Le poète de Joliette

Il y a des écrivains qui nous accompagnent tout au long de notre vie. Ce ne sont pas nécessairement les plus célèbres. Un jour, par un concours de circonstances, attirés par un titre, un sujet, un nom, nous les avons lus et, depuis, nous accueillons leurs nouveaux livres comme d’inattendus cadeaux de la vie.

Pour moi, Donald Alarie est l’un de ceux-là. Il a été, il y a plus de 35 ans maintenant, mon professeur de poésie québécoise au cégep de Joliette. J’étais, à l’époque, fébrile, intense, toujours prêt à en découdre en matière littéraire. J’aimais, pourtant, sa quiétude et sa délicatesse. Il me faisait découvrir que la passion littéraire n’a pas besoin de faire du bruit pour être fervente.

En 1986, Alarie publiait Un homme paisible, aux éditions Pierre Tisseyre, un recueil de nouvelles dont le titre représente bien son auteur. À le lire, toutefois, on constatait rapidement que le calme de l’homme du titre n’empêchait pas ce dernier d’être à l’écoute du monde et des autres, de vivre, par conséquent, avec une conscience aux aguets, malgré sa placidité.

Les personnages d’Alarie ne sont pas et ne se prennent pas pour des héros. Ce sont des gens du quotidien qui, comme l’expliquait Alarie dans Comme on joue du piano (Trois-Pistoles, 2010), le seul essai de son œuvre, préfèrent les « voies de contournement aux autoroutes » pour explorer le métier de vivre. « L’écriture de fiction, notait l’écrivain dans cet essai, est l’occasion de parler de la vie, de son caractère inachevé mais également de sa beauté. »

Aujourd’hui, à 79 ans, Alarie continue d’aller son petit bonhomme de chemin en publiant régulièrement des nouvelles et des poèmes chez divers éditeurs. Sa plus récente œuvre, Nuances de la saison (Écrits des Forges, 2024), m’a particulièrement touché, puisqu’il s’agit d’un recueil de poèmes ayant comme inspiration le fait de vivre dans la ville de Joliette, le lieu d’adoption d’Alarie depuis 1973 et le mien, depuis plus de trois décennies.

Que l’on ne s’y méprenne pas, toutefois. Nuances de la saison n’a rien d’un guide touristique. Il témoigne plutôt d’une expérience existentielle, celle de vivre en partie à l’abri de la fureur du monde, mais avec le monde en soi.

Un homme âgé vit à Joliette et y déambule. Les lieux aimés qu’il fréquente ne sont pas prestigieux — un parc, un coin de rue, un café —, mais font naître en lui des réflexions impressionnistes sur la condition humaine universelle. Alarie n’a rien d’un écrivain régionaliste. C’est un poète mature, qui sait donc que l’essentiel se vit en région comme ailleurs.

Au coin d’une rue, le poète est sorti de sa bulle par le son strident d’une sirène. « Je perds pied quelques instants / inquiet pour des inconnus / aux prises avec un malheur //ma joie est ébranlée / mes certitudes aussi », note-t-il.

Plus loin, il se fait la réflexion que « des voix multiples / nous rejoignent chaque jour […] / les accueillir dignement / est notre défi ». Même s’il croit que « la vie intérieure / est un refuge nécessaire », le poète demeure conscient que « les malheurs quotidiens / peuvent tout détruire » et que « composer le 9-1-1 / ne règle pas tout //trop de blessures / sont incompréhensibles //même pour les spécialistes / des grandes détresses ».

Ordonnée, limpide et accessible, la poésie d’Alarie dit la difficulté de vivre sans avoir la réponse « à toutes les questions embêtantes / qui nous assaillent », mais elle murmure aussi, du même souffle, la beauté de la fraternité.

Marchant dans Joliette avec un ami — que je devine être Claude R. Blouin, spécialiste du cinéma japonais et autre figure culturelle importante de la ville —, Alarie constate que « nos craintes sont moins lourdes / ainsi partagées //nos soucis / s’effilochent / le long du trottoir ».

La saison évoquée dans le titre du recueil est l’automne. Au crépuscule de sa vie, le poète se reconnaît dans les feuilles qui tombent. « Une feuille se détache / flotte dans l’air / au gré d’une accalmie //verlainienne / elle hésite / ici et là / ce sera bientôt la fin //aucun signe de révolte / mourir en douceur lui convient //aurons-nous la même sagesse ? » écrit-il incertain.

À l’heure de classer, « par ordre d’importance / [ses] désespoirs / et [ses] éblouissements », le poète, amateur « de beautés fragiles », se demande s’il reverra le « spectacle grandiose » des couleurs automnales. Près de la bibliothèque Rina-Lasnier, il entend les feuilles tombées chuchoter sous ses pieds : « Je ne comprends pas / toutes les histoires / qu’elles inventent / je les écoute malgré cela / avec ravissement //l’an passé / c’était le même enchantement //qu’en sera-t-il / l’an prochain ? //planifier / est devenu un jeu impossible ».

Il y a 35 ans, Donald Alarie m’a appris à aimer la poésie, c’est-à-dire à écouter le monde, malgré tout, avec émerveillement. Jamais je ne l’oublierai.

Ce texte fait partie de notre section Opinion, qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.

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