Réseaux sociaux à l’australienne
L’Australie a souvent été pionnière dans la mise en place de mesures pour promouvoir la sécurité en ligne. L’approche de la loi adoptée fin novembre par les élus australiens afin de limiter l’accès aux réseaux sociaux des moins de 16 ans peut éclairer les débats d’ici. Cette loi se fonde sur des impératifs de santé publique. La protection de la santé des jeunes utilisateurs des médias sociaux nécessite une réponse forte des autorités publiques.
La loi oblige les plateformes de médias sociaux à prendre des mesures raisonnables pour empêcher les utilisateurs n’ayant pas atteint l’âge minimum de détenir un compte. Elle vient compléter la Loi sur la sécurité en ligne de 2021, qui s’attaque à des fléaux comme le partage illicite d’images intimes, le harcèlement et la cyberintimidation. On y définit un « utilisateur soumis à des restrictions d’âge » comme une personne âgée de moins de 16 ans. Les plateformes de réseaux sociaux soumises à la limite d’âge sont celles dont le « seul but, ou un but important » est de permettre une interaction sociale en ligne ou de publier du matériel.
L’Australie est déjà dotée d’un organisme ayant notamment pour tâche de recevoir des plaintes et d’enquêter sur les situations de partage non consensuel d’images intimes, de pratiques abusives ou de violations des codes de conduite de l’industrie. Des décisions à venir de cette instance préciseront les plateformes spécifiques qui seront soumises aux obligations d’interdire l’accès aux moins de 16 ans.
Les services en ligne qui seront visés s’exposeront à des amendes pouvant aller jusqu’à 50 millions de dollars australiens (45 millions de dollars canadiens) s’ils ne prennent pas des « mesures raisonnables » pour empêcher les mineurs de moins de 16 ans d’avoir un compte. La loi ne mentionne pas spécifiquement les applications de messagerie (telles que WhatsApp et Messenger) ni les plateformes de jeux (telles que Minecraft). Mais les « services dont l’objectif principal est de soutenir la santé et l’éducation des utilisateurs finals » ne seraient pas visés par l’exclusion des moins de 16 ans.
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Lors des opérations de vérification de l’âge, il sera interdit de collecter des pièces d’identité délivrées par le gouvernement, comme les passeports et les permis de conduire, « comme seul moyen » de confirmer l’âge d’une personne. Les réseaux sociaux pourront toutefois recueillir ces pièces d’identité officielles « à la condition que d’autres méthodes de vérification aient été proposées aux utilisateurs ». Une étude indépendante devra être réalisée deux ans après la mise en œuvre de la loi afin d’évaluer les questions relatives à la protection de la vie privée.
La limitation d’âge peut être nécessaire à l’égard de certains types de réseaux sociaux. Mais elle n’est pas suffisante. Une commission parlementaire a d’ailleurs recommandé au gouvernement australien de compléter sa loi en imposant un « devoir de diligence numérique » aux entreprises technologiques. Celles-ci seraient tenues de procéder régulièrement à des évaluations approfondies des risques liés au contenu de leurs plateformes. De plus, les entreprises devraient répondre aux plaintes des consommateurs, ce qui entraînerait le retrait des contenus potentiellement dangereux.
Aux parents d’agir ?
On entend souvent dire que les parents devraient seuls assurer l’usage adéquat des réseaux sociaux par leurs enfants. Ce discours brandissant la « responsabilité » des parents paraît extraordinairement naïf. Certes, les parents doivent assurer une surveillance des activités en ligne de leurs enfants. Mais les parents les mieux intentionnés du monde ne peuvent à eux seuls assurer que leurs enfants ne subiront pas les effets indésirables des algorithmes des réseaux sociaux.
Il est irréaliste de leur faire porter la responsabilité des dérives qui résultent du fonctionnement de réseaux sociaux configurés pour maximiser les revenus des entreprises. Les dangers auxquels les réseaux sociaux exposent les jeunes découlent surtout du fait qu’ils sont optimisés pour accroître leur dépendance et les profits des plateformes. C’est sur ces aspects que les lois doivent intervenir.
L’enjeu de la vérification de l’âge est aussi débattu au Canada. Le projet de loi S-210 présenté par la sénatrice Julie Miville-Dechêne propose d’imposer aux plateformes qui distribuent des contenus dits « pour adultes » une obligation de prendre les moyens de s’assurer de l’âge des personnes qui accèdent à leurs contenus. Dans ce dernier cas, il s’agit d’un élémentaire impératif de cohérence. Comment justifier que les revues « érotiques » vendues dans les dépanneurs soient interdites aux moins de 18 ans, alors que des contenus pornographiques leur sont accessibles en quelques clics ? Il est désolant que tant de gens ne semblent pas voir l’incohérence entre les règles qui prévalent en dehors d’Internet et le laisser-aller qu’on tolère lorsque la même chose se passe dans le réseau.
Cette incohérence mine la légitimité des lois.
Ce texte fait partie de notre section Opinion, qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.