Donner plus que l’amour en héritage
J’ai cet âge vénérable qui permet de me rappeler avec nostalgie ce classique de Nana Mouskouri inclus dans le cahier de piano de ma grand-maman. Je le fredonne dans ma tête depuis que la question de Marie a atterri dans mon courriel.
« Je n’ai pas hérité d’argent de mes parents, mais d’une éducation qui m’a appris, entre autres, à économiser, écrit Marie. C’est ainsi que mon conjoint et moi avons opté, il y a près de 38 ans, pour l’achat d’un duplex, qu’au fil des ans, nous avons nourri REER et CELI au maximum permis en plus de profiter du REEE, qui a facilité grandement le financement des études de nos deux enfants. On vieillit, on a été malades, ce qui nous amène à réfléchir [à] ce qui arrivera après nous. Je m’interroge sur la meilleure façon de faire pour transférer ce que je possède à mes enfants. »
La question des héritages concerne toutes les familles. La situation de notre lectrice vous interpellera certainement, à plus forte raison si, comme elle, vous faite partie de ceux qui n’ont pas reçu d’héritage significatif au décès de leurs parents, mais qui ont maintenant la possibilité ou l’envie de faire autrement.
Le désir d’inverser l’historique familial est tout à fait noble et compréhensible, étant donné tous les défis économiques, environnementaux et sociaux qui attendent les prochaines générations. Cet objectif nécessite non seulement la constitution d’un patrimoine, mais son optimisation au moment du transfert.
Vivre selon ses moyens sans se priver
Le témoignage de Marie est sans équivoque : il est possible de créer son propre patrimoine sans avoir hérité de ses parents. Évidemment, la marche à atteindre est plus haute, mais de saines habitudes d’épargne le permettent. Lentement, mais sûrement.
Certains croient à tort qu’il faut se priver de tout pour y arriver. Il faut plutôt vivre selon ses moyens financiers réels afin de générer des surplus pour l’épargne. Je martèle que l’épargne doit être considérée comme une dépense de base dans le budget, bien avant de nombreuses dépenses discrétionnaires.
La première étape pour créer un héritage familial exige de se doter d’un plan financier clair, avec des objectifs réalistes, et ce, le plus tôt possible dans votre vie financière.
Investir
La résidence principale est certes un bien immobilier dont la valeur moyenne a explosé depuis quelques années, mais il ne s’agit pas toujours d’un véritable investissement, à mes yeux. Il s’agit d’un bien non productif de revenu, dans lequel nous injectons souvent beaucoup trop de capital pour notre confort ou, pire, par pression sociale.
Notre lectrice a bien saisi cette distinction en vivant dans un duplex plutôt que dans une maison unifamiliale. En plus de n’avoir aucune dette de consommation — la base de l’enrichissement —, elle a aussi profité des différents régimes fiscaux pour ses investissements. Car il ne suffit pas de ne pas avoir de dettes, il faut aussi déployer des stratégies d’investissement pour faire fructifier l’épargne !
En effet, en ayant différentes sources de revenus à la retraite, Marie pourra conserver sa résidence principale le plus longtemps possible. Cela contribue à une valeur nette projetée plus élevée, s’expliquant à la fois par la hausse de la valeur de ce bien dans le temps, mais aussi par le fait qu’elle sera exonérée d’impôts lors de la vente ou au décès des propriétaires.
Retenez ici que l’investissement en Bourse, dans l’immobilier locatif ou dans vos projets d’affaires vous permettra de constituer un héritage encore plus important que par le biais d’un plan de retraite basé principalement sur la revente ou le refinancement de votre résidence principale. C’est un enjeu qui devient encore plus sérieux avec la hausse du prix des maisons.
Ne pas bouder l’assurance
« Je ne veux pas valoir plus mort que vivant » est une objection naturelle lorsque vient le temps de recommander la souscription d’une assurance-vie à ses réfractaires.
Il est vrai que, statistiquement, les probabilités sont minces que vous décédiez à un jeune âge. Mais lorsque cela arrive, il est indéniable que vos héritiers auront moins d’actifs à recevoir. Ainsi, pour toute personne ayant à coeur de transmettre un héritage significatif, l’assurance-vie est la façon la plus économique et facile d’y arriver, dans la mesure où l’état de santé rend le tout réaliste.
Même une fois le patrimoine accumulé, comme dans la situation de notre lectrice, l’assurance-vie permet d’optimiser son transfert à la génération suivante. Quand on combine les assurances temporaires et permanentes (selon les besoins spécifiques), non seulement la valeur successorale est augmentée au jour 1, mais, plus important encore, la question des liquidités successorales est réglée. Dans le cas de notre lectrice, elle doit comprendre que, malgré des actifs à léguer sans dette au décès, l’assurance-vie faciliterait le règlement de la succession en fournissant des liquidités, notamment pour le paiement des impôts exigibles au décès.
La planification successorale en cadeau
Pour Marie, comme pour nous tous, la préparation de l’héritage doit être basée sur la projection de l’avoir net en considérant l’atteinte de notre propre sécurité financière d’abord. Elle exige de plus une réflexion sur le désir d’un transfert en parts égales entre les enfants, le désir de faire des legs particuliers aux petits-enfants. La réflexion sur les dons de bienfaisance planifiés au décès doit être faite.
Il est peut-être tentant de chercher des stratégies universelles, mais j’aime bien rappeler que l’important est d’abord de déterminer clairement vos buts et priorités. Cela permettra aux professionnels d’identifier ensuite les moyens pour réussir votre planification successorale. Cette démarche permet par ailleurs d’en déterminer la faisabilité et les meilleurs moyens de donner une partie de votre héritage de votre vivant.
Si vous voulez donner plus à votre descendance que de l’amour en héritage, cette dernière étape, souvent boudée en raison du malaise que procure le fait de penser à la mort, représente un beau défi à surmonter avec l’accompagnement d’experts bienveillants. Notre lectrice est certainement arrivée à ce stade de vie.
Planificatrice financière, Sandy Lachapelle est présidente du cabinet indépendant Lachapelle finances intelligentes.
Ce texte fait partie de notre section Opinion, qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.