Avec le temps

Ces dernières semaines, je suis beaucoup allée au cinéma. De bons films intrigants, il me semble qu’il en pleut depuis quelque temps, que, chaque semaine, je pourrais aller en voir deux ou trois. En bonus, c’est la meilleure excuse pour esquiver les sports d’hiver. Je ne sais toujours pas freiner avec mes nouveaux patins, mais j’aimerais vous parler aujourd’hui d’une tendance que j’ai observée sur nos grands et petits écrans.

De retour en ville après une première session au cégep de Jonquière, où elle étudie pour devenir monteuse et réalisatrice de films d’horreur, ma fille m’a parlé dès son arrivée d’un film récent, marquant pour elle : The Substance, mettant en vedette Demi Moore.

Dans cette œuvre de Coralie Fargeat, une vedette de la télévision est renvoyée de l’émission qu’elle anime parce que, lui annonce son producteur (le bien nommé Harvey) en se goinfrant de langoustines, « At 50, well, it stops. » C’est alors qu’elle découvre, sur le marché noir, l’existence d’une « substance » qui permet, une semaine sur deux, de générer une version plus jeune, plus belle et optimale de soi. Il faut vraiment suivre les instructions cependant — consigne qui ne sera pas respectée.

Horrifique et sanglante, la suite tourne au cauchemar. Mais pas seulement pour le côté spectaculaire de l’affaire ; le scénario (Prix du scénario à Cannes) est résolument féministe, c’en est même frontal. Il est question ici du vieillissement des femmes, du combat qu’elles sont condamnées à perdre contre le passage du temps, de l’impossibilité, même en se battant bec et ongles, d’en sortir gagnante, et de l’absurdité de cette quête.

À travers son retour flamboyant à l’avant-plan, Demi Moore, 62 ans — magnifique, généreuse et qu’on avait moins vue à l’écran ces 15 dernières années —, incarne à elle seule le propos du film et sa valeur cardinale, ce qui lui a valu le Golden Globe de la meilleure actrice dans un film musical ou une comédie. L’adhésion est puissante, quelque chose se fend et se distend.

J’ai aussi vu Babygirl, thriller érotique de Halina Reijn, et qui m’est apparu dans la veine des films des années 1990 à la Basic Instinct, mais déguisé en film d’aujourd’hui. Même si ce n’est pas un film déplaisant, j’ai trouvé ça assez convenu (d’autant plus que je n’ai jamais oublié le troublant Eyes Wide Shut, de Kubrick, en 1999). Sauf pour un détail qui n’est pas anodin : une femme est en position de pouvoir.

Incarnée par Nicole Kidman (57 ans), la cheffe d’une entreprise à succès entame une liaison avec un stagiaire d’environ 30 ans de moins qu’elle. C’est un modèle qu’on a vu à de multiples reprises dans les rôles inversés. J’ai aussi regardé la saison 4 de la série policière True Detective, une réalisation d’Issa López mettant en vedette Jodie Foster, 62 ans, dans le rôle d’une enquêtrice bourrue qui en a vu d’autres. Contrairement aux personnages incarnés par Demi et Nicole, Jodie n’affiche pas un visage lisse et botoxé, ce qui n’empêche aucunement son personnage d’avoir une sexualité très active.

Commencez-vous à me voir venir ? Je vous parle de trois œuvres populaires, grand public et à gros budget, qui mettent en scène des actrices de plus de 55 printemps. Tendance qui ne semble pas sur le point de faiblir puisque, ce soir, je vais voir le nouvel Almodóvar, La chambre d’à côté, avec Julianne Moore et Tilda Swinton, actrices d’exception toutes deux âgées de 64 ans. Et dans quelques jours, je retournerai au cinéma pour The Last Showgirl, de Gia Coppola, avec Pamela Anderson, 57 ans, et Jamie Lee Curtis, 66 ans.

Cette tendance réjouissante, que l’on observe également au Québec avec Élise Guilbault, Guylaine Tremblay, Maude Guérin, Anne-Marie Cadieux, Isabel Richer, Céline Bonnier, comment l’expliquer ? À quoi tient-elle ? Est-ce passager ? À mon avis, non. Jetez un œil au nom des réalisatrices mentionnées précédemment. Toutes des femmes à part Almodóvar, toutes âgées de plus ou moins cinquante ans, sauf Gia Coppola, une enfant de la balle.

Je pense à ma fille, qui commence à forger son esprit critique en caressant le rêve de devenir réalisatrice. Elle m’a annoncé, du haut de ses 17 ans, à propos de The Substance : « C’est un film féministe, et ça se voit que c’est une femme qui réalise. » Je repense à l’excellente actrice québécoise Sophie Nélisse, 24 ans, qui fait une percée aux États-Unis. Elle a raconté en entrevue que, là-bas, on recommande aux jeunes actrices de son âge de ne pas attendre avant de recourir au Botox préventif. Je me dis que, malgré tout, on avance. Qu’on ne peut pas demander aux comédiennes de donner l’exemple et d’être en avance sur les obsessions de leur temps, puisque le cinéma en est plutôt le miroir.

Une chance qu’il existe des Jodie Foster, des Micheline Lanctôt et des France Castel. Si plusieurs modèles de femmes qui avancent en âge cohabitent, au moins on ne fait pas de surplace, et leurs luttes ne sont plus invisibilisées. Dans Babygirl et dans The Substance, le recours aux injections est abordé, montré et même assumé… Compte tenu de l’obsession de l’image projetée qui est celle de notre temps, je trouve un peu facile de critiquer les femmes qui en font usage ou qui ont recours à la chirurgie. C’est un piège à éviter.

Je remarque que les acteurs vieillissent eux aussi. Le pouvoir d’attraction des Richard Gere, Antonio Banderas et George Clooney, qui ont passé la soixantaine, n’est pas resté intact. Leur lustre d’antan a décliné un brin — on peut le reconnaître. Enfin, je note que ces films réalisés par des femmes ne font pas que triompher au box-office, ils remportent des prix importants dans les festivals prestigieux. Qu’ils mettent en scène d’autres types d’hommes, en nous les révélant sous de nouveaux angles et perspectives.

Je ne dis pas que tout est parfait et qu’on est sortis du bois. Mais il me semble qu’il y a comme une petite éclaircie, non ? J’avais envie de la pointer, parce qu’un peu de lumière, ça fait toujours du bien, surtout en janvier.

Ce texte fait partie de notre section Opinion, qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.

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