L’inflexion des rayons lumineux
Doucement, sans vraiment nous en rendre compte, nous glissons sur un calendrier qui, chaque jour, nous fait nous lever à des aurores toujours plus craintives et nous coucher sous des soirs qui nous tombent dessus de plus en plus tôt. Que nous le sentions ou non, nous arrivons progressivement vers ce jour qui sera celui de l’inflexion, de la bascule vers un retour graduel de la lumière.
« Le solstice d’hiver, appelé aussi le solstice d’hibernation, se produit lorsqu’un des deux pôles de la Terre atteint son inclinaison maximale par rapport au Soleil », nous dit Wiki. Intérieurement, je ne sais jamais vraiment dire pourquoi, mais il me semble aussi que nos états suivent parfois le fléchissement de la Terre, à cause de la lumière, évidemment, de la fatigue cumulée depuis l’automne, du temps de la grande régression annoncée pour les Fêtes, de l’impact du froid sur nos déplacements, peut-être ?
Il serait logique de le voir ainsi, plus logique que de nous laisser aller à une poésie qui nous ferait croire que, collectivement, nous serions reliés au ciel, par nos mondes intérieurs, comme si un dialogue secret, mystique, nous ramenait à nos positions de créatures soumises à des forces dont elles ignoreraient tout. Il serait sûrement périlleux de l’affirmer, alors je préfère rester du côté de l’imaginaire avec vous, sur cette mince ligne où nous osons parler de choses sérieuses, tout en tenant dans notre autre main le fil symbolique de nos existences, qui nous permet de dire en mots et en images ce quelque chose d’intangible, cette poésie nécessaire au vivre, qui nous rend aussi notre qualité d’humains.
De cette manière, nous pourrions rêver ensemble de toutes ces fois où, en parallèle avec le Soleil, nous vivons des morts et des renaissances, des cycles qui traversent nos existences sans que nous sachions bien expliquer pourquoi. Ainsi, je remarque, notamment en clinique, combien le temps qui précède le solstice d’hiver, celui qui annonce les fins de sessions pour certains, les vacances tant attendues pour d’autres, l’excitation des retrouvailles pour les plus chanceux ou le moment où, pour d’autres moins privilégiés, la solitude existentielle se fera plus hurlante que jamais, ce temps-là donc, devient souvent un écrin pour de grandes révolutions internes qui, si elles n’éclatent pas toutes au grand jour, gagnent en force.
Comme un incubateur à ce qui doit advenir, décembre est souvent associé « aux jours de la dernière chance », aux grands constats qui imposent une absolue progression, aux impossibilités de retours en arrière, aux instants de lucidité, parfois brefs, parfois constitutifs du début du reste de nos jours.
Peut-être que ce n’est que pour moi, alors dépêchez-vous de me rasseoir dans ma possible projection ici, en me disant qu’il n’y a que pour moi, donc, et que pour ceux qui viennent déposer leurs armes et leurs larmes dans mon bureau, que cette période de l’année est souvent celle où l’on trace une ligne, où l’on marque, en soi ou au-dehors de soi, un point de bascule, une impossibilité de revenir en arrière.
Parce que oui, je vous l’avoue, dans ma propre vie, c’est souvent dans cette période présolstice qu’il m’est arrivé de quitter des relations, qu’elles soient amoureuses ou psychanalytiques, de prendre la décision de changer d’emploi, de changer de vie, ne serait-ce qu’en imagination. C’est en décembre que j’ai aussi graduellement choisi la personne avec qui je partage encore ma vie, il y a de cela 16 ans, maintenant. Il y a quelques années, c’est aussi en décembre qu’une série d’événements, dont une masse étrange en mon sein, semblaient indiquer la fin de tout, la nécessité de tout revoir. Chaque fois, je retourne à ces mots de la grande Hélène Dorion qui, le 5 décembre dernier, s’est vu remettre le Grand Prix de la poésie, amplement mérité, décerné par l’Académie française pour l’ensemble de son œuvre.
Pour entamer le dernier tiers de notre calendrier de l’avent commun, qui nous mènera jusqu’au réveillon, je vous offre donc cet extrait, en guise de mise en marche de votre réflexion déjà bien amorcée, si je me fie aux nombreux messages que je reçois de vous, à mon plus grand bonheur, depuis le début du mois.
« Combien de fois, ai-je secrètement espéré que ma vie bascule et que surgisse la possibilité de tout recommencer ? Combien de fois ai-je attendu l’occasion de me délester du poids d’une vie qui, après avoir été celle dont j’avais rêvé, ne me ressemblait plus ? Combien de fois ai-je souhaité que tout se renverse pour ne garder que ce très peu qui procure la liberté de la dépossession véritable ? Mais combien de fois, aussi, ai-je baissé la tête et les bras, craignant d’avoir été entendue, que mes prières soient exaucées et que je sois bientôt contrainte à plonger dans l’obscurité de l’inconnu pour tout recommencer. »
Pour enrober le tout d’encore plus de poésie, comme si cela était possible, je vous invite à regarder la vidéo Recommencements, réalisée par Pier-Luc Racine, il y a déjà dix ans, mais qui, à mon sens, porte le sceau des œuvres qui persistent à habiter leur époque, tant ce qu’elles contiennent transcende les codes de l’éphémère.
Alors, pour nous propulser déjà vers un nouveau cycle, pour repenser l’année qui vient tout en fermant bien celle qui nous quitte déjà, je vous propose de réfléchir à ce qui meurt en vous, et qui, parce que vous vous refusez peut-être à le voir, vous alourdit, vous fige, vous mène à vous tenir dans des lieux désertés du vivant, vous use au-delà de vos énergies vitales, vous garde dans des versions réduites, rigides, mortifères de vous-mêmes. Je vous invite encore à descendre un cran plus bas, en vous, au-delà des ombres déjà conviées la semaine dernière, pour entendre, comme le dit Hélène Dorion, « le son de la vie ».
Appel aux récits
La suite de notre calendrier de l’avent. 16 décembre. Qu’est-ce qui s’est achevé en moi pour de bon et qui ne peut plus se poursuivre ? 17 décembre. Pour qui ai-je de nouvelles limites à tracer, de nouvelles frontières à exprimer, de nouveaux territoires à redessiner ? 18 décembre. Quels sont mes souhaits pour moi-même, dans cette nouvelle année qui s’en vient, qu’est-ce que je désire voir s’incarner, matérialiser pour moi ? 19 décembre. Avec quelle partie de moi dois-je négocier depuis trop longtemps, peut-être, une soumission à des impératifs qui sont extérieurs à mon émancipation ? 20 décembre. Quels sont ces rêves qui réclament mon attention, dans l’intime de moi, et que j’entends bien, quand je suspends le bruit sourd du monde autour ? Écrivez à nplaat@ledevoir.com.
Ce texte fait partie de notre section Opinion, qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.