La drôle de guerre

À l’annonce de la suspension pour un mois des tarifs de 25 % sur les exportations mexicaines vers les États-Unis, le Canada tout entier a retenu son souffle jusqu’à ce que Donald Trump daigne lui accorder le même sursis.

Le conflit commercial avec nos voisins du Sud commence à ressembler à ce qu’on a appelé la « drôle de guerre », cette période de huit mois entre septembre 1939 et mai 1940 durant laquelle aucune action ne s’était produite sur le front ouest, même si la France et la Grande-Bretagne avaient déclaré la guerre à l’Allemagne.

Cette longue attente s’était rapidement transformée en guerre des nerfs qui avait eu un effet démobilisateur au sein de l’armée française et de la société civile. Contrairement à ce qui s’était produit en 1914, il n’y avait pas eu d’« union sacrée », les luttes entre les partis n’avaient pas été suspendues.

Il ne faut évidemment pas exagérer la comparaison, mais l’incertitude créée par les menaces de M. Trump et la perspective de pertes d’emplois massives génèrent indéniablement de l’anxiété, aussi bien dans les entreprises que dans la classe politique et dans la population en général.

Si encore on savait ce que veut exactement le président américain, outre de faire du Canada le 51e État américain. La sécurité de la frontière avec le Mexique, qu’il ne semble pas avoir la moindre envie d’annexer, est un problème facile à cerner et l’envoi de 10 000 militaires mexicains peut donner l’impression de le régler, mais ce qu’il reproche au Canada change d’une journée à l’autre. Ce sont maintenant les banques américaines qui seraient maltraitées chez nous…

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Il est impossible de prédire combien de temps durera cette « drôle de guerre », mais l’incertitude ne se dissipera sans doute pas avant un bon moment. Cela exigera non seulement du sang-froid, mais une solidarité qu’il ne sera pas facile de maintenir, aussi bien à Ottawa qu’à Québec.

Au départ, l’agression de M. Trump a déstabilisé Pierre Poilievre, qui, au moment où il se voyait déjà premier ministre, a la plus grande difficulté à mettre une sourdine à ses attaques contre le gouvernement Trudeau.

Il n’avait pas d’autre choix que de dénoncer l’imposition de tarifs « totalement injustifiables », auxquels il a recommandé de répliquer « dollar pour dollar », mais il ne pouvait pas s’empêcher de blâmer M. Trudeau d’avoir négligé de sécuriser la frontière au point d’en faire une voie rapide pour les trafiquants de drogue.

À peine deux heures avant que Justin Trudeau ait sa deuxième conversation téléphonique de la journée avec le président américain, cette sortie de M. Poilievre n’était pas particulièrement utile, mais M. Trudeau lui a finalement coupé l’herbe sous le pied en s’entendant avec M. Trump.

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Au Québec, l’élection n’aura lieu que dans une vingtaine de mois, mais Paul St-Pierre Plamondon devra lui aussi faire un gros effort pour placer les intérêts de la patrie avant ceux du parti. Comme les chefs de tous les partis d’opposition au pays, il a conservé un très mauvais souvenir des années de pandémie alors que les gouvernements avaient pratiquement carte blanche.

Il ne devait certainement pas s’attendre à ce que le premier ministre Legault accepte d’inclure les partis d’opposition, les acteurs économiques et divers experts dans une Équipe Québec qui parlerait « d’une seule voix ». Le gouvernement a intérêt à consulter le plus largement possible, mais il a toute la légitimité pour décider de la marche à suivre.

L’opposition a le droit et le devoir de remettre en question ses décisions et faire les propositions qu’elle juge à propos. Malgré le sursis de 30 jours, le débat d’urgence réclamé par Québec solidaire ne perd rien de sa pertinence. Il n’est pas trop tôt pour commencer à réfléchir aux façons de diminuer la dépendance de notre économie à notre voisin, trop vulnérable aux caprices de celui-ci.

Cela prendra cependant du temps, alors que le psychodrame pourrait reprendre dans 30 jours. Le chef du Parti québécois s’inquiète à bon droit d’un déficit de 11 milliards forçant le gouvernement à effectuer des compressions budgétaires qui affectent les services de santé et d’éducation, au moment où une récession résultant d’une guerre commerciale avec les États-Unis risque de le creuser davantage et d’entraîner une baisse de la cote de crédit du Québec.

Il ne faudrait sûrement pas reprendre « l’approche des subventions tous azimuts de la pandémie », mais il est clair que la protection des entreprises et des emplois qui seront affectés par les tarifs déstabilisera les finances publiques. Même l’opposition doit convenir qu’on ne fait pas d’omelette sans casser des œufs.

Ce texte fait partie de notre section Opinion, qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.

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