Le creuset québécois
Tant pis pour le premier ministre Legault, qui a manqué « un moment solennel dans l’histoire du Québec », au dire du ministre de l’Immigration, de la Langue française et de l’Intégration, Jean-François Roberge.
Plutôt que d’assister à la présentation du projet de loi sur le nouveau « modèle d’intégration nationale », que M. Roberge estime être LE projet de la session parlementaire, M. Legault a préféré se rendre sur la Côte-Nord, où il a senti le besoin de parler de Donald Trump. Allez donc savoir pourquoi !
Depuis que la Coalition avenir Québec (CAQ) est au pouvoir, on a perdu le compte de ces moments solennels, voire historiques, où se joue le sort de la nation. Le premier ministre s’est peut-être dit qu’il avait le luxe de sauter un tour.
De mémoire, c’est néanmoins la première fois qu’un projet de loi évoque le « creuset » québécois, ce qui est la traduction française du légendaire melting-pot américain. Cela traduit une volonté d’intégration plus poussée que l’« interculturalisme » recommandé par le rapport Bouchard-Taylor.
Il est assurément souhaitable que l’ensemble de la société québécoise conjugue ses efforts pour favoriser une meilleure intégration des nouveaux arrivants et qu’une loi vienne les encadrer. Les Québécois n’en demeurent pas moins les premiers responsables de la pérennité d’une nation de langue et de culture françaises. Le désir d’intégration des immigrants sera fonction de notre propre détermination.
Il faudra attendre au moins 18 mois avant de voir la « politique nationale d’intégration » qui doit rendre le nouveau modèle opérationnel. À cette date, le Québec sera à la veille de la campagne électorale, de sorte que cette politique pourrait bien ne jamais être appliquée. Tout comme le projet de constitution québécoise auquel s’affaire Simon Jolin-Barrette, elle semble plutôt destinée à alimenter le discours de la CAQ.
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L’idée d’un « contrat social » entre l’État et les immigrants n’est pas nouvelle. On l’avait évoqué lors des États généraux du Canada français à la fin des années 1960. Elle avait été reprise 25 ans plus tard par la ministre de l’Immigration dans le gouvernement Bourassa, Monique Gagnon-Tremblay, qui y voyait déjà le « garant d’une intégration réussie ».
En 1994, on avait ridiculisé le « contrat moral » proposé par l’Action démocratique du Québec, par lequel les immigrants devraient s’engager à « vivre et à travailler en français », mais il a néanmoins inspiré la « Déclaration d’adhésion aux valeurs communes » introduite par la libérale Yolande James en 2008 et le « test des valeurs » imposé par la CAQ en 2019.
La nouveauté du modèle proposé par M. Roberge consiste à étendre le contrat aux institutions et aux organismes qui relèvent du gouvernement (municipalités, universités, écoles, hôpitaux…), de même que les bénéficiaires de subventions, dont le financement pourrait être coupé s’ils ne contribuent pas à l’intégration de façon satisfaisante.
C’est là que les choses risquent de se compliquer. Pour mettre en valeur la diversité tout en faisant la promotion d’un tronc culturel commun, faudrait-il inclure des artistes québécois dans la programmation des Nuits d’Afrique ou mettre la poutine au menu des festivals gastronomiques qui célèbrent les cuisines étrangères ?
Comment la conformité aux objectifs d’intégration sera-t-elle évaluée ? Les fonctionnaires ont la fâcheuse habitude d’appliquer avec zèle les directives qu’on leur donne. Certains ont conservé un très mauvais souvenir de la défunte Commission de protection de la langue française. Faudra-t-il créer une « police des festivals », comme l’a demandé la co-porte-parole de Québec solidaire, Ruba Ghazal ?
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Rouvrir les classes de francisation qui ont été fermées au cours des derniers mois serait certainement un bon début, mais M. Roberge fait partie de ceux qui pensent que les compressions budgétaires n’existent que dans l’esprit de gens qui ne comprennent rien à la comptabilité. À en croire le gouvernement, plus on investit en éducation ou en santé, plus il faut supprimer des postes.
Comme chacun sait, le Québec est le seul endroit en Amérique du Nord où le racisme systémique n’existe pas, même si les immigrants sont quotidiennement victimes de comportements racistes, que ce soit au travail, dans la rue, quand ils cherchent un logement, postulent un emploi ou ont affaire à la police.
Ils seraient peut-être plus enclins à s’intégrer si on admettait que tout cela ne peut pas être simplement le fait d’individus qui n’ont pas encore compris ou accepté les règles du vivre-ensemble dans une société ouverte et que des mesures vigoureuses étaient prises.
Il y a aussi l’épineuse question des écoles religieuses privées subventionnées, qu’elles soient juives, musulmanes ou autres, qui ne contribuent manifestement pas à l’intégration en endoctrinant systématiquement leurs élèves. M. Roberge reconnaît que cela devrait « faire partie de la réflexion », mais M. Legault a catégoriquement exclu de leur couper les vivres.
Finalement, il aurait peut-être dû être à Québec pour entendre les explications de son ministre.
Ce texte fait partie de notre section Opinion, qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.