On ne peut pas coudre avec une aiguille à deux pointes

S’il y a bien une chose qui accapare l’attention des médias en ce moment, c’est l’élection présidentielle aux États-Unis. Avec les enjeux qu’elle représente, il est normal qu’elle polarise autant le public que les investisseurs. D’un côté, certains estiment qu’une victoire de Donald Trump apporterait incertitude et chaos avec de nouvelles politiques commerciales et fiscales. De l’autre, une victoire de Kamala Harris pourrait déclencher d’importants investissements publics liés aux enjeux climatiques, tout en renforçant la réglementation dans certains secteurs, et un cadre de politique commerciale plus apaisé. Chaque fois qu’un investisseur me dit que l’économie se portera mieux avec Trump, un autre me dit que ce serait une catastrophe, et vice versa. Alors, que devrait-on faire avec ses placements dans ce contexte ?

Je ne suis pas un expert en politique américaine, mais en tant qu’observateur de l’économie, je constate que l’influence des élections sur les portefeuilles à long terme est souvent exagérée. Cette exagération découle notamment de l’effet de récence, un biais cognitif qui pousse les investisseurs à modifier leurs portefeuilles trop rapidement après des élections perçues comme positives ou négatives. Pourtant, les données historiques montrent qu’à long terme, cela ne change pas grand-chose. L’investisseur qui aurait choisi d’ignorer les élections et de rester sur sa stratégie à long terme aurait généralement fait beaucoup mieux que ceux qui ont tenté de jouer le marché à court terme en fonction des résultats électoraux.

Prenons un exemple. Un partisan républicain fidèle qui aurait investi 1000 $ il y a 70 ans dans le S&P 500 uniquement sous les mandats de présidents républicains verrait aujourd’hui cette somme atteindre 27 400 $. Un investisseur pro-démocrate aurait vu son investissement valoir près de 61 800 $ sous des présidents démocrates. Mais voici ce qui est plus frappant : un investisseur qui n’aurait pas tenté de « coudre » son portefeuille en fonction des changements de présidents, et qui aurait laissé ses 1000 $ investis sans interruption, verrait aujourd’hui cette somme atteindre 1 690 000 $. Ce simple calcul montre bien le coût de la partisanerie et des modifications fréquentes.

Les résultats des élections ont certes un effet à court terme sur les marchés, mais en prenant du recul, on constate que la croissance économique et les rendements des portefeuilles sont peu affectés par le parti au pouvoir. En analysant les rendements boursiers du Dow Jones sous des présidents démocrates et républicains depuis 1901, on observe que le rendement médian sous les républicains était de 23,8 % contre 51,1 % sous les démocrates. Mais une fois ajusté sur une base annuelle, le rendement médian devient presque identique : 6,6 % pour les deux partis.

Pour les investisseurs, la meilleure stratégie est souvent de ne rien faire. Céder aux émotions provoquées par les résultats électoraux peut entraîner des pertes importantes à long terme. Le temps reste l’allié le plus précieux des investisseurs. Même si vous étiez le plus malchanceux des investisseurs des 40 dernières années et que vous aviez investi juste avant le krach de 1987, l’éclatement de la bulle Internet, la crise financière de 2008, ou avant la pandémie de COVID-19 en 2020, vous auriez tout de même obtenu un rendement annuel moyen de 7,2 %. Un rendement suffisant pour doubler votre argent tous les dix ans, ou transformer chaque dollar investi en huit dollars.

Malgré nos allégeances politiques, la meilleure chose que l’on puisse souhaiter pour l’économie lors de la prochaine élection, c’est un équilibre des pouvoirs. Historiquement, le marché boursier américain tend à mieux fonctionner lorsque le gouvernement est divisé entre les partis. Par exemple, lorsque les démocrates contrôlent la Maison-Blanche et une seule chambre du Congrès, mais pas les deux, le rendement moyen du S&P 500 a été d’environ 13 %. Si les républicains ont la Maison-Blanche et le Sénat, mais pas la Chambre des représentants, le rendement moyen était de près de 8 %. Un contrôle total des démocrates a produit un rendement moyen de près de 6 %, tandis qu’un contrôle républicain absolu a généré un rendement de seulement 4 %.

Le pire des scénarios historiques a été un président républicain face à un Congrès démocrate, avec un rendement moyen de 3,5 %. Un gouvernement divisé limite les capacités des partis à imposer des changements radicaux, ce qui semble créer un climat de stabilité pour les entreprises et les marchés financiers. Sous le gouvernement de Barack Obama, par exemple, des compromis ont été nécessaires pour voter des réformes, puisque son congrès était républicain, ce qui a permis de maintenir un certain équilibre entre les intérêts du marché et les préoccupations politiques.

Ce que ces chiffres nous montrent, c’est que bien que les promesses politiques divergent et que les élections puissent créer de la volatilité à court terme, à long terme, il est rarement judicieux de réagir de manière impulsive à chaque élection. Ce n’est pas l’élection en elle-même qui façonne le marché, mais la patience et la stratégie à long terme. En diversifiant ses investissements entre différents secteurs, classes d’actifs ou zones géographiques, l’investisseur se dote de la meilleure protection contre l’incertitude et maximise ses chances de succès à long terme.

Ce texte fait partie de notre section Opinion, qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.

À voir en vidéo