Cinq menaces au droit d’être informé

Il y a dix ans, des terroristes assassinaient des journalistes de Charlie Hebdo. Ils voulaient punir ce média de s’être moqué de leurs dogmes religieux. L’état de la liberté de presse et du droit à l’information ne s’est pas amélioré depuis. La semaine dernière, une dessinatrice du Washington Post démissionnait après que la direction du journal appartenant au multimillionnaire Jeff Bezos eut censuré une caricature dénonçant les génuflexions des grands patrons de l’industrie numérique devant Donald Trump.

À ces agressions envers les journalistes s’ajoutent les politiques hostiles aux médias publics et indépendants, les menaces induites par le fonctionnement chaotique des espaces en ligne, la tendance des autorités à camoufler des informations d’intérêt public de même que le détestable réflexe de revendiquer la censure des propos qu’on désapprouve. Si les gens de médias sont les premières victimes de ce surcroît d’agressivité, les membres du public pâtissent de ces assauts contre leur droit à être informés.

Les agressions contre les journalistes

L’intimidation, le dénigrement et la violence contre les journalistes ont des incidences sur la liberté d’expression, l’accès à l’information et les processus démocratiques. Par exemple, on a révélé il y a quelques semaines que le journaliste de La Presse Daniel Renaud avait été l’objet d’un complot visant à attenter à ses jours par des gens du monde interlope.

Ailleurs dans le monde, les agressions contre les journalistes à Gaza et dans les autres pays ravagés par la guerre contribuent à nous priver d’informations cruciales sur ce qui se passe dans les zones troublées. Et cela, sans compter les diatribes répétées de Donald Trump et autres leaders autoritaires contre les médias qui ne leur prêtent pas allégeance.

Les menaces contre les médias de service public

Le conseiller de Trump Elon Musk propose d’éliminer des centaines de millions de dollars de financement annuel des médias publics américains. Les stations les plus vulnérables, particulièrement dans les zones rurales, seraient les plus durement touchées. Ces médias publics jouent pourtant un rôle crucial dans la diffusion d’informations locales, de programmes éducatifs et d’alertes d’urgence à travers les États-Unis.

La situation n’est guère plus encourageante au Canada. Dans les pages du Devoir, Stéphane Baillargeon rappelait que Pierre Poilievre s’est dit impatient de fermer CBC/Radio-Canada et transformer en appartements le siège social de CBC à Toronto. Quant à Radio-Canada, le chef conservateur parle de « lui allouer certains fonds afin que les minorités linguistiques puissent avoir des nouvelles ». En somme, faire table rase de ce qui à ce jour a permis de différencier l’espace médiatique canadien de celui des États-Unis.

Certains se résigneront : faute de médias publics, il restera à nous tourner vers les médias sociaux !

L’absence de responsabilisation des plateformes en ligne

Mais les plateformes de partage et les réseaux sociaux ne sont pas soumis à de vraies obligations de reddition de comptes. Leur capacité de générer et de répandre des faussetés fragilise les processus démocratiques.

Des lois tardent à être mises en place pour assurer qu’une partie des revenus générés par la captation de l’attention des individus seront réinvestis dans la production de nouvelles validées selon les standards de rigueur reconnus. La lutte contre les fausses nouvelles doit viser les procédés, fondés sur les algorithmes et l’intelligence artificielle, par lesquels les informations sont « poussées » ou proposées aux individus.

Il faut aussi garantir que les processus techniques qui déterminent les informations que les gens reçoivent et voient opèrent de façon loyale et que les risques de manipulation soient connus et maîtrisés. Le retard à mettre en place des lois allant dans cette direction laisse notre droit d’être informé à la merci d’algorithmes configurés pour maximiser les profits des géants du Web.

Les délais d’accès aux documents publics

La tactique est familière à ceux qui font des demandes d’accès à des documents détenus par des organismes publics. Certains organismes publics étirent au maximum les délais pour y répondre, réclament de prolonger les délais lorsque les lois le leur permettent et invoquent toutes une liste d’exceptions pour refuser de fournir les documents. Cela force à s’adresser aux instances chargées de déterminer si les exceptions sont effectivement applicables. Le processus prend des mois, voire des années. Le document devient disponible lorsqu’il est devenu sans intérêt…

Le réflexe de censure

Le réflexe de censure sévit dans tous les camps. Il y a quelques semaines, dans une intervention à l’épisode 11 de l’émission Une époque formidable, la psychologue Rachida Azdouz observait que les protagonistes en désaccord ont trop souvent le réflexe de réclamer la censure des propos qu’ils désapprouvent, alors qu’ils condamnent une telle censure lorsqu’elle leur est appliquée ou qu’on revendique qu’elle leur soit imposée.

Pour garantir le droit du public à l’information, il faut remplacer ces réflexes de censure par celui d’exiger que les lois limitant les libertés expressives soient justifiées et répondent aux exigences de raisonnabilité dans une société démocratique.

Une décennie après les meurtres de Charlie Hebdo, il faudra de fortes mobilisations pour endiguer le recul de notre droit à être informé.

Ce texte fait partie de notre section Opinion, qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.

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