Un chat est un chat

Alors que l’attention de toute la classe politique canadienne est monopolisée par ce que fera ou ne fera pas Donald Trump, Pierre Poilievre a quand même senti le besoin de répliquer à Paul St-Pierre Plamondon, selon qui l’élection d’un gouvernement conservateur pourrait faire augmenter l’appui à l’indépendance.

M. Poilievre croit plutôt que le chef du PQ a peur qu’un « fédéralisme responsable » et respectueux des champs de compétence du Québec affaiblisse ses arguments en faveur de la souveraineté.

La semaine dernière, M. St-Pierre Plamondon avait convoqué un point de presse pour réagir à la démission de Justin Trudeau, mais les échanges ont rapidement bifurqué vers celui qui a de fortes chances d’être élu premier ministre du Canada dans quelques mois, peu importe ce que nous réserve l’énergumène qui se réinstallera lundi à la Maison-Blanche. Qui sait, cela était peut-être le début du troisième épisode de la saga référendaire.

Peu importe qu’un chat soit noir ou blanc, il croquera toujours les souris. Dans l’esprit du chef péquiste, le départ de M. Trudeau ne change rien à l’inéluctable minorisation du Québec au sein de la fédération canadienne.

Il est vrai que les valeurs véhiculées par le Parti conservateur semblent difficilement compatibles avec celles qu’on dit être celles du Québec, qu’il s’agisse de laïcité ou d’environnement, et qu’il n’a jamais parlé de lui céder de nouveaux pouvoirs en immigration, ni d’augmenter davantage les transferts en santé.

M. Poilievre a bien pris soin de ne prendre aucun engagement spécifique envers le Québec, sinon celui de contribuer au financement du troisième lien et de ne pas mettre un sou dans le projet de tramway de la capitale. Dans un cas comme dans l’autre, on peut sans doute le croire.

*****

Il y a vingt ans, les souverainistes avaient aussi placé de grands espoirs en Stephen Harper. À l’époque, même le libéral Paul Martin disait que son programme était « contraire aux valeurs des Québécois ». On évoquait son opposition au protocole de Kyoto, son appui à la guerre en Irak, son rejet de l’accord du lac Meech…

Le « fédéralisme d’ouverture » promis par M. Harper n’a peut-être pas donné de résultats très tangibles, mais le choc des valeurs annoncé (ou espéré) n’a pas provoqué d’explosion, malgré tous les efforts faits pour diaboliser le chef conservateur. D’ailleurs, ses relations ont sans doute été moins bonnes avec le très fédéraliste Jean Charest qu’avec la souverainiste Pauline Marois.

En 2017, un des conseillers de M. Harper entre 2009 et 2015, Carl Vallée, avait expliqué dans un article publié dans L’Actualité comment la stratégie du « désengagement constitutionnel », qu’on pourrait aussi qualifier d’évitement, lui avait permis de désamorcer la question de l’unité nationale.

Quand le PQ a repris le pouvoir, en 2012, la fonction publique fédérale, qui appréhendait une nouvelle crise, avait proposé divers moyens pour « maximiser la présence et la pertinence du gouvernement fédéral au Québec ».

Le gouvernement Harper avait rapidement écarté ce qui aurait immanquablement rappelé le scandale des commandites. Malgré tous les efforts du gouvernement Marois pour provoquer des chicanes, M. Harper avait systématiquement refusé de mordre à l’hameçon, raconte M. Vallée. C’est ainsi qu’il avait tourné à la blague le retrait de l’unifolié du Salon rouge de l’Assemblée nationale, qui avait fait le tour du pays.

*****

Cette indifférence à la provocation était possible face à un gouvernement minoritaire, qui était donc incapable de tenir un référendum. M. Harper ne serait certainement pas demeuré aussi stoïque si le gouvernement Marois n’avait pas été condamné à l’impuissance. M. Poilievre ne pourrait pas l’être davantage face à un gouvernement péquiste majoritaire.

M. St-Pierre Plamondon a raison de dire que les conservateurs sont parfaitement capables de prendre le pouvoir sans le Québec, mais la dernière chose que doit souhaiter leur chef serait d’être le premier non-Québécois à se retrouver à la tête du pays lors d’un référendum.

M. Poilievre aurait donc tout intérêt à favoriser la réélection de la CAQ, voire du PLQ, en leur fournissant des arguments qui permettraient de mieux vendre le Canada aux Québécois.

Le chef du PQ a dit n’avoir aucune inquiétude à ce sujet, M. Poilievre paraissant totalement fermé à leurs aspirations, qui lui seraient même incompréhensibles. Celui-ci semble en effet croire qu’il suffira de « mettre la hache dans la taxe, construire des logements, équilibrer le budget et combattre le crime » pour les satisfaire au même titre que les Canadiens.

Alors que son parti s’apprête à faire la meilleure récolte de sièges au Québec depuis les années Mulroney, on peut le comprendre de penser que la véritable cause du problème était Justin Trudeau. Après tout, c’est ce que M. Legault répète depuis des années !

Ce texte fait partie de notre section Opinion, qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.

À voir en vidéo