«Trump-spreading»

Nous voilà prévenus : « Les États-Unis se considéreront une fois de plus comme une nation en croissance, une nation qui augmente notre richesse, étend notre territoire, construit nos villes, élève nos attentes et porte notre drapeau vers de nouveaux et beaux horizons. »

En 1944, dans la belle ville de Québec, un autre président américain, Franklin Roosevelt, et l’indomptable Britannique Winston Churchill avaient posé les bases d’un nouvel ordre mondial dans lequel les États s’engageaient à ne plus « étendre leur territoire ».

Cela ne signifiait pas que chacun ne tenterait pas d’obtenir des zones d’influence plus larges, de renverser des gouvernements encombrants, de faire la guerre par petits pays interposés. Jusque-là, la marine anglaise avait établi le plus grand empire au monde, et la politique américaine de la canonnière avait tonné dans les Antilles et dans le Pacifique — et au Canada en 1812. Mais une balise était dorénavant posée, qui serait incarnée par la nouvelle Organisation des Nations unies. On pourrait compter sur Washington et Londres pour faire preuve de retenue.

Cette ère est révolue. Le nouveau président américain en annonce clairement la couleur, officialisant dans son discours inaugural les fanfaronnades des derniers mois sur sa ferme volonté d’élargir l’empreinte de son territoire. Il a clairement nommé le canal de Panama. « On va le reprendre », a-t-il dit. Il n’a pas désigné le Groenland ni le Canada, mais a-t-on tort de se sentir visés par sa volonté de porter son « drapeau vers de nouveaux et beaux horizons » ? C’est beau, le Groenland. C’est beau, le Canada.

Quant à sa menace d’imposer des tarifs de 25 % sur les importations canadiennes et mexicaines, elle ne figurait finalement pas dans l’imposante pile de décrets signés au premier jour de son retour au pouvoir. Mais il y arrivera, promet celui qui avance désormais la date du 1er février pour sa mise à exécution.

Cash americana

Il annonce dans le même esprit une grande réforme commerciale et, j’y viens, économico-militaire. « Au lieu de taxer nos citoyens pour enrichir d’autres pays, nous allons imposer des tarifs et des taxes aux pays étrangers pour enrichir nos citoyens. » Les scénarios envisagés feraient passer les revenus provenant des tarifs de 100 milliards de dollars américains cette année à 350 milliards dans deux ans.

Les dépenses nouvelles générées par la reconduction des baisses d’impôts, par la réduction du taux d’imposition des sociétés et par le financement présumé gargantuesque du programme d’expulsion des immigrants sans papiers rendent indispensable, bien qu’insuffisante, cette manne tarifaire.

La création par Trump d’un nouveau « Service des recettes extérieures » vise à faire collecter par l’Oncle Sam « des sommes massives d’argent qui afflueront dans notre Trésor en provenance de sources étrangères ». Les récits issus de son premier passage à la Maison-Blanche pointent vers une veine riche : la tarification de la protection militaire américaine. Trump 1 était furieux d’apprendre que le gouvernement de la Corée du Sud n’assumait pas 10 % des 13 milliards de dollars engendrés annuellement pour le maintien des 28 500 soldats américains sur leur territoire. Il menaçait de retirer les troupes si Séoul ne payait pas 100 % du coût. Une vingtaine de pays abritent des bases militaires américaines. Il sera intéressant de voir si Trump tentera de faire payer Taïwan pour son dispositif de défense, d’autant qu’il a parfois accusé l’île d’avoir « volé » aux États-Unis l’industrie des semi-conducteurs.

Plus récemment, évaluant la possibilité d’établir une zone tampon entre les territoires conquis par la Russie en Ukraine et ceux tenus par Kiev, Trump établissait clairement qu’aucun soldat américain n’y serait déployé, seulement des Britanniques et d’autres Européens de l’Ouest. Paradoxalement, Trump veut réinvestir massivement dans la puissance militaire américaine, mais l’utiliser chichement.

L’homme d’affaires Trump semble résolu à transformer la pax americana en cash americana. Attendons-nous à une course à la tarification du parapluie militaire dont bénéficie le Canada. Les frais de fonctionnement du Commandement de la défense aérospatiale de l’Amérique du Nord, le NORAD, ne sont pas publics. Pour l’instant. Une facture pourrait apparaître sous peu. Elle sera salée.

Évidemment, si on était le 51e État, on n’aurait pas à payer, voyez ? Il y a une autre option, étonnamment évoquée par Stephen Harper. « Souhaite-t-il que nous devenions un pays neutre ? » a-t-il demandé. Ça ne coûterait rien, pas même 2 % de notre PIB. Mais ce serait vivre dangereusement.

L’internationale réactionnaire

La planète Trump est en train de se configurer sous nos yeux. Traditionnellement, aucun leader étranger n’était invité à l’assermentation. Cette fois, Trump a voulu y accueillir ses meilleurs amis. Le premier ministre britannique pour souligner la « special relationship » historique ? Non. Le président français, dont le pays a permis la victoire de George Washington ? Non. Le chancelier allemand, la présidente mexicaine, le premier ministre du Canada, voisins et alliés cruciaux ? Même pas.

Il voulait inviter le président chinois, Xi Jinping, qui a décliné l’offre, mais envoyé son vice-président. Il souhaitait avoir à ses côtés le symbole européen de l’autoritarisme, Viktor Orbán, de Hongrie, dont l’horaire était trop chargé. L’Italienne Giorgia Meloni y était, seule représentante élue de l’Europe. On y voyait aussi le brexiter britannique Nigel Farage, officiellement invité. (Le Français Éric Zemmour était présent, mais la droite française est en émoi, car Marine Le Pen n’a reçu d’invitation de personne.) On comptait aussi le président argentin, le libertarien Javier Milei, et le populiste salvadorien Nayib Bukele. Malheureusement pour Trump, son ami brésilien Jair Bolsonaro, invité, n’a pas pu se déplacer, car accusé d’avoir tenté de fomenter un coup d’État et privé de passeport.

Nous sommes donc en présence, comme le disait récemment Emmanuel Macron au sujet des préférences d’Elon Musk, de la création d’une « internationale réactionnaire » sous l’égide du nouveau président américain. Lui qui réécrit les cartes du monde, en commençant par le « golfe de l’Amérique » plutôt que le « golfe du Mexique » (et, non, il n’a pas ce pouvoir), réécrit aussi les codes diplomatiques.

Il ne reçoit plus les chefs d’État et de gouvernement, mais les leaders des partis amis, qu’ils soient ou non au pouvoir. Et, le croirez-vous, il s’est retenu. Ou quelqu’un a réussi à le retenir. Ses amis Vladimir Poutine et l’homme avec lequel il a échangé des « lettres d’amour », Kim Jong-un, n’étaient pas sur sa liste d’invités. Ce sera, sans doute, pour la prochaine fois.

Ce texte fait partie de notre section Opinion, qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.

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