Du bleu ciel 2000 à la mousse moka 2025

Le «Mocha Mousse», couleur de l’année de Pantone en 2025
Photo: iStock et Pantone Le «Mocha Mousse», couleur de l’année de Pantone en 2025

Il existe un sujet rassembleur, inoffensif (en apparence) et universel. Silencieux en plus et sans calories. Parmi les thérapies non conventionnelles envisagées dans la cacophonie ambiante, je me tourne vers la couleur. Bien sûr, vous me croyez triviale, un brin insouciante, vu le beige « Craquelins au riz » de février (S240-2 Behr), le gris « Mineral Ice » du zeitgeist (2132-60- Benjamin Moore) et la colère « Black Panther » (2125-10) d’un règne qui sera plus noir que le cul d’un ours.

Mais devant le nuancier de Behr ou le catalogue 2025 de Benjamin Moore et le mur « blanc drabe » de mon bureau qui adoptera une jolie couleur « Ardoise cannelle » sous peu (mon collègue Jean-François Nadeau a écrit à ce sujet cette semaine), je m’apaise sans explications, sans mots.

J’ai repeint ma salle de bains « Gris loup » (2127-40) après Noël, avec de légers reflets bleutés du plus grand chic. Neutralité au rabais qui tient de l’art-thérapie minérale et de l’esthétisme primaire. Prendre mon bain en écoutant le piano de Viviane Audet devient une activité de détente complète à l’heure où la meute se met à hurler.

Pour mon bureau au blanc démotivant, je me suis tournée vers la couleur Pantone 2025, le « Mocha Mousse » (17-1230), puis j’ai bifurqué vers l’« Ardoise cannelle » de Benjamin, élue elle aussi afin de souligner cette année déjà mé-mo-ra-ble. Toujours dans les tons terreux dignes du film Dune, j’hésitais aussi entre le « Bâton d’encens » et la « Terre d’Amazone ». Je devrais peut-être chercher la « Terre de chez nous », le « Last Frontier » ou le « Douanier zélé », pour rester vraiment dans la palette marron « Canadian ».

Chose certaine, je pousserai l’ardeur patriotique en roulant mon « Ardoise cannelle » sur du Fred Pellerin, notre trouvère de Saint-Élie-de-Caxton, et en chantant « C’est dans la pénombre que la lumière est belle » ou « C’est dans le silence qu’une réponse est belle ». En tout cas, « J’apprends à me tenir debout ».

Une nuit ou une vie cerne mes yeux déjà flous / Aux reflets vert-de-gris et cruels / Le sel des glaciers sur la couleur de mes joues / Même si personne ne nous cherche querelle

« Couleur du temps » et « Drama Queen »

C’est au XVIIIe siècle, précise l’historien des couleurs Michel Pastoureau, que des nuances nouvelles donnent lieu à des formules imagées telles que « gorge de pigeon », « boues de Paris » ou « cuisse de nymphe émue ». Totalement XXIe siècle, les noms de couleurs de la compagnie de peinture Behr sont inégalables. Ces verts « Lézard paresseux » ou « Pelouse insolente » ou « Bonne chance » m’interpellent. J’aime aussi les roses « BFF » (Meilleures amies pour toujours) et « Coup de foudre », ou le bordeaux « Wine not », le rouille « Reine du drame ». Imaginons un manteau « Couleur de temps » comme celui de Peau d’âne, un orange « Toupet narcissique » ou un arc-en-ciel « Tsar fentanyl ».

Quelle que soit l’époque concernée, le regard est toujours culturel.

Pour sélectionner sa couleur de l’année depuis l’an 2000, l’Institut Pantone (qui crée des nuanciers) fait appel à plusieurs « anthropologues de la couleur » qui analysent les technologies, les valeurs, les collections d’art, de mode, les destinations de voyage et le zeitgeist, l’air du temps.

Ce brun terroir n’est pas un hasard, m’apprend Marie-Chantal Milette, experte en couleurs à la tête de sa compagnie, Kryptonie, et qui a prédit la couleur Pantone de l’année plusieurs fois, y compris celle de 2025. « Dans les temps de grande insécurité, on se tourne vers la famille des bruns. Les années 1930 étaient super brunes. Depuis 2020, nous n’avons pas eu de break avec la pandémie, la polarisation, les guerres en Ukraine et en Israël, les catastrophes climatiques, l’économie, Trump. Les bases de terre représentent un enracinement, la sécurité. » La mousse moka devient subitement moins superficielle qu’elle ne le paraît. Je pourrai manger mes murs si l’anxiété augmente.

