Le REER, que pour les hauts revenus?

Pendant que les uns lancent des mises en garde contre un accroissement de ce que l’on peut appeler le risque de longévité, soit de survivre à son capital retraite, d’autres se lèvent pour suggérer l’abolition des REER — un régime qui ne bénéficierait qu’aux hauts revenus, disent-ils. Quand les mythes persistent…

Ici et là, des économistes et des analystes se questionnent, voire remettent en question le bien-fondé de comptes fiscalisés tels que le régime enregistré d’épargne-retraite (REER). Ils évoquent les milliards de dollars en mesures fiscales qu’ils coûtent et soutiennent qu’ils bénéficient davantage aux particuliers les mieux nantis, ce qui ne peut qu’accentuer les inégalités économiques. Pourquoi ne pas profiter de cette « campagne REER 2024 », qui prend fin le 3 mars, pour se demander ce qu’il en est réellement ?

D’abord, le coût fiscal. Le REER étant un régime d’étalement du revenu imposable, la déduction n’est jamais acquise : les sommes sont imposées lors du retrait. Pour le gouvernement, un possible manque à gagner vient de l’écart entre le taux d’imposition au moment de la contribution et celui lors du retrait. Et cette incitation à l’épargne-retraite est grossie par des rendements qui seront eux aussi pleinement imposés, sans distinction, le gain en capital et le dividende bénéficiant d’un traitement fiscal avantageux lorsque reçus hors REER.

S’ajoute une baisse des pressions sur les régimes publics et sur les programmes de supplément de revenu garanti avec, à la clé, des mesures de récupération fiscale, la contribution du gouvernement à ces programmes allant en diminuant pour s’annuler au rythme de l’accroissement du revenu du retraité.

Ensuite, pensons au biais de ces régimes envers les riches et les autres privilégiés. En 2024, la cotisation maximale permise était plafonnée au moindre des deux éléments suivants : 31 560 $ ou 18 % du revenu gagné l’année précédente. Soit un revenu gagné maximal de 175 333 $. De plus, selon les données d’Ottawa, en 2023, la cotisation moyenne des familles composant la strate de revenu supérieur était trois fois plus élevée que celle des familles formant le quintile de revenu le plus faible, mais pour un écart de revenu d’au moins quatre ou cinq fois plus grand.

Et une fois cela dit, la quasi-totalité de ces « privilégiés », dont le revenu se situe autour ou au-delà du plafond de cotisation annuel, a la chance de profiter de la protection de régimes complémentaires de retraite — et à prestations déterminées (RPD) pour les plus chanceux d’entre eux. Les cotisations annuelles admissibles au REER sont amputées d’un facteur d’équivalence qui tient compte des contributions à un régime complémentaire. Le facteur d’équivalence est d’autant plus restrictif que les cotisations sont faites à un RPD plutôt qu’à un régime à cotisations déterminées.

Raréfaction des régimes

Le tout est à mettre dans le contexte de statistiques démontrant que les régimes de retraite en milieu de travail se raréfient ou encore que la contribution venant de ces régimes complémentaires va en diminuant. Et la limousine d’entre eux, les régimes à prestations déterminées, est devenue en définitive l’exclusivité des grandes entreprises et de la fonction publique, et la plupart de ces régimes sont indexés par surcroît.

Au Québec, à la fin de 2020, près de 1,7 million des quelque quatre millions de travailleurs (soit quatre travailleurs sur 10) participaient à ces régimes, selon les données de Retraite Québec. Du nombre, les RPD ne représentent plus qu’à peine le quart de l’ensemble des régimes. On peut aussi extrapoler et dire que plus de la moitié des cotisants à des régimes complémentaires appartiennent au secteur public et parapublic alors que, dans le secteur privé, seulement un travailleur sur cinq participait à un tel régime. Pour les autres, il ne reste que les régimes publics et les REER. Nombre de petites entreprises ne pouvant s’offrir un régime de pension traditionnel vont aussi s’en remettre aux REER collectifs.

Sans oublier que, pour plusieurs de ces « privilégiés », la réflexion fiscale n’est pas tant de cotiser ou non à un REER que de se verser une rémunération sous forme de salaire ou de dividende. Le dividende n’entrant pas dans la définition de revenu gagné, il ne donne pas droit à une cotisation REER.

Quant au résultat net… il va sans dire que le REER repose d’abord sur la capacité d’épargner. Et puisque le taux de cotisation est calculé selon un pourcentage du revenu gagné, les contributions se veulent, en données absolues, plus élevées à mesure que le revenu augmente. Mais sur une base relative, le système canadien de revenu de retraite s’articule autour de l’objectif d’un taux de remplacement du revenu d’au moins 60 %. Le premier pilier du système est composé du supplément de revenu garanti, de la pension de la Sécurité de vieillesse et de l’allocation pour conjoint, qui prennent la forme d’un revenu minimum.

Au Québec, le RRQ occupe le deuxième pilier. Depuis 2019, il est composé du régime de base et du régime supplémentaire. L’ajout de ce dernier entraîne une augmentation du taux de remplacement du revenu, qui passera de 25 % à 33,33 %, jusqu’à un plafond. Plus précisément, cet ajout entraîne aussi une augmentation du salaire admissible maximal, jusqu’à ce qu’il atteigne 114 % du maximum des gains admissibles en 2025.

On peut donc retenir de tout cela que sur la base du revenu de remplacement, une très grande partie de la population composant les strates des revenus moins élevés se retrouve relativement bien couverte par les régimes publics. Mais pour ce qui est des travailleurs de la classe moyenne, très nombreux à ne pas compter sur les ressources d’un régime complémentaire…

Ce texte fait partie de notre section Opinion, qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.

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