La fin du télétravail en 2025?
Je me doute qu’avec un titre comme celui-là, je risque de me faire tirer des tomates. En fait, je ne fais que réagir aux récentes décisions d’entreprises comme Amazon, qui insistent pour que leurs employés reviennent au bureau. Cette tendance, qui a été récemment exposée dans un article de The Economist, reflète un enjeu grandissant entre dirigeants et travailleurs sur la vision de l’avenir du travail. Pourquoi cette insistance ? Et surtout, quelles en sont les implications pour les employés et les entreprises ?
Travailler à domicile a radicalement transformé le quotidien de millions d’employés. Réduction des longs trajets, amélioration de la qualité de vie, flexibilité accrue, cette transition a permis à beaucoup de retrouver un équilibre entre vie professionnelle et personnelle. Les économies réalisées sur les frais de transport, les repas à l’extérieur ou les vêtements de bureau sont non négligeables. Pour certains, cette formule a même renforcé la concentration et optimisé la productivité, loin des interruptions, du bruit typique des bureaux et des conversations près de la machine à café. En outre, en ouvrant des emplois à des régions éloignées, le télétravail a favorisé une décentralisation géographique qui profite aussi bien aux individus qu’aux communautés locales.
Cependant, cette transition n’a pas été sans coût. Pour d’autres, le principal défi réside dans l’isolement social et la perte de lien humain. Les interactions spontanées avec les collègues, essentielles pour nourrir un sentiment d’appartenance et développer des réseaux professionnels, ont laissé place à de l’isolement. Une frustration particulière a aussi vu le jour, celle de se rendre au bureau pour des rencontres avec des employés qui, eux, sont en virtuels. Par ailleurs, la frontière floue entre vie personnelle et vie professionnelle a exacerbé le risque d’épuisement. Les courriels tardifs, la gestion simultanée des tâches domestiques et professionnelles, notamment pour les parents ou les aidants familiaux, ont multiplié les pressions sur les familles.
Le manque d’équipement adéquat et d’espace de travail ergonomique est une autre limite du télétravail pour certains employés, ce qui met en lumière des inégalités. De plus, se faire remarquer à distance, participer à des projets stratégiques ou bénéficier de mentorat s’est révélé plus complexe, ce qui pénalise particulièrement les jeunes professionnels. L’« invisibilité » imposée par le télétravail a également freiné les occasions de progression de carrière. En parallèle, les outils de surveillance numérique introduits dans certaines organisations peuvent alourdir le climat de méfiance, car ils fragilisent le lien de confiance entre employeurs et employés.
Si le débat sur le retour au bureau refait surface, il prend une tournure particulière au Québec, où le modèle hybride reste largement privilégié. Selon un sondage Léger pour Concilivi, une initiative du Réseau pour un Québec Famille, 58 % des employés québécois bénéficient de ce mode de travail. Cependant, près de la moitié ont constaté un resserrement des politiques, avec une augmentation des jours en présentiel pour 22 % d’entre eux, et 24 % de qui l’on « souhaite » une présence au bureau sans l’exiger. Des entreprises comme Hydro-Québec et le Mouvement Desjardins semblent avoir trouvé un équilibre, demandant deux à trois jours par semaine au bureau tout en conservant une certaine flexibilité.
Cette transition vers le présentiel a toutefois des répercussions économiques notables, notamment sur les centres-villes. À Montréal et à Québec, le taux de disponibilité des immeubles de bureaux a atteint des niveaux historiquement élevés. La diminution de la présence des travailleurs influe directement sur la vitalité économique de ces secteurs, ce qui pose des défis pour les commerces locaux et les propriétaires d’immeubles.
Mais un autre enjeu découle de cette logique capitalistique. Si la présence physique au bureau devient moins essentielle, qu’est-ce qui empêcherait les entreprises de services de délocaliser leur main-d’œuvre dans des régions où les coûts sont inférieurs, comme l’Inde, la Roumanie ou certains pays d’Afrique ? Le télétravail, en réduisant l’importance de la proximité géographique immédiate, accélère cette dynamique. Les emplois dans la programmation, le service à la clientèle ou l’analyse de données pourraient migrer massivement vers ces régions, où les salaires sont nettement plus bas.
Les répercussions sociales de telles décisions seraient importantes. Localement, on assisterait à une polarisation accrue du marché de l’emploi. D’un côté, des travailleurs qualifiés occupant des postes stratégiques bien rémunérés et, de l’autre, une érosion des possibilités pour les emplois intermédiaires. À l’échelle mondiale, cette redistribution des tâches pourrait renforcer les inégalités Nord-Sud. Si elle contribue à l’essor économique de certaines régions, elle risque aussi de précariser davantage les travailleurs dans les pays développés, ce qui alimenterait des tensions sociales et économiques.
Le Québec reflète bien ces tensions mondiales, tout en conservant une perspective unique. Le modèle hybride semble y être là pour de bon, porté par des entreprises qui valorisent encore la flexibilité. Mais cette dynamique ne doit pas être instrumentalisée pour maximiser les profits au détriment des travailleurs. Réinventer le rôle du bureau, protéger les emplois locaux et naviguer à travers ces tensions mondiales restent des défis incontournables pour les organisations d’aujourd’hui et de demain.
Ce texte fait partie de notre section Opinion, qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.