Le club des ultras à Washington
La droite radicale du monde entier célèbre aujourd’hui le retour au pouvoir de son héros à Washington. Alors que les cérémonies d’investiture se célébraient traditionnellement « entre Américains » de toutes tendances, avec présence discrète des ambassadeurs, et un passage de témoin, en tout fair-play, du président sortant à son successeur… l’ère Trump a tout chamboulé.
Et ce, même si le fair-play reste présent, comme on le verra lundi avec la présence de Kamala Harris et de Joe Biden. Mais fair-play uniquement d’un côté, le Parti républicain de Donald Trump jouant désormais, on le sait, selon d’autres règles. Un Trump perdant n’aurait jamais assisté à l’investiture de Harris ; il est fort possible que ses nervis auraient déjà entrepris leurs manœuvres de déstabilisation violente.
20 janvier 2025 : voici l’investiture hyperpartisane et mondialisée. Pour la première fois lors d’une investiture présidentielle aux États-Unis, on invite massivement à « l’international ». Mais la liste a été strictement filtrée en fonction des couleurs politiques. À l’exclusion de toute autre tendance, c’est la fine fleur de la droite nationaliste et populiste mondiale qui se presse à Washington.
Ce lundi, les chefs d’État ou de gouvernements en exercice sont au nombre de trois : le Hongrois Viktor Orbán, l’Italienne Giorgia Meloni plus le président argentin, Javier Milei, qui font ainsi acte d’allégeance.
L’ex-président Jair Bolsonaro avait été invité, mais la justice de son pays a privé de passeport cet émule brésilien de Trump, actuellement sous le coup de diverses inculpations (voir ci-dessous)…
Au nombre des élus et des personnalités politiques ayant accouru de l’étranger, on compte le Britannique Nigel Farage, du parti Reform UK, l’Espagnol Santiago Abascal (l’homme qui veut faire pendre les indépendantistes catalans pour « traîtrise ») et l’Allemand Tino Chrupalla, de l’Alternative für Deutschland : un parti qui compte des néonazis dans ses rangs et qui a reçu, durant l’actuelle campagne électorale, l’appui tonitruant d’Elon Musk.
Du côté français, on constate que l’ex-candidat présidentiel Éric Zemmour et l’eurodéputée Sarah Knafo de Reconquête (ultra-droite), avec Marion Maréchal (du groupe « Conservateurs et réformistes » au Parlement européen), sont tous invités.
Par contre — peut-être parce qu’elle n’est plus suffisamment à droite au goût de l’entourage de Trump —, Marine Le Pen n’a apparemment pas reçu d’invitation, nous informait ce week-end Le Figaro.
Tout cela est un véritable bras d’honneur aux conventions les plus élémentaires. Si on invite l’opposition radicale venue de pays alliés, sans inviter les représentants en place démocratiquement élus, parle-t-on encore d’alliés ?
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L’occasion est bonne pour se pencher un instant sur l’extraordinaire contraste entre le sort de Donald Trump et celui de Jair Bolsonaro.
L’un s’en tire totalement et triomphe aujourd’hui, la victoire politique écrasant complètement le judiciaire et lui assurant une immunité totale. Ce qui confirme, neuf ans plus tard, la fameuse saillie prophétique de janvier 2016 : « Je pourrais tuer quelqu’un sur la Cinquième Avenue et je ne perdrais pas un seul vote. » Déclaration en deçà de la réalité, qui se complète aujourd’hui par « … et je serais certainement innocenté ».
Mais l’autre, au Brésil, Jair Bolsonaro, a déjà été condamné, déclaré inéligible jusqu’en 2031. Il a encore sur le dos des accusations et des inculpations qui pourraient lui valoir trois procès en 2025 et en 2026.
Bolsonaro a déjà été condamné en juin 2023 pour avoir dénoncé le système électoral brésilien, à Brasília devant un parterre d’ambassadeurs. Des diplomates étrangers à qui il avait raconté que le vote électronique à la brésilienne — dont la fiabilité et l’efficacité sont éprouvées depuis plus de 25 ans — favorise selon lui la fraude électorale… et que, s’il devait perdre l’élection contre Lula en octobre de la même année (effectivement perdue), ce serait forcément par la fraude électronique.
Pour cette déclaration, la Cour suprême — qui au Brésil a cette particularité de juger elle-même directement les affaires criminelles concernant des élus — l’a condamné à huit ans d’inéligibilité.
Trois autres affaires sont encore pendantes. L’une concerne des bijoux reçus d’officiels saoudiens. Dans une seconde affaire, pendant la pandémie, il aurait falsifié ses dossiers personnels de vaccination pour pouvoir voyager.
Et finalement, le plus grave : son rôle dans l’attaque du 8 janvier 2023, remake à la brésilienne du 6 janvier 2021 à Washington. La foule pro-Bolsonaro avait pris d’assaut les édifices des trois pouvoirs, au cœur de la capitale : présidence, cour suprême et parlement. Le président sortant a toujours nié qu’il était personnellement impliqué.
Mais la police fédérale, au contraire, dit avoir beaucoup de témoignages sur un complot qui — parallèlement à l’attaque du 8 janvier — impliquait un plan pour assassiner Lula da Silva, son vice-président, Geraldo Alckmin, et Alexandre de Moraes, juge en chef de la Cour suprême.
Pourquoi ce contraste entre le triomphe de Trump et la déchéance de Bolsonaro ?
Le mouvement derrière Bolsonaro n’a pas la force du « MAGA » trumpien. Bolsonaro a été décrit comme pleurnichard et dépressif. La justice brésilienne est activiste, rapide, peut-être expéditive. Mais efficace. Au contraire de ce qui s’est passé avec Trump, les poursuites et les procès ne seront pas freinés ou annulés par des considérations politiques.
Bolsonaro a reçu une peine d’inéligibilité… alors que, même condamné au criminel, Trump a pu poursuivre sa campagne. Et puis, le Brésil a un paysage politique beaucoup plus fragmenté : il y a 25 partis politiques au Congrès. Alors qu’aux États-Unis, le bipartisme 50-50, qu’on a encore vu à l’élection de novembre, crée une polarisation et une mobilisation très forte qui a protégé Trump.
Pour joindre l’auteur : francobrousso@hotmail.com
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