Notre Colette

Si la France a eu sa Colette (1873-1954), romancière renommée, le Québec a aussi eu la sienne. Elle s’appelait, de son vrai nom, Édouardina Lesage (1875-1961) et a travaillé comme journaliste à La Presse pendant plus de 50 ans, de 1903 à 1956.

L’historienne et archiviste Maude Savaria nous la fait connaître dans Écris donc à Colette (Marchand de feuilles, 2024, 304 pages), un passionnant essai tiré d’un mémoire de maîtrise en histoire. On y rencontre à la fois une étonnante écrivaine méconnue et un Québec de la première moitié du XXe siècle encore attaché au conservatisme et à la morale catholique traditionnelle, mais que la modernité commence à titiller.

La Colette québécoise est une perle rare. Née en Mauricie, en 1875, dans une famille dont le père, cultivateur, se passionne pour la littérature, elle étudie d’abord à Louiseville en vue de devenir institutrice, mais sa grande timidité la force à renoncer à ce projet.

Sous le pseudonyme de Colette, elle se lance alors dans l’écriture et entre à La Presse comme rédactrice de la page féminine. Une de ses tâches consiste à répondre aux lettres des lectrices. En 1906, cette rubrique devient le « Courrier de Colette », qui durera un demi-siècle et contiendra toute l’œuvre de la journaliste, demeurée célibataire sa vie durant.

Colette est essentiellement une courriériste. On lui écrit pour lui demander des conseils sur la mode, sur la cuisine, sur les bonnes manières, sur le couple, sur la famille et sur l’amour. Elle publie anonymement les questions de ses lectrices et lecteurs avant de leur répondre avec une remarquable élégance. La journaliste était si populaire qu’elle recevait plus de 100 lettres par jour.

Même si elle est autodidacte, précise Savaria, « Colette est perçue comme une experte de la famille, des relations amoureuses et des mœurs sociales normatives et genrées ». Plus encore, avec le temps, elle devient « aussi une confidente intime : la grande sœur, la tante de tout le monde qui le veut bien », « une solution de rechange intéressante aux canaux habituels d’aide que sont la religion et la famille ».

Colette est conservatrice et elle bouscule rarement l’idéologie dominante de l’époque. En matière de mode, par exemple, elle plaide pour la modestie féminine et, si elle ne s’oppose pas aux nouvelles tendances — le pantalon, les cheveux courts et le maquillage —, elle dit que les femmes, en la matière, comme dans le reste, d’ailleurs, doivent s’en remettre « à l’avis de leur mari ».

Elle se permet néanmoins des audaces. Elle tance, par exemple, les hommes qui considèrent leur femme comme une servante et se croient les seuls dépositaires de l’argent qu’ils gagnent. À une femme qui lui écrit, en 1955, pour déplorer que les femmes de plus de 40 ans se maquillent pour jouer aux jeunes, elle réplique qu’il serait stupide de se présenter aux autres « sous l’aspect d’une vieille momie courbée par les ans » quand les produits de maquillage permettent de prolonger fraîcheur et beauté.

Quand un jeune homme, en 1931, lui écrit que les femmes ne devraient pas travailler puisqu’elles n’ont ni la santé ni l’endurance pour le faire, que la religion leur attribue une autre mission et qu’elles volent, ce faisant, des emplois aux hommes, Colette lui administre une cinglante réplique.

À l’université, note-t-elle, les rares femmes admises réussissent souvent mieux que les hommes. Il est vrai, continue-t-elle en bonne catholique, que c’est à l’homme de gagner le pain, mais s’il ne le fait pas, la femme doit-elle se laisser mourir de faim ?

Bien des universitaires masculins, d’ailleurs, font financer leurs études par leur sœur, leur mère ou leur tante. Le travail féminin, enfin, ne nuit pas aux emplois masculins puisque, dans les pays où il est le plus répandu, la crise frappe moins fort. Tiens, toé, comme on dit. En général, toutefois, Colette réserve le travail féminin aux célibataires.

Certaines de ses réponses, lues aujourd’hui, défrisent. Colette attribue aux jeunes filles la responsabilité de leur vertu et considère que l’infidélité des maris a pour cause le fait que les épouses ne sont pas à la hauteur de leur mission.

La journaliste ne semble pas avoir une très haute opinion des hommes, mais elle prône néanmoins la patience, voire la soumission, à leur égard. Elle fixe toutefois des limites : à des lectrices qui lui disent être aux prises avec un mari violent ou alcoolique impénitent, elle suggère de quitter le foyer.

Ce livre est émouvant. Colette a fait de son charisme de célibataire un apostolat au service des femmes de son temps. C’est beau. Lire les cris du cœur de ses correspondantes l’est tout autant. Maude Savaria, en redonnant vie à cette aventure, nous plonge au cœur de l’intimité féminine d’hier. Il y a là un doux et vibrant trésor.

Ce texte fait partie de notre section Opinion, qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.

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