De gagner sa vie à enrichir sa vie

« Gagner sa vie » est une expression bien ancrée dans la culture populaire, que l’on utilise souvent sans réfléchir à son sens profond, moi la première. Mais pour qui croit à la puissance des mots (j’en suis), l’expression paraît peu inspirante quand on choisit de s’y attarder un peu.

La locution peut se résumer à « gagner de quoi assurer sa subsistance », nous dit le Larousse. De nos jours, les revenus gagnés permettent à une grande partie de la population de combler beaucoup plus que le minimum requis pour la survie. Ma proposition cette semaine sera donc de transformer cette vieille expression en une nouvelle, plus symbolique :  « gagner de quoi enrichir sa vie ».

Après tout, la saison de la surconsommation est à nos portes. Avec les ventes du Vendredi fou qui s’en viennent et la préparation frénétique de notre joyeux temps des Fêtes, c’est l’occasion parfaite de prendre un peu de recul pour réfléchir à notre relation à l’argent.

Enrichir sa vie est beaucoup plus emballant

La théorie de l’autodétermination a été utilisée par différents chercheurs en psychologie pour étudier les motivations des gens à faire de l’argent (Thibault Landry et al., 2016). Il a notamment été démontré à travers ces études que travailler pour assurer la sécurité de sa famille ou combler ses besoins de base n’est pas une activité qui contribue significativement au bien-être psychologique. On parle plutôt de motifs neutres. « Gagner sa vie » se trouve à ce niveau, selon moi.

Des effets positifs sur le bonheur sont plutôt associés à des motivations plus complexes, comme gagner de l’argent dans un but d’équité (par exemple, recevoir un salaire juste selon nos talents ou selon nos compétences), par désir de faire la charité (par exemple en soutenant les autres, en faisant des dons), pour les loisirs (pour assouvir une passion), pour la liberté que cela procure ou encore par fierté. « Enrichir sa vie » me semble alors une expression plus juste ici, vous me suivez ?

Si « gagner sa vie » m’apparaît comme une expression limitante, c’est notamment parce qu’elle fait plutôt référence à l’impératif de combler des besoins de base et souvent matériels. Enrichir sa vie, c’est gagner de l’argent aussi, mais pour augmenter notre sentiment de liberté et de zénitude sur le plan financier. Cela peut également nous permettre de redonner à notre communauté et, disons-le, de nous amuser le plus possible avec ceux qu’on aime pendant notre trop bref passage sur Terre.

Ne pas sombrer dans un « dépenser sa vie »

À l’opposé, toujours selon ces mêmes chercheurs, la quête de l’enrichissement peut nous amener dans des zones plus sombres dont les impacts négatifs finiront fatalement par être au rendez-vous. On parle ici de comparaison sociale (par exemple, vouloir en faire plus que les autres), d’impulsivité (par exemple, pouvoir s’acheter tout ce que nous voulons sans nous interroger sur la pertinence de ce que nous voulons) ou de manque de confiance personnelle (par exemple, penser que sa valeur personnelle augmente avec la richesse). À vouloir toujours gagner plus d’argent pour des raisons qui nuisent au bien-être psychologique, on court le risque de sombrer dans le « gaspiller sa vie ».

Le problème avec le marketing fou de novembre, c’est qu’il joue sciemment sur ces motifs négatifs. Étant donné le monde d’images dans lequel nous évoluons, il y a fort à parier que plusieurs gagneraient à réfléchir à leurs motivations intrinsèques. Pourquoi travaillons-nous et pour obtenir quelle rémunération ?

Une réflexion individuelle et sociale porteuse de sens

Vous serez peut-être choqués de lire cela, mais je considère qu’une grande partie de notre population a le privilège de recevoir des revenus d’emploi, d’entreprise ou tirés du filet social permettant de payer amplement les dépenses de base. Si le coût de la vie de base a augmenté, les salaires ont bel et bien suivi pour la majorité des travailleurs. Pourquoi alors entend-on si souvent la grogne populaire gronder ?

Une partie de la réponse se trouve dans nos habitudes de consommation, dont l’une consiste à… toujours vouloir consommer plus ! Acheter à crédit toutes sortes de biens matériels (même en solde lors du Vendredi fou), voyager coûte que coûte, recevoir ceux qu’on aime à gros prix plutôt qu’en simplicité, pour « instagrammer » notre quotidien… Avouez qu’on s’y reconnaît tous un peu ?

À mes yeux, réfléchir aux motifs visant à nous enrichir permet aussi de prendre conscience du fait qu’à force de « gagner notre vie » dans le but de dépenser plus, c’est notre vie que nous finissons par dépenser, en stressant et en courant, et sans être plus heureux pour autant. Pour enrichir notre vie, je nous invite donc tout simplement à nous doter d’un plan financier qui nous permettra d’atteindre nos objectifs prioritaires, en visant un équilibre entre profiter aujourd’hui de la vie et sécuriser l’avenir. Visons des finances saines en vivant le moment présent (selon nos moyens) et en faisant preuve de générosité à la hauteur de nos capacités.

En somme, pour gagner notre vie, nous avons besoin d’un travail. Mais pour nous enrichir véritablement, cherchons plutôt à donner un sens à cet argent touché. Et, non, il ne se trouvera pas en dénichant le meilleur solde sur le dernier gadget inutile.

Planificatrice financière, Sandy Lachapelle est présidente du cabinet indépendant Lachapelle finances intelligentes.

Ce texte fait partie de notre section Opinion, qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.

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