Le dérèglement climatique, entre banalité et nouvelle normalité
Le 7 janvier dernier, on nous a souhaité une « bonne année » en nous annonçant que le monde avait franchi la barre du 1,5 °C de réchauffement pendant 12 mois consécutifs. À Montréal, c’était encore mieux : on a observé un saut de 3,9 °C. Cette annonce, pourtant capitale, s’est perdue dans le brouhaha entourant les jeux politiques à Ottawa, les craintes autour des mesures tarifaires de Donald Trump et les conjectures sur la réponse du Canada à ces menaces.
Avez-vous remarqué que les alertes sur l’état du réchauffement climatique, peu importe leur gravité, se font toujours éclipser par d’autres nouvelles ? C’est un peu moins vrai en été parce que le fil de l’actualité s’essouffle. L’été est la saison idéale pour attirer l’attention du public sur des sujets habituellement négligés. Vous vous souvenez de l’été 2010 ? C’est à ce moment-là qu’on avait réussi à faire parler des poules urbaines dans Rosemont–La Petite-Patrie. La nouvelle s’était rendue jusqu’en Amérique du Sud ! Et ce n’est même pas une blague.
Le travail journalistique n’est pas à mettre en cause. La nature humaine étant ce qu’elle est, nous avons tous tendance à concentrer notre attention sur les crises immédiates, reléguant au rang de banalité ce qui constitue pourtant la menace la plus grave pour la vie sur Terre. Le regard fixé sur l’urgence, nous manquons de perspective globale, incapables de pleinement saisir cette nouvelle normalité qui s’est pourtant bien installée.
Prenons les feux en Californie. Les faits sont clairs : le dérèglement climatique explique l’ampleur des destructions. Mais plutôt que d’en tirer des leçons et de chercher à réduire les vulnérabilités des territoires, on préfère désigner un coupable. Le gouverneur de l’État est accusé à tort de mauvaise gestion des réserves d’eau, comme si l’eau était une ressource inépuisable en Californie.
Évidemment, tout le monde sait bien que l’eau en Californie est une ressource éminemment épuisable. (Soupir.) Au lieu de mobiliser le pays autour des conséquences tangibles du dérèglement climatique, cette crise se transforme en une bataille d’accusations et de simplifications. Et n’allez pas croire que cela se limite à l’influence de la droite populiste ou des réseaux sociaux.
J’ai déjà abordé ce paradoxe. Peu importe l’événement, nous préférons chercher un coupable pour expliquer une situation qui nous échappe. Cela nous amène à réduire les causes profondes et complexes à leur plus simple expression. Que ce soit la crise du logement, celle de l’itinérance ou celle des opioïdes, le même modus operandi se répète chaque fois.
La différence majeure avec la crise climatique, c’est qu’elle agit comme une trame de fond constante. Elle progresse lentement, s’aggrave inexorablement et finit par s’imposer comme une nouvelle normalité. Nous en notons les effets dans notre quotidien, mais nous continuons à avancer, persuadés que ces changements échappent à notre contrôle et que nos petits gestes individuels ont peu d’incidence.
C’est précisément cette accumulation de petits désengagements individuels qui nous a menés dans le précipice du dérèglement climatique. Soyons lucides, la ligne a été franchie, et ce qui nous attend désormais est une réalité absolument imprévisible.
Dans ce fatalisme ambiant, il y a néanmoins une lueur d’espoir qui se dessine un peu partout. On observe une mobilisation croissante autour d’actions locales pour réduire la vulnérabilité des communautés face à cette imprévisibilité. Les gouvernements de proximité, les organisations locales et les citoyens prennent conscience de l’importance de se rassembler pour trouver des solutions concrètes et bâtir une résilience collective.
Malgré le poids des nouvelles négatives et un contexte politique souvent déprimant, il se passe des choses extraordinaires à petite échelle. Ce sont souvent les innovations locales et modestes qui génèrent les effets les plus significatifs. C’est précisément pour cela que le rôle des gouvernements de proximité est si crucial dans cette nouvelle normalité à laquelle nous devons nous adapter.
La lenteur des gouvernements régionaux et nationaux à prendre des décisions et leurs processus administratifs interminables agissent comme des freins sur une action locale adaptée. Leur agilité, indispensable face aux imprévus, s’en trouve diminuée. Dans un tel contexte, centraliser davantage les décisions à un niveau supérieur serait une réponse profondément inadaptée qui risquerait d’aggraver les difficultés plutôt que de les résoudre.
L’année 2025 représente un moment crucial au Québec. Les élections municipales générales de novembre détermineront le paysage politique des villes pour les quatre prochaines années. L’un des enjeux majeurs de ces débats sera sans aucun doute la capacité des gouvernements de proximité à exercer pleinement leur rôle.
Au-delà des divergences idéologiques, un consensus semble se dessiner parmi les élus municipaux. Pour répondre efficacement aux crises et jouer leur rôle de catalyseurs d’innovation, les villes ont besoin de plus de liberté d’action et de ressources accrues, tant humaines que financières.
Certes, les défis sont immenses, mais je reste optimiste face à l’imprévisible. Pourquoi ? Parce que, partout, les gouvernements de proximité ont amorcé le virage de la résilience et travaillent déjà à mieux nous adapter à cette nouvelle normalité.
Ce texte fait partie de notre section Opinion, qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.