Espoir

C’est une région du monde ravagée par les massacres, par des dictatures féroces, par les ravages de l’islam politique (Daech), par la loi du plus fort et de l’impunité, sans oublier l’affrontement meurtrier avec Israël.

Dans ces conditions, la chute rapide, presque sans effusion de sang, de 54 ans de dictature en Syrie tient du miracle. Presque l’équivalent de la chute du Mur de Berlin en Europe.

« Le monde arabe était mort. La Syrie était son tombeau et Gaza le dernier clou dans son cercueil. Et soudain surgit l’espoir, peut-être là où nous l’attendions le moins. » Antony Samrani, corédacteur en chef du quotidien L’Orient-Le Jour, dans un éditorial publié le 8 décembre.

Quoi ? Cet « État de barbarie », ainsi nommé par un grand spécialiste français de la Syrie, Michel Seurat, ce pays de la torture où sortent aujourd’hui de leurs cellules des milliers de prisonniers, de prisonnières… et d’enfants du viol qui n’ont jamais vu le soleil, cet État-famille, qui en 2013 a gazé sa propre population, qui pour survivre s’est vendu à l’Iran et à la Russie, cet État vient de tomber en dix jours, sans coup férir ?

Pour mémoire : sur les quelque 500 000 morts de la guerre de Syrie (les évaluations varient entre 350 000 et 600 000 — civils et combattants additionnés), la partie la plus responsable des morts violentes de civils (*) est l’armée syrienne avec ses supplétifs (80 %-85 % des décès infligés). Suivie de loin par la Russie et ses bombardements (3 %-5 %) et en troisième position l’État islamique (2 %-4 %). À 0,7 % environ, on trouve les forces occidentales.

Les exécutions ritualisées et filmées par Daech (5000 victimes au total) ont frappé les imaginations : un sommet dans l’horreur, le sadisme, le fanatisme… mais elles ont tué beaucoup moins que les frappes indiscriminées de la dictature, assistée du haut des airs par la Russie.

On dit que plus une dictature est féroce, plus elle fera couler le sang avant de se rendre. Ce n’est pas ce qu’on vient de voir.

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Les événements depuis le 30 novembre (chute d’Alep) se sont enchaînés à une vitesse stupéfiante. Pourquoi cet effondrement que personne n’avait vu venir ?

L’état de décrépitude de ce régime. Il était caché, obscurci par le souvenir atroce de sa violence et de sa puissance passée, et l’intériorisation par les Syriens de l’idée (devenue fausse) d’un régime invincible.

Le pouvoir réduit à une clique. Cette clique volait les dernières ressources disponibles et s’appuyait sur le narcotrafic (Captagon). On a ainsi vu « l’État de barbarie » tout-puissant de Hafez Al-Assad, et du premier Bachar, qui terrorisait sa population et ne reculait devant aucune violence, se muer en un État-mafia très diminué… qui n’était plus préoccupé, à la fin, que par sa survie.

L’effondrement de l’économie. La misère généralisée a affecté jusqu’aux organes répressifs de l’État. Les « petits soldats », recrutés de force pour une paie quasi nulle, ne représentaient plus une assise du régime. Une pichenette, et ils se sont évaporés dans la nature. La coquille était vide !

L’affaiblissement marqué des États-parrains. Bachar Al-Assad s’était complètement fié à leur « appui inébranlable », assurance vie supposée totale. Le fameux « axe de résistance » et la « toute-puissante » Russie… devaient assurer la pérennité de son pouvoir.

Stupéfiante a été la vitesse avec laquelle Moscou, Téhéran et le Hezbollah ont laissé tomber leur protégé, en quelques jours. Deux déclarations enregistrées jeudi 5 décembre, alors que la débandade s’accentuait :

« Les Syriens doivent être ceux qui défendent Homs », a dit Anton Mardasov, analyste militaire moscovite cité par le New York Times : « S’ils fuient, alors personne ne combattra à leur place. »

Et puis le même jeudi, le chef du Hezbollah à Beyrouth : « Nous défendrons le régime syrien… selon nos moyens. » Le samedi, ils prennent leurs cliques et leurs claques à Qusseir (frontière syro-libanaise) et déguerpissent. Bye bye, Bachar.

On l’a dit : la Russie, l’Iran, le Hezbollah étaient déjà affaiblis, pour les raisons connues, au moment où le Hayat Tahrir Al-Cham (HTC) a décidé de déclencher l’offensive. Mais ce succès foudroyant aura, en retour, un effet débilitant supplémentaire.

Le Hezbollah n’aura plus ses routes d’approvisionnement à travers la Syrie. L’Iran perd carrément son fameux « axe ». Quant à la Russie, quelle humiliation ! Adieu les mers chaudes ! Ses deux bases en Méditerranée sont compromises. Il fallait voir, samedi, la tête du ministre Lavrov, obligé, au Qatar, de signer une déclaration commune avec l’Iran… et la Turquie triomphante !

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Et finalement… Oui, bien sûr, HTC, ce sont des islamistes. Il n’est nullement question de minimiser cet aspect préoccupant. Mais la liesse quasi unanime des Syriens n’est pas stupide. Ce pays, en fait de violence politique, d’islamisme extrême, a déjà donné ; il est pétri dans sa chair par l’expérience ; il est passé par là ; l’histoire ne se répète pas.

Les leaders du groupe multiplient les gages de modération. Ils sont réputés efficaces : l’électricité a été rétablie cinq heures dimanche à Damas… cinq heures consécutives d’électricité, du jamais vu depuis des années !

HTC, ce n’est pas « Daech-bis ». Laisseront-ils les femmes cheveux au vent ? Les cloches des églises chrétiennes retentiront-elles ? Le groupe se dissoudra-t-il dans une alliance plus vaste, comme il en est sérieusement question ? À voir !

L’espoir est revenu… et qui l’eût cru ? il passe par la Syrie. Ne boudons pas notre plaisir.

(*) Sources consultées : Statista, Observatoire syrien des droits de l’homme, Réseau syrien pour les droits humains.

Pour joindre l’auteur : francobrousso@hotmail.com

Ce texte fait partie de notre section Opinion, qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.

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