (Les Malins, 2024, 200 pages), un captivant roman d’aventures pour la jeunesse dont les lecteurs de tous âges pourront tirer profit.
Fils d’un photoreporter mort dans des circonstances nébuleuses, Matias Leclerc, 14 ans, se retrouve en Ukraine en compagnie de sa mère. Cette dernière, urgentologue pédiatrique, travaille pour SOS Doc, un organisme semblable à Médecins sans frontières. Avant de partir, l’adolescent a pris soin de mettre l’appareil photo de son défunt père dans ses bagages.
Cette trame narrative, par moments un peu forcée, comme c’est souvent le cas dans les récits d’aventures, est l’occasion pour Tremblay d’illustrer l’inhumanité concrète de la guerre : bombardements, notamment d’hôpitaux, qui sèment la terreur, exode de civils abandonnés à eux-mêmes, arrestations arbitraires de citoyens, parfois torturés et violés par les forces occupantes.
C’est aussi l’occasion, pour Tremblay, de présenter les grandeurs et misères des métiers de travailleur humanitaire et de reporter de guerre. « Je veux crier au reste du monde de se réveiller, déclare l’adolescent devenu photographe improvisé qui se foutait du sort du monde avant de débarquer dans l’enfer ukrainien. Je veux dénoncer les monstruosités de cette guerre, faire connaître les histoires de ses victimes. »
Il a raison, évidemment, et son créateur avec lui. Les Ukrainiens ont besoin de l’appui résolu du monde libre.
Ce texte fait partie de notre section Opinion, qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.