Un mauvais film

Un soir de semaine, au début du mois de janvier, je me rends chez une amie pour finaliser un projet de couture. Je m’installe à l’îlot central pour prendre un verre d’eau tandis que je papote avec son amoureux. Leur plus jeune fils, qui vient tout juste de sortir de la douche, apparaît soudain devant nous emmitouflé dans sa serviette. Il a l’âge où cette dernière recouvre encore tout son petit corps. Il s’arrête net pour nous demander, de but en blanc : « Est-ce que c’est vrai que Trump va nous attaquer ? » Il ajoute qu’il a « entendu ça aux infos à la radio ».

Je perçois que le père de l’enfant ne possède pas toutes les informations nécessaires pour lui répondre, car il n’a pas encore entendu la nouvelle du jour. Alors, je me lance dans une réponse que je veux rassurante : « Mais non, t’inquiètes pas, Trump ne va pas nous attaquer avec des armes. Il menace d’utiliser la force économique pour nous obliger à faire des choses qu’on ne veut pas faire. »

Ma réponse n’a rien de compréhensible pour le petit bonhomme. Son visage affiche la même mine inquiète. Il ajoute qu’il a entendu la madame dire que Trump voulait la guerre. Je tente à nouveau une réponse : « Oui, mais une guerre des tarifs. » Malheureusement, je vois bien qu’aucun de mes mots n’a de sens aux yeux de l’enfant de 8 ans, qui se retire prestement dans sa chambre, les sourcils froncés.

Permettez-moi d’avouer ici qu’en vérité, j’ai bien du mal, moi aussi, à comprendre les finesses de la géopolitique nord-américaine ces jours-ci. Je lis les articles et j’écoute les experts de divers panels, mais je ne comprends… rien. Bien sûr, je suis capable de saisir les enjeux principaux. Je vois bien que la menace d’augmenter les tarifs est un levier puissant pour obtenir des gains. Je suis en mesure d’imaginer l’inquiétude des secteurs de notre économie qui exportent vers les États-Unis. Le tout alors que le Canada voit son Parlement prorogé à la suite de l’annonce de la démission du premier ministre Justin Trudeau.

Reste que si on m’avait dit qu’un jour, un président des États-Unis parlerait sérieusement de faire du Canada le 51e État américain et que, du même souffle, il réitérerait sa volonté d’acheter le Groenland ou envisagerait une prise de contrôle du canal de Panama par la force, j’aurais cru à une œuvre dystopique. Le fait que ce président aurait nommé l’homme le plus riche du monde à la tête de son nouveau département américain de l’Efficacité gouvernementale ajouterait un côté irréel à l’histoire. Et le fait que ce même président aurait été jugé coupable par un jury de 34 chefs d’accusation dans une sordide histoire de complot pour cacher une liaison, mais que le juge l’aurait laissé partir avec une très clémente libération inconditionnelle, à 10 jours de son intronisation, ajouterait encore un peu de sel à cette même histoire.

On planterait le décor de cette mauvaise fiction dans une Californie ravagée par des feux dévastateurs. Cela permettrait ainsi de montrer une autre facette de cet affreux personnage, qui profiterait du malheur des Californiens pour étaler son mépris de la science et son climatoscepticisme. Il irait même jusqu’à répandre de fausses informations, en affirmant notamment que la Californie manque d’eau à cause des politiques environnementales démocrates qui détourneraient l’eau de pluie pour protéger un « poisson inutile ». Pourtant, il est connu que la Californie fait face à des défis hydriques principalement dus au secteur agricole, à l’étalement urbain et aux sécheresses de plus en plus fréquentes. Ces défis n’ont rien à voir avec l’éperlan du delta.

Ce scénario biscornu, digne d’un film de série B, n’attirerait certainement pas les foules au cinéma. Alambiquée, grotesque, peu crédible… on a là la liste non exhaustive des qualificatifs que les critiques de cinéma auraient pu choisir pour décrire cette saga. Mais, voilà, la réalité dépasse de plus en plus souvent la fiction. Cela est véritablement en train de se produire sous nos yeux. L’Amérique du Nord devra désormais composer avec une oligarchie arrogante, ignorante et revancharde.

Pendant ce temps-là, en France, des chroniqueurs tentent de réhabiliter Jean-Marie Le Pen après son décès. Le Pen, célèbre pour son antisémitisme, a consacré toute sa carrière politique à attiser les flammes de l’intolérance. Certains, comme l’analyste politique et membre du Rassemblement national Jérôme Sainte-Marie, vont jusqu’à le qualifier de « lanceur d’alerte » sur les questions liées à l’immigration, mais son discours lui-même entravait l’intégration des immigrés. Je me rappelle qu’à la fin des années 1980, des jeunes portant les couleurs du Front national (FN) venaient terroriser mes collègues, issus de l’immigration, à la sortie des classes. Seuls ceux ayant un teint caucasien, comme le mien, évitaient les insultes et les coups. Pourtant, certains étaient immigrants eux aussi, mais c’était moins « visible ». L’idée n’est pas d’aller danser sur sa tombe, ce serait une démarche complètement stérile. En revanche, banaliser et rendre respectables ses idées peut s’avérer extrêmement préjudiciable, à mon avis.

Ce qui ajoute une touche encore plus sombre à ce tableau, Meta abandonne la vérification des faits aux États-Unis, alors que les faits alternatifs prolifèrent sur les réseaux sociaux. La désinformation, les théories du complot, le déni de la science sont désormais des données sociologiques que les anthropologues du futur devront prendre en compte pour comprendre la société d’aujourd’hui.

Je revois le regard perplexe de ce petit garçon que je n’ai pas su tranquilliser parce que je suis moi-même plongée dans l’incertitude et l’appréhension. Je donnerais n’importe quoi pour avoir 4 ans, m’asseoir devant la télé, écouter la grand-mère de Passe-Partout me raconter une histoire rassurante. Mais c’est une époque révolue. La fabuleuse Kim Yaroshevskaya nous a quittés, emportant avec elle ce qui me restait de candeur.

Ce texte fait partie de notre section Opinion, qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.

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