Le match de revanche de PSPP
En 1993, le chef du Parti québécois (PQ) de l’époque, Jacques Parizeau, avait décrit la campagne électorale fédérale qui se déroulait cet automne-là comme « la première période » d’un match de hockey qui mènerait à la souveraineté du Québec. Le plan de match de M. Parizeau avait semblé se mettre en place avec l’élection de 54 députés du Bloc québécois au scrutin du 25 octobre. Avec la victoire du PQ l’année suivante, les souverainistes avaient aussi pu se vanter d’avoir gagné la deuxième période. La troisième période ne s’est toutefois pas déroulée comme M. Parizeau l’avait prévu.
N’empêche que les similitudes entre la période préréférendaire des années 1990 et la période post-Justin Trudeau qui s’amorce demeurent frappantes.
À la veille des élections fédérales, les troupes bloquistes mènent largement dans les sondages. Alors que le Parti libéral du Canada (PLC) s’apprête à se choisir un nouveau chef, le 9 mars prochain, on voit mal comment un parti mené par Chrystia Freeland ou Mark Carney pourrait effectuer une remontée au Québec, où il se trouve actuellement en troisième place, loin derrière le Bloc québécois. Ce dernier apparaît comme le favori de cette « première période » que constitueront les élections fédérales, lesquelles seront vraisemblablement tenues au printemps.
La deuxième période de ce match revanche réclamé par les souverainistes risque d’être plus corsée pour l’équipe de Paul St-Pierre Plamondon. Car si le PQ demeure en tête des sondages en vue des élections québécoises de 2026, il y a loin de la coupe aux lèvres. Il reste en tête de liste des politiciens les plus aimés au Québec, selon un récent sondage Léger, mais il a perdu des plumes auprès de l’électorat depuis un an. On peut s’attendre à ce qu’il soit forcé de se défendre contre les attaques de plus en plus virulentes lancées par ses adversaires caquistes, libéraux et solidaires au fur et à mesure que le rendez-vous électoral approchera.
Dans la foulée de l’annonce de la démission de M. Trudeau, qui quittera ses fonctions de premier ministre et de chef du PLC dès que le parti aura choisi son successeur, M. St-Pierre Plamondon n’y est pas allé de main morte.
Selon lui, M. Trudeau fut non seulement « l’un des pires premiers ministres de l’histoire du Canada », mais il aura été pire pour le Québec que son père, Pierre Elliott Trudeau, à qui on doit la Constitution de 1982, adoptée sans l’appui de l’Assemblée nationale. « Le père était peut-être plus hargneux envers le Québec, mais Justin Trudeau a voulu pousser le bouchon plus loin, a martelé le chef péquiste. Le plus de dettes possible, le plus de communautarismes possible, le plus de dépenses sans réfléchir à la santé de notre économie. »
Le départ de M. Trudeau force néanmoins PSPP à changer son fusil d’épaule. Il adapte ainsi son discours en vue de l’arrivée probable de Pierre Poilievre à la tête du gouvernement fédéral. Le chef conservateur « va gouverner en fonction des intérêts, des préoccupations de l’Ouest canadien. Il n’a pas besoin du Québec pour gagner et ne considérera pas nos intérêts et nos préoccupations », a-t-il affirmé cette semaine.
M. St-Pierre Plamondon réclame donc la création d’une « Équipe Québec » afin de défendre les intérêts économiques de la province face aux menaces du président américain désigné, Donald Trump. Selon lui, la « désorganisation complète de la position canadienne » nécessite une réponse forte et unifiée de la part de tous les acteurs économiques et politiques québécois afin de s’assurer que leurs intérêts seront pris en compte lors des futures négociations commerciales avec les États-Unis.
PSPP accuse d’ailleurs le gouvernement Trudeau d’avoir sacrifié les intérêts du Québec lors des négociations de 2018 sur le renouvellement de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) et son remplacement par l’Accord Canada–États-Unis–Mexique (ACEUM). Or, si l’on se fie au récit des négociations présenté dans un livre récent de Robert Lighthizer, qui fut représentant au Commerce lors du premier mandat de M. Trump, le gouvernement Trudeau aurait refusé de céder aux demandes américaines visant à éliminer le système canadien de gestion de l’offre lors des pourparlers afin « d’apaiser les producteurs laitiers bien nantis de la province politiquement importante du Québec ». Alors que M. Lighthizer avait exigé l’ouverture complète du marché canadien, l’ACEUM n’a accordé aux producteurs américains qu’une part de marché de 3,9 % du volume de lait vendu au Canada. Ottawa a versé 1,7 milliard de dollars aux producteurs laitiers canadiens en guise de compensation pour cette concession.
M. St-Pierre Plamondon est aussi revenu cette semaine sur les dispositions de l’ACEUM sur l’aluminium en insistant pour dire que ce secteur, dont la production canadienne est concentrée à 90 % au Québec, ne jouit pas des mêmes garanties que l’industrie de l’acier, concentrée en Ontario. Or, rien n’indique que les producteurs québécois d’aluminium aient été désavantagés par rapport aux producteurs ontariens d’acier dans l’ACEUM. D’ailleurs, les exportations canadiennes d’aluminium ont connu un bond important après que M. Trump eut enlevé les tarifs douaniers de 10 % qu’il avait imposés en 2018. Pendant la même période, l’acier canadien avait été frappé de tarifs de 25 %.
Il n’empêche que le retour de M. Trump à la Maison-Blanche forcera le gouvernement canadien, peu importe le parti au pouvoir, à faire des arbitrages difficiles.
Une fois le résultat connu, le défi de M. St-Pierre Plamondon sera de convaincre les Québécois qu’un Québec indépendant aurait plus de succès que le Canada à négocier avec les Américains afin de protéger ses intérêts économiques. Pour le PQ, cela pourrait même être la clé pour gagner la deuxième période, en 2026.
Ce texte fait partie de notre section Opinion, qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.