Sauvés par la cloche

Unique en son genre, le Choeur de cloches du village de Saint-Lambert existe depuis bientôt trente ans. Davantage qu’un passe-temps, les cloches à main prennent aussi la forme d’un don spirituel.
Photo: Valérian Mazataud Le Devoir Unique en son genre, le Choeur de cloches du village de Saint-Lambert existe depuis bientôt trente ans. Davantage qu’un passe-temps, les cloches à main prennent aussi la forme d’un don spirituel.

Chaque dimanche, il règne ici un esprit de famille entre franche camaraderie et familiarité, un clan musical réuni dans la cordialité autour d’un café et de petits cupcakes maison avant d’aller sonner les cloches sous un vitrail de l’Église unie de Saint-Lambert. Dans ce vitrail coloré, des anges et un Alléluia semblent nous indiquer la voie pour élever nos esprits perturbés par les nouvelles du jour.

Ce chœur des cloches est si unique au Québec que Disney a fait appel à lui dans sa sixième mouture de Home Sweet Home Alone (Maman, j’ai raté l’avion ! (Ça recommence), 2021). Perso, j’ai regardé la bande-annonce, ça m’a suffi en matière de négligence parentale.

Avec des gants blancs, les clochistes (ou sonneurs) suivent les instructions de Jérôme Savoie, leur chef de chœur, qui donne la battue comme un prêtre fait un signe de croix, mais avec la mesure. Ici, la question ne se pose même pas : on peut jouer Welcome Christmas avant le 1er décembre.

Ils sont dix, huit femmes et deux hommes, comme les dix doigts de la main dans un gant de coton, pour empêcher l’oxydation des instruments. Chaque cloche représente une note et personne ne peut s’absenter, sous peine de fausser le O Tannenbaum, mon beau sapin. Le jing-a-ling ne s’improvise pas, il exige constance et assiduité, comme la messe du dimanche, sinon… ça cloche (OK, c’est la dernière fois).

« Ici, c’est Noël à l’année », lance Jérôme, 49 ans, qui dirige ce chœur fondé il y a bientôt 30 ans. Ce ténor, prof de musique au secondaire, multi-instrumentiste et compositeur, consacre ses dimanches après-midi aux clochettes. Et Jérôme accompagne ses musiciens, ceux du groupe des carillons et ceux des cloches, depuis une quinzaine d’années, sans faillir à la tâche, régulier comme un métronome.

On sonnait le tocsin, on le sonnait frénétiquement, on le sonnait partout, dans tous les clochers, dans toutes les paroisses, dans tous les villages, et l’on n’entendait rien.

Jennifer, la doyenne de 79 ans, est une ancienne danseuse de claquettes. Ses filles Nathalie et Valérie se sont jointes au groupe elles aussi. Natacha sonne le do du milieu, la cloche C5, depuis 2011 : « Nous jouons dans des messes magnifiques, à des mariages et aussi des funérailles. Les cloches, ce sont les ailes que les anges attendaient pour s’envoler avec l’âme. Il y a une spiritualité dans ce qu’on fait. »

Photo: Valérian Mazataud Le Devoir Jennifer Fallon, doyenne des clochistes

Cantiques et carillons

Les cloches à main viennent d’Angleterre, apparues quelque part entre la fin du XVIIe siècle et le début du XVIIIe. Les trois octaves acquises par l’Église unie ont coûté 10 000 $ il y a 30 ans et les carillons, eux, 3000 $. Les instruments se répartissent donc entre plusieurs coffrets précieux. Il faut voir Valérie, la virtuose du grelin, jouer de plusieurs cloches à la fois d’une seule main. Un tapis de mousse recouvert de velours permet de moduler le son et de déposer les cloches devant les sonneurs sans les faire tinter. Ils utilisent également leur épaule pour couper le caquet de la vibration.

La semaine prochaine, pour leur concert de Noël à l’église, Jérôme entonnera le Minuit chrétien avec le Chœur d’hommes gallois de Montréal, dont il fait aussi partie. Ce ténor lyrique n’a qu’un seul véritable instrument, sa voix. Les cloches feront aussi tinter les cœurs.

Nul besoin d’être croyant pour jouer dans le chœur de cloches ; Jérôme m’a même offert un poste sans audition ni CV. C’est dire ! Je ne danse même pas la claquette.

Photo: Valérian Mazataud Le Devoir Jérôme Savoie, chef du choeur, dirige ses clochistes tous les dimanches.

Mais la tentation de sonner le tocsin à toute petite échelle peut l’emporter sur le talent, tout autant que d’offrir un élan à la joie et tout oublier de ses soucis durant deux heures.

Les cloches sont rassembleuses et invitent à l’allégresse, à prier ou à tendre l’oreille.

À la réouverture de la cathédrale Notre-Dame de Paris, la semaine dernière, toutes les cloches de France ont sonné en même temps dans une rare communion hexagonale. Cet antique instrument fait le lien entre les cieux et les mortels que nous sommes, entre le clocher et le parvis où mendient les clochards qui sonnaient aussi les cloches autrefois, d’où leur nom.

