Ce qui a changé depuis le 20 janvier

En 2007, l’essayiste canadienne Naomi Klein publiait son succès de librairie La stratégie du choc. La montée d’un capitalisme du désastre. Il s’agissait pour elle de démontrer que les guerres, les désastres naturels et les « catastrophes » — bref, le chaos — pouvaient être instrumentalisés par les dirigeants pour mettre en place des réformes politiques et économiques radicales. Avec cette thèse en tête, tâchons de résumer ce qui s’est produit depuis le 20 janvier, soit dans les 10 derniers jours.

Commençons par les annonces de Donald Trump :

1. S’amorce un démantèlement radical des réglementations environnementales aux États-Unis. On déclare une « urgence nationale » pour accélérer la construction d’infrastructures énergétiques, tout en excluant le solaire et l’éolien. On décrit les calculs du « coût social du carbone » comme « idéologiquement motivé » et on envisage d’interdire au gouvernement américain d’avoir recours à la notion même de prix du carbone d’ici 60 jours. Bien sûr, on se retire de l’Accord de Paris.

2. Donald Trump a accordé un pardon présidentiel à plusieurs insurgés du 6 janvier 2021.

3. On purge la fonction publique fédérale américaine. Trump offre une compensation financière aux fonctionnaires qui démissionneront d’ici le 6 février. Un ensemble de programmes sont mis sur pause, ce qui désorganise une panoplie d’institutions publiques, parapubliques et communautaires. Tout ce qui vise l’équité, la diversité, l’inclusion et la justice environnementale au sein du fédéral doit être démantelé.

4. Le golfe du Mexique est renommé golfe de l’Amérique. Donald Trump parle « d’expansion du territoire » américain et menace le Panama et le Groenland d’invasion militaire.

5. Tout le financement de la coopération internationale américaine, hormis l’aide d’urgence, est mis sur pause.

6. Les États-Unis se retirent de l’Organisation mondiale de la santé, ce qui crée un large trou dans les ressources financières de cette dernière. Le monde sera moins protégé contre les prochaines pandémies.

7. De spectaculaires expulsions de personnes vivant sur le territoire américain, la plupart originaires de l’Amérique latine, ont lieu. Une mobilisation militaire s’amorce à la frontière mexicaine. Un décret présidentiel a annulé le droit du sol, mais un juge en a suspendu l’application pour le moment.

8. On déclare qu’il n’existe que « deux genres », ce qui oblitère légalement les personnes trans et non binaires. On élimine l’accès à un ensemble de soins de santé pour les enfants trans et non binaires.

9. On renforce l’interdiction du gouvernement fédéral de rembourser des mesures de contraception ainsi qu’un ensemble de soins de santé reproductive pour les femmes.

10. Pour encourager la « domination américaine » de l’intelligence artificielle (IA), on révoque les quelques réglementations éthiques qui encadraient son développement. En 2023, plus d’un millier de chercheurs avaient réclamé une pause sur son développement, sonnant l’alarme sur le risque de « perdre le contrôle de notre civilisation ».

11. Donald Trump a annoncé mercredi qu’il retirera les visas des non-citoyens ayant participé aux manifestations propalestiniennes. D’autres expulsions sont donc à prévoir. La « liberté d’expression » en prend pour son rhume.

12. Trump demande à la Jordanie et à l’Égypte de « prendre » plus de ressortissants gazaouis, ce qui vient soutenir les pans de la société et du gouvernement israéliens qui visent un nettoyage ethnique de Gaza. Malgré les cessez-le-feu, les violences continuent dans le sud du Liban, à Gaza et en Cisjordanie.

13. Ceci n’est pas une pipe, écrivait René Magritte sous sa peinture de… pipe. Après nous avoir assurés que son salut nazi n’en était pas un, Elon Musk s’est adressé samedi au parti de l’extrême droite allemande AfD, l’encourageant à laisser derrière la « culpabilité passée ».

14. Qui plus est, Donald Trump devrait annoncer des tarifs douaniers de 25 % à la frontière canado-américaine dès le 1er février — jusqu’à preuve du contraire.

15. Trump a commencé à « blaguer » sur la possibilité de s’accrocher illégalement au pouvoir pour un troisième mandat. On se souvient que son agression économique du Canada a aussi commencé par des blagounettes.

Pendant ce temps, au Canada :

16. On vient de perdre le président du Conseil de la fédération — et « Capitaine Canada » —, Doug Ford, qui a déclenché mardi des élections provinciales en Ontario.

17. On travaille à Ottawa sur un plan d’urgence en prévision de l’imposition de tarifs douaniers américains. Il n’est pas clair que le gouvernement fédéral disposera des leviers nécessaires pendant que le Parlement est prorogé.

18. Le rapport de la commission Hogue sur l’ingérence étrangère déposé mardi conclut que « la manipulation de l’information (d’origine étrangère ou non) représente le plus grand risque pour notre démocratie » — risque qui outrepassait le mandat de la commission. Dans un contexte où Meta élimine la vérification des faits et où Elon Musk, propriétaire de X, s’aligne sur Donald Trump, le rapport ne rassure pas.

Pendant ce temps, au Québec :

19. Durant l’éclipse média de l’intronisation de Trump, on a annoncé une hausse recommandée des loyers de 5,9 %. Malgré la crise du logement, Québec n’imagine pas de mesures fiscales ou réglementaires pour aider les locataires.

20. Amazon quitte le Québec à la suite de la syndicalisation de ses travailleurs de Laval — et ce, après avoir obtenu des millions de dollars en contrats publics.

21. Le ministre Jean-François Roberge annonce jeudi une loi-cadre sur l’intégration « des nouveaux arrivants », des « immigrants » ou des « enfants nés au Québec » dits « de la loi 101 » — ce n’est pas clair. Voilà trois réalités distinctes que l’on mélange complètement.

En cette rentrée parlementaire à Québec, il semble qu’on veuille renvoyer les journalistes et chroniqueurs, qui ont pourtant de quoi s’occuper avec les points 1 à 20, se déhancher sur le plancher de danse identitaire comme si nous étions en 2007.

Tout ça en 10 jours. La « stratégie du choc », disait-on.

Ce texte fait partie de notre section Opinion, qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.

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