Tristes États-Unis

Comme la plupart d’entre vous, probablement, j’ai suivi la cérémonie d’intronisation du président Trump avec une vive inquiétude. Ce discours inaugural plein de hargne et de faussetés, revanchard et triomphaliste, applaudi par les nababs de la tech et par l’amicale de la droite populiste et radicale d’un peu partout dans le monde, m’a fait frémir.

Avec sa mine sinistre des grands jours, Trump y a promis des lendemains qui chantent pour les États-Unis en rejetant la lutte contre le réchauffement climatique, en faisant l’éloge des énergies fossiles et en s’attaquant violemment aux sans-papiers, qualifiés sans nuance de criminels. Même un partisan d’un contrôle plus serré de l’immigration ne pouvait qu’être révulsé par un tel discours.

Que les Américains aient voté pour cet homme a quelque chose de désespérant. Dans Stupides et dangereux (Les Éditions du Journal, 2024, 416 pages), le journaliste Normand Lester illustre sans ménagement cette triste situation. « Le peuple qui se donne comme projet de défendre la démocratie sur la planète entière, écrit-il, semble maintenant sur le point de la renier chez lui. »

En multipliant les sources diverses — médias d’information sérieux, sondages, rapports et études —, Lester trace un vigoureux portrait au vitriol d’un pays passionné par la violence et les armes à feu, fier de son ignorance et de sa fermeture d’esprit et foncièrement inégalitaire. On voudrait pouvoir dire qu’il exagère, mais les faits — les vrais, pas ceux que les trumpistes inventent pour justifier leurs délires — lui donnent raison.

Il faut peut-être, en même temps, relativiser un peu. Le 5 novembre 2024, 156 302 318 Américains ont voté. De ce nombre, 49,8 % ont choisi Trump et 48,32 % ont opté pour Harris. Depuis ce jour, on a souvent entendu parler d’une victoire écrasante du premier. Or, ce 1,5 % qui sépare les deux candidats constitue « la cinquième plus faible avance en 32 élections présidentielles depuis 1900 », note Vincent Brousseau-Pouliot, chroniqueur à La Presse. « Bref, ajoute-t-il, c’est une (très) courte victoire, pas un mandat fort ni un plébiscite du trumpisme. »

Les Américains, en d’autres termes, ne sont pas tous des crinqués comme ceux dépeints par Lester dans son livre. La vérité, c’est qu’une guerre culturelle et idéologique fait rage dans le pays, avec la démocratie et la modération comme premières victimes.

Correspondant à Washington pour Radio-Canada, Frédéric Arnould vit au cœur de cette poudrière. Dans C’est aussi ça, l’Amérique (Québec Amérique, 2025, 288 pages), il présente une passionnante série de reportages qui donnent généreusement la parole à des citoyens américains de diverses tendances sur une foule de sujets épineux, comme l’omniprésence des armes à feu, le statut de l’avortement, le problème de la désinformation, la politisation de la religion et la guerre culturelle qui oppose la gauche identitaire à la droite radicale trumpiste.

En bon journaliste d’information, Arnould évite les prises de position personnelles et fait plutôt entendre des voix représentatives de diverses tendances idéologiques. Ça donne un livre très riche, captivant, éclairant, dans lequel on sent la vibration humaine.

Des événements récents, racontés ici par Arnould, illustrent la tension folle qui caractérise la société américaine. Par exemple, en décembre 2012, à Newtown, dans le Connecticut, un jeune homme perturbé se rend à l’école primaire Sandy Hook et tue 20 enfants et 6 membres du personnel.

Le drame, évidemment, relance le débat sur le contrôle des armes à feu. Aussitôt, des conspirationnistes, dont des professeurs d’université et l’animateur de radio Alex Jones, affirment que la tuerie est un canular, mis en scène pour justifier un contrôle plus sévère des armes à feu.

Quand on sait qu’il y a, en moyenne, environ 650 fusillades meurtrières par année aux États-Unis, on se dit qu’en effet, il y a bel et bien trop d’Américains qui sont stupides, dangereux et carrément déconnectés de la réalité.

Arnould revient aussi sur la triste histoire du Comet Ping Pong, ce restaurant de Washington dans le sous-sol duquel, selon une théorie du complot lancée en 2016, des membres du Parti démocrate se seraient adonnés à de la pédophilie. L’affaire a presque tourné au drame quand un homme armé d’un fusil s’y est rendu pour faire le ménage, avant de découvrir qu’il n’y a même pas de sous-sol dans cette pizzeria. La désinformation, on le voit, n’est pas un jeu ; c’est un crime.

À la mi-juillet 2024, Trump a été victime d’une tentative d’assassinat. Le mois suivant, Lance Wallnau, leader évangélique pro-Trump, déclarait que Dieu était intervenu pour protéger son héros afin de « sauver l’Amérique ». Mais où donc était ce Dieu républicain quand les enfants de Sandy Hook tombaient sous les balles d’un détraqué ? Les États-Unis sont rendus là.

Ce texte fait partie de notre section Opinion, qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.

À voir en vidéo