Les bonnes résolutions
Au lendemain de la pandémie, le Québec s’était bien promis de ne plus être pris au dépourvu. Si un autre virus nous tombait dessus, on aurait les moyens de le combattre efficacement. Plus jamais on ne déconseillerait le port du masque parce qu’il n’y en avait pas.
Cinq ans après la COVID-19, serions-nous réellement en mesure de réagir à une nouvelle crise du genre ? Le directeur national de santé publique, le Dr Luc Boileau, constatait l’an dernier que le Québec n’était toujours pas autonome en matière d’équipements sanitaires.
Les préposés aux bénéficiaires qu’on a formés en catastrophe pour stopper l’hécatombe dans les CHSLD font aujourd’hui les frais des compressions dans le réseau de la santé. Le Panier bleu, qui devait soutenir les commerces victimes du confinement en favorisant l’achat local en ligne, n’a pas survécu.
Face à la « crise Trump », qui laisse brutalement entrevoir les conséquences catastrophiques que pourrait avoir notre dépendance du marché américain, on a droit à un nouveau festival des bonnes résolutions. Au-delà des mesures d’urgence qu’il faudra prendre pour parer au plus pressé, le premier ministre Legault a convié tous les Québécois à une nouvelle corvée pour redéployer notre économie.
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La première résolution qu’il a prise est de diversifier nos marchés d’exportation. Le refrain n’est pas nouveau. Dans la préface de la politique en matière de relations internationales que son gouvernement avait publiée en 2019, il écrivait : « Le Québec est largement dépendant du marché américain. Nous devons réduire cette dépendance en diversifiant nos marchés d’exportation. Nous mettons donc en place une stratégie de développement des marchés pour aider nos entreprises à s’implanter dans de nouveaux pays. »
C’est plus facile à dire qu’à faire. De toute évidence, la stratégie qu’il évoquait n’a pas donné les résultats espérés, puisque le pourcentage des exportations du Québec à destination des États-Unis, qui était déjà supérieur à 70 % à l’époque, a encore augmenté depuis.
Pour lui donner un nouveau souffle, le gouvernement entend multiplier les missions à l’étranger, notamment en Europe, qui constitue assurément un marché attrayant. M. Trump a cependant averti l’Union européenne qu’elle était dans son collimateur et pourrait donc être visée par des tarifs. Apparemment, les États-Unis sont également exploités de façon éhontée par les Européens.
Les malheurs du Canada suscitent sans doute une grande sympathie outre-Atlantique, mais charité bien ordonnée commence par soi-même. Si M. Trump décide de s’en prendre à l’Union européenne, elle cherchera aussi à diversifier ses exportations, mais ses membres voudront sans doute favoriser l’achat européen d’abord.
L’élimination des barrières réglementaires qui entravent les échanges entre les provinces canadiennes revient aussi comme une litanie depuis des décennies, sans que rien ne change. Selon un rapport publié par l’Institut économique de Montréal en 2023, le Québec est même celui qui en impose le plus.
L’IEDM avait recensé 35 exceptions québécoises, un nombre qui n’a pas changé depuis 2017. Éliminer ces barrières pour faciliter les échanges signifierait toutefois de renoncer à certaines exigences, notamment en matière de langue. On voit mal le gouvernement y consentir.
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Aussi improbable que cela puisse sembler, on ne peut pas totalement exclure que M. Trump change d’idée et renonce à ses tarifs. Qui sait, il lui viendra peut-être une nouvelle lubie qui lui fera oublier les précédentes. Après le Groenland et Panama, voilà maintenant la Riviera paradisiaque dans la bande de Gaza !
Même s’il décidait d’accorder un nouveau sursis au Canada, l’incertitude risque toutefois de perdurer jusqu’à la conclusion des prochaines négociations sur le renouvellement de l’accord de libre-échange. Il est douteux que les entreprises engagent de grandes dépenses pour hausser leur productivité — autre résolution de M. Legault — tant qu’elles ne sauront pas à quoi s’en tenir. Dans l’immédiat, le gouvernement ne pourra pas éviter une opération de sauvetage, même si requalifier ceux qui perdront leur emploi et les expédier dans les chantiers d’Hydro-Québec n’est peut-être pas la trouvaille du siècle.
D’une manière ou d’une autre, la « crise Trump » finira cependant par se résorber, comme l’a fait la « crise COVID ». Les bonnes résolutions prises aujourd’hui tiendront-elles mieux que celles d’il y a cinq ans ? La pandémie avait pourtant fait des milliers de victimes.
On a beau dire qu’on peut marcher et mâcher de la gomme en même temps, les finances publiques ne sont pas dans un état qui permet de multiplier les priorités. Tout le monde s’accorde pour reconnaître que le redéploiement de l’économie est hautement souhaitable, mais cela prendra du temps et le temps est l’ennemi numéro un des bonnes résolutions.
Ce texte fait partie de notre section Opinion, qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.