La deuxième période
Après avoir paralysé la Chambre des communes pendant des mois, Pierre Poilievre ne manque pas de culot en réclamant le rappel du Parlement, soi-disant pour permettre l’adoption des mesures nécessaires pour répliquer aux tarifs douaniers dont Donald Trump menace les produits canadiens.
S’il n’en tient qu’au chef du Bloc québécois, Yves-François Blanchet, il est hors de question de redonner au chef du Parti conservateur une tribune qui l’a si bien servi. Le passage à vide que M. Poilievre connaît présentement ne pouvait tomber à un meilleur moment pour les bloquistes, qui ne demandent pas mieux que des élections le plus tôt possible.
Dans l’entrevue qu’il a accordée au Devoir mardi, M. Blanchet a repris l’image des trois périodes au hockey qu’avait jadis utilisée Jacques Parizeau. À l’époque, la première période avait été jouée à l’élection fédérale de 1993, remportée haut la main par le Bloc québécois, nouvellement créé par Lucien Bouchard ; la victoire du PQ en 1994 avait été la deuxième ; le référendum de 1995, la troisième.
Le Bloc ne rééditera sans doute pas sa performance de 1993 — il avait alors récolté 54 sièges —, mais la déconfiture des libéraux, qui semblent maintenant aussi vulnérables au Québec qu’ailleurs, pourrait bien lui redonner le statut d’opposition officielle à Ottawa.
Peu importe que son parti ait moins de poids face à un gouvernement conservateur majoritaire, M. Blanchet se frotte déjà les mains à l’idée que Pierre Poilievre, qui personnifie à ses yeux toute la différence entre être Canadien et être Québécois, soit premier ministre du Canada lors d’un éventuel référendum.
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Le climat de panique créé par le retour de Donald Trump n’est pas idéal pour un débat sur l’indépendance, convient M. Blanchet, qui veut néanmoins y voir une opportunité.
Selon lui, cette période de turbulences, durant laquelle le Québec n’a d’autre choix que de faire cause commune avec le Canada, pourrait déboucher sur une nouvelle stabilité des relations avec les États-Unis, qui serait plus favorable.
Avant d’arriver à cette troisième période, il faudra cependant jouer la deuxième. Et celle-là risque de se dérouler dans des conditions nettement moins propices. L’accord de libre-échange actuel arrive en principe à échéance en juillet 2026. Que M. Trump décide d’imposer de nouveaux tarifs dès maintenant ou de rouvrir l’accord plus tôt que prévu, le calme ne sera sans doute pas revenu quand les Québécois seront appelés aux urnes en octobre 2026.
À entendre le chef intérimaire du PLQ, Marc Tanguay, on se croirait déjà en campagne électorale. « Comment Paul St-Pierre Plamondon pourrait-il justifier de séparer le Québec du reste du Canada ? Parce qu’à 9 millions, on serait plus forts qu’à 40 millions ? »
Que le chef du PQ ait raison ou non de dire que cela ne change rien face à un homme aussi imprévisible, de nombreux électeurs vont quand même trouver que le moment est mal choisi pour débattre de l’indépendance. Si M. Trump met ses menaces à exécution et que les emplois disparaissent par dizaines de milliers, une discussion sur les frontières, la monnaie, l’armée ou le passeport d’un Québec souverain risque de paraître assez surréaliste. Sans parler de ses finances.
Le premier ministre Legault semble plutôt vouloir s’élever au-dessus de la mêlée, laissant libéraux et péquistes se chicaner pour un Oui ou pour un Non pendant qu’il se concentre sur les mesures à prendre pour contrer la menace américaine, comme un père de famille responsable qui n’a que faire des enfantillages.
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C’est dans son essai intitulé Psychopathologie de la vie quotidienne que Sigmund Freud a élaboré la notion d’« acte manqué », qui traduit en réalité un désir inconscient. C’est à se demander si ce n’est pas une pulsion de ce genre qui a amené le premier ministre Legault à réagir de façon aussi inappropriée à l’annonce du licenciement de 1700 employés d’Amazon au Québec.
M. Legault n’est certainement pas indifférent au malheur qui frappe ces travailleurs et leurs familles, vraisemblablement victimes de l’antisyndicalisme primaire de la multinationale américaine, dont le propriétaire fait partie de la secte des adorateurs de Donald Trump.
La victoire du Canadien contre le Lightning était assurément réjouissante, et il faudra peut-être se sevrer du jus d’orange américain, mais le moment était mal choisi pour lancer l’une de ces boutades qu’il affectionne pour montrer qu’il est « proche du monde ». Il était évident que les partis d’opposition allaient dénoncer à l’unisson ce manque de sensibilité.
Alors que les conjectures allaient bon train sur son éventuel départ, la « crise Trump » a semblé revigorer M. Legault, qui a retrouvé ses accents de pandémie. Mais il a peut-être le désir inconscient de prendre sa retraite. Comme s’il n’avait pas vraiment envie de jouer la deuxième période.
Ce texte fait partie de notre section Opinion, qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.