L’espoir est une cloche sans battant, dont la corde est aux mains de l’ignorance.

Écoutez les clochettes…

Les cloches ne sont pas si cloches puisqu’elles peuvent nous épargner de la discorde et adoucir les mœurs. La ministre de l’Église unie de Saint-Lambert depuis 2018, la révérende Jennifer Mountain (les femmes ne sont pas que des figurantes dans cette église protestante), pense que le chœur de cloches répond à un besoin bien réel. « Nous vivons une époque de confusion, de chaos et d’anxiété tant sur le plan politique, économique que climatique, me confie-t-elle. Nous, nous reconnaissons tout cela, mais nous offrons aussi un sanctuaire, un espace sacré. On peut calmer son mental et être nourri autrement. Et la musique contribue de façon importante à cet état d’esprit. »

Se recueillir, s’unir (religion vient de religare, « relier ») et offrir sont autant de possibilités sous ce clocher pointu. Le thermostat est assez frileux, mais la chaleur humaine compense largement.

Eh ! ben, c’est pas des boniments, j’vous l’jur’, c’est vrai, Vierge Marie ! Malgré comm’ça qu’j’aye fait la vie, j’ai pensé à vous ben souvent. Et ce soir encor ça m’rappelle un temps, qui jamais n’arr’viendra, ousque j’allais à vot’ chapelle les mois que c’était votre fête.

La révérende, pour sa part, refuse de lire les nouvelles qui concernent le futur président des États-Unis. Elle est une adepte de la psychologie cognitive comportementale : « Rien de ce qui concerne cet homme ne va m’aider ! Les messages que tu donnes à ton cerveau sont reliés à ton corps. Il faut nourrir ton esprit de choses positives. Et la musique, c’est numéro un ! Les cantiques et chansons de Noël parlent de joie, d’amour et de paix. Ça change notre état intérieur. Les cloches sont les voix de chaque sonneur selon la façon dont ils les secouent. »

Pour la ministre de l’église, les cloches ne parlent que d’une seule et unique chose : « It’s all about love ! » Et c’est encore ce qui nous reste d’une chanson de Noël et vibre en nous longtemps. Les notes s’envolent, mais l’amour reste.

cherejoblo@ledevoir.com

Instagram : josee.blanchette

Noté que le Chœur des hommes gallois de Montréal et le Chœur de cloches du village de Saint-Lambert donneront leur concert de Noël le jeudi 19 décembre prochain à 19 h 30.

Église unie de Saint-Lambert, 85, boul. Desaulniers. Billets à 20 $ à la porte. Premiers arrivés…

Retenu que le concert du vendredi 13 décembre, à l’église Saint-Pierre Apôtre (station de métro Beaudry) mettrait en avant du violon, du violoncelle et du Bramhs dans cette belle église où mes grands-parents se sont mariés. Avec l’Ensemble Jean Cousineau — Marie-Claire Cousineau, Isabelle Bélanger-Southey, Julien Oberson et Alexandre Castonguay —, accompagné des invités d’honneur Yukari Cousineau et Stéphane Tétreault. Gratuit pour les 17 ans et moins. Billets à 22 $.

Rereregardé l’épisode de Noël de la saison 2 de Downton Abbey cette semaine. L’Angleterre de 1919, Granny (Maggie Smith) et ses réparties assassines et Mary l’audacieuse féministe qui grelotte dehors devant son château. Tout ce qu’on aime d’une romance et d’un drame de Noël. Ne manque que les clochettes… (Netflix). bit.ly/3Vyf0Ys

JOBLOG — Mes plats réconforts

Si je ne les avais déjà, il y a deux livres de cuisine que je voudrais recevoir à Noël. D’abord, Pinardises, qu’on vient de réimprimer (j’ai écrit la préface, qui m’a rappelé comment j’avais rencontré Daniel Pinard). C’est une lecture tout autant que des « récettes ». Il paraît que les classiques reviennent à la mode chez les jeunes, koulibiac de saumon, poulet à la Kiev, fettuccine Alfredo, un livre nostalgie dont je ne me sers plus depuis que je suis végétarienne, sauf pour quelques salades et la sauce ponzu. Mais le relire me permet de réentendre la voix moqueuse de l’animateur de Ciel ! Mon Pinard.

L’autre livre vient d’être publié (édition québécoise) : Réconfort, par Yotam Ottolenghi. Une centaine de recettes qui mettent aussi l’accent sur les légumes, mais pas que. La section consacrée aux pains et aux tourtes vaut le détour. Celle des desserts fait saliver, notamment le gâteau « frigidaire » au chocolat présenté comme une bûche de Noël. Le célèbre Ottolenghi et ses trois coautrices ont mis en valeur leurs recettes d’enfance ou les plus populaires avec leurs amis. Cadeau gagnant pour les amateurs de porno culinaire.

Ce texte fait partie de notre section Opinion, qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.

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