Lettre au père Noël

Petit papa Noël,
Voici ma lettre que tu recevras en retard, mais ça tombe bien, tout ce que je veux ne s’échange pas au Boxing Day.
Si tu souffres de lassitude informationnelle toi aussi, je voulais juste t’avertir : 2024 a été gratinée à broil. Lorsque le haut responsable du GIEC laisse entendre : « Si les températures ne redescendent pas plus franchement en 2025, il faudra se poser des questions », je me dis qu’on aurait dû se les poser avant. Comme dans les 5 W du journalisme : When, Where, What, Who, Why ? On peut maintenant y ajouter WTF !
Et un autre climatologue nous alerte : « La chaleur mondiale record (What) de ces deux dernières années (When) a propulsé la planète (Where et peut-être huit milliards de Who et toutes les espèces animales) en terrain inconnu (Why ? WTF !). » À part les astrophysiciens et les biologistes marins, les scientifiques détestent nager dans l’inconnu. Pour les matheux, l’inconnue est une variable que l’on doit déterminer afin de connaître la solution d’un problème. Mais nous connaissons la solution. Nous ne savons pas comment l’appliquer. Voilà le problème.
Pour revenir à toi, ton siège social au pôle Nord fondra comme une vieille sloche au goudron sauvage oubliée sur un banc durant le Festival de l’écoblanchiment. L’Arctique se réchauffe quatre fois plus rapidement que la moyenne mondiale, ai-je lu récemment tandis que tes lutins fabriquaient des bébelles. Quant à ta raison sociale, qui investirait aujourd’hui dans une marque de commerce basée sur l’épuisement des ressources, l’insatisfaction chronique, les apparences trompeuses, la facture égarée et l’enrichissement des dépotoirs ?
Porté par ton chariot volant et tes rennes en voie d’extinction, tu es le plus grand ambassadeur du capitalisme et de la croissance du PIB qui soit. Tu es aussi la source d’endettement annuelle la plus constante de tous les ménages de la classe moyenne. Tes mirages lui ont fourni des cernes et elle bouffe des antideps et des somnifères pour pouvoir courir derrière… tes friteuses à air chaud et tes écrans plats où iront s’échouer ses rêves.
Ce que nous devons faire pour survivre est aussi ce que nous devrions faire pour être heureux.
Troisième vague de mambo
Tu me pardonneras de ne plus croire en toi ; j’ai cette désagréable impression de revivre le jour de la marmotte. Les mêmes nouvelles, Justin au lieu de PET, Poilievre au lieu de Harper, Trump après… Trump. C’est l’ex-chroniqueur de La Presse Pierre Foglia qui disait qu’en vieillissant, c’était plus difficile de s’extasier lorsque le mambo revenait à la mode une troisième fois (je résume).
J’ai eu cette impression de « déjà-vu all over again » en lisant ce gros titre digne des années 1970 la semaine dernière : « Les Québécois tiennent à la viande et à leur voiture ». On a oublié, après Viande et Voiture, le troisième V pour Vol (dans le Sud ou ailleurs). Et ça chipote à cause du 35 $ ajouté récemment aux bagages de cabine chez Air Canada (des « frais abusifs », selon certains), en oubliant qu’ils s’en vont larguer l’héritage en GES de leurs enfants dans l’atmosphère.
Si la majorité de la population n’est pas prête à poser les gestes les plus essentiels pour le climat (ton dentifrice en pastilles ne fera pas la job, je le crains), ne nous étonnons pas si les gouvernements ou l’industrie ne font pas grand-chose non plus. Le triangle de l’inaction est un phénomène connu et ton usine a tout intérêt à ce que nous maintenions le statu quo du déni à l’infini.
Pendant ce temps, savais-tu que nous bouffions l’équivalent en microparticules de plastique d’une carte de crédit par semaine ? 52 par année, limite préapprouvée. C’est réconfortant de penser que l’être humain s’adapte à son environnement. Et moi qui croyais que l’argent ne se mangeait pas.
Il faudra aussi s’adapter à tous ces déchets que nous produisons à la pelle, petit papa Noël. Je te suggère de visionner le documentaire Buy Now ! si tu voulais savoir ce qu’Amazon fait de tes jouets ou si tu te demandais où irait terminer ses nuits la « petite robe du temps des Fêtes » de la mode jetable. Comme nous l’explique la designer « démissionnée » d’Amazon et écologiste Maren Costa, le modèle d’entreprise est basé sur l’instantanéité et déposé « à ta porte », 24/7.
Le moins tu réfléchis, le mieux c’est. Tu connais le principe. Toi, c’est la cheminée. D’ailleurs, des citoyens de Québec ont engagé un avocat pour abroger le règlement sur les foyers et poêles à bois. Fuck l’environnement et le smog hivernal. Le jour de la marmotte, je te dis. Comme revoir Rozon en cour… Ce n’est pas du mambo, c’est du tango. Le tanguero avance et la tanguera recule.
Ce n’est pas seulement pour duper nos enfants que nous les entretenons dans la croyance au père Noël : leur ferveur nous réchauffe, nous aide à nous tromper nous-mêmes.
Trois bonnes nouvelles
Tandis que tu distribues les paquets, je termine la lecture de Ralentir ou périr sur l’économie de la décroissance, de l’économiste français Timothée Parrique. La croissance ne ferait plus le bonheur, c’est même le contraire. Je t’en reparlerai en 2025, car je vais regarder Vie$ de rêve sur Crave en bouffant mes cartes de débit et en attendant que la neige ait neigé dans ce jardin de givre. C’est pas du Mario Pelchat ; c’est Nelligan.
C’est la lucidité la fautive, elle met les poètes en lambeaux, elle qui vous apprend un jour que le père Noël n’existe pas. Elle qui vous bouffe l’enfance.
Chez Pénélope, mercredi, on demandait trois bonnes nouvelles aux invités, sans cynisme, en toute bonne foi. De la haute voltige si on s’en tient à l’actualité.
J’en ai tout de même trouvé trois en me forçant un peu. D’abord, on a libéré le capitaine Paul Watson mardi, le père Noël des baleines, qualifié d’« écoterroriste » par ceux qui dévastent la faune marine. Cinq mois de prison au Groenland, pas si loin de chez toi. Jamais ce héros ne s’est démonté. Le Danemark a fini par le renvoyer dans sa famille pour Noël au lieu de l’extrader chez les Japonais, qui ne rêvaient que d’en faire du sushi.
L’autre bonne nouvelle, c’est que Vénus entre en Verseau. Paraît que les révolutions se sont déroulées sous cet alignement. J’y connais rien en astrologie, mais je sais que notre planète est un bien petit vaisseau dans ce cosmos infini. Imagine si tu allais te perdre en orbite pour aller rejoindre la fée des étoiles, SpaceX et toutes les histoires qui nous font dormir debout. Nous pourrions économiser des milliards de dollars en impact négatif sur la biodiversité. Et c’est la dernière bonne nouvelle : nous avons le pouvoir de nous réveiller avant que minuit sonne…
Joyeux Noël pareil.
Joblo
cherejoblo@ledevoir.com
Instagram : josee.blanchette
Visionné plusieurs fois cette œuvre de l’artiste David Szauder avec l’IA sur mon tango favori de Gotan Project. Je dansais là-dessus jadis. Aujourd’hui, je m’extasie devant tant de grâce. Cadeau : bit.ly/41H60UJ
Aussi, le Lac des cygnes de Tchaïkovski, sur le même principe : bit.ly/3ZLwT7H
Tiré un tarot pour savoir ce dont nous aurions besoin en 2025. Retenez votre souffle… si on croit au père Noël, on peut bien se faire un tarot. J’ai tiré la carte du Bateleur, la première. Comme j’ai utilisé une carte du joli coffret « Le tarot des sorcières et autres femmes puissantes », c’est la carte « Histrio », Lilith, rebelle et insoumise, au service de la liberté et de l’égalité, qui est sortie : « Elle sait dire non et le dit avec éclat, au risque de se faire bannir et de se retrouver toute-puissante, mais seule. » C’est un programme que je connais. Un cadeau féministe et utile pour mes soirées de tarot entre sorcières.
Visionné Buy Now! The Shopping Conspiracy et retenu quelques-unes des règles, dont « gaspiller plus » et « cacher plus » (les dégâts causés par la production et l’obsolescence). Bravo à Netflix de nous avoir envoyé ce documentaire fort populaire juste à temps pour la saison des Fêtes. Sarcastique et informatif à la fois. bit.ly/3ZXwnVo
Pris une pause jusqu’au 10 janvier. Je vous souhaite amour, caramel et sainte paix d’ici là. On se retrouve pour les bonnes résolutions !
JOBLOG — Des toits pour tous
Les temps changent et les crises nous poussent à être plus imaginatifs. Ainsi, la crise du logement en France (là aussi !) a incité des bureaux à innover avec les « Bureaux du cœur » (bureauxducoeur.org). La nuit, ils ouvrent leurs espaces pour une durée de 3 à 6 mois à des gens qui ont été évincés de leur logis, des femmes victimes de violence conjugale, des gens en réinsertion, des étudiants. Les bureaux sont occupés 30 % du temps et vides de 17 h à 8 h et tous les week-ends. En espérant que cette excellente idée de maximisation du pied carré soit transplantée chez nous. bit.ly/3BMtkWB
Ce texte fait partie de notre section Opinion, qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.