Depuis la pandémie, le retour de la couleur s’est fait sentir de multiples façons. Marie-Chantal l’attribue au fait que les gens ont voulu ajouter de la couleur à leur appartement, qu’ils occupaient 24 heures sur 24 en confinement. « Entre 2000 et 2010, nous avions “grisifié” nos maisons. On doit ça à la techno. Mais même si le gris nous décharge, il ne nous redonne rien en retour. Le gris est solitaire. »

Les couleurs porteuses d’émotions

Sur ses nuanciers personnels d’Instagram, Marie-Chantal peut nous résumer un dimanche à l’aide de toute une palette allant du rose « Sourire à un inconnu » au vert « Se lever sans se presser ». D’ailleurs, Benjamin Moore la relance pour nommer des couleurs orphelines. La consultante analyse l’actualité pour prédire les tendances couleur dans deux ans pour plusieurs compagnies. « Les gens pensent que les couleurs, c’est juste cute ! Mais il y a un pourquoi du comment », explique celle qui donne le vert comme nouvelle couleur du zeitgeist.

« Le vert, c’est le nouveau gris ! Il s’appuie sur notre dépendance techno. » En effet, nous avons besoin de nature pour contrebalancer les effets de ce téléphone dont nous nous saisissons plus de cent fois par jour. Le gris minéral nous repose de la surstimulation, mais le vert végétal recharge.

Tout comme le brun, expliquait la vice-présidente de l’Institut Pantone, Laurie Pressman, au magazine Time en décembre dernier : « C’est une couleur honnête. C’est authentique. On y croit. C’est une couleur qu’on voit dans la nature. Nous savons que c’est vrai. » Aussi vrai que le mois de février est le mois le plus court qui nous paraîtra le plus long, couleur « Patience » (PR-W11).

Ce qui se passe dans le monde s’exprime dans le langage silencieux de la couleur.

Dans son livre Vert, Michel Pastoureau nous montre comment notre perception de cette couleur discrète a évolué. Le vert est devenu la couleur de l’écologie, de la santé, de la liberté : « Le vert est sain, tonique, vigoureux. Il est libre et naturel, prêt à lutter contre tous les artifices, toutes les entraves, tous les autoritarismes. Surtout, il est riche de multiples espérances, tant pour l’individu que pour la société. Autrefois délaissé, rejeté, mal aimé, le vert est devenu une couleur messianique. Il va sauver le monde », conclut-il.

Photo: iStock et Pantone Le «Cerulean», couleur de l’année de Pantone en 2000

De son côté, Marie-Chantal Milette ajoute une couleur fondamentale à sa palette naturelle : le bleu ciel. « Je l’ai annoncé en octobre dernier et c’était la couleur Pantone 2000. C’est “la” couleur la plus porteuse d’espoir dans un monde où il y a zéro certitude. Historiquement, le ciel redevient toujours bleu. »

Reste à voir si ce sera un « Bleu frileux » (S500-4) ou un bleu « Sky’s the limit » (M530-2).

 

cherejoblo@ledevoir.com

Bluesky : joblanchette@bsky.social

Dévoré la seconde saison de Lakay Nou, cette série 100 % québ-haïtienne portée par les comédiens Frédéric Pierre et Catherine Souffront (et leur entourage désopilant) avec le réalisateur Ricardo Trogi.

De la couleur dans tous les sens du terme, autant visuellement que dans le langage et les situations. Ça nous change drôlement de la morosité ambiante. On tombe sous le charme. Sur l’extra d’ICI Tou.tv.

Rigolé en écoutant la chronique de Catherine Éthier à Tout un matin (mi-décembre) sur la couleur Pantone de 2025, le « Mocha Mousse » : « Tant qu’à être dans la marde, autant en faire la couleur de l’année. » Et elle nous apprend que le brun est associé aux souvenirs d’enfance (en publicité). Un peu scato, mais on s’amuse ferme en studio.

Suivi le compte Instagram de Marie-Chantal Milette. L’experte en couleurs m’a convaincue de peindre au moins un mur de mon bureau blanc-beige-gris, tout sauf des couleurs démotivantes. Elle donne des conseils et partage avec nous sa passion des couleurs. @kryptoniecoloragency

Lu Vert. Histoire d’une couleur de l’historien Michel Pastoureau. Les versions en poche (moins onéreuses) offrent plusieurs couleurs et l’historien français reste passionnant. On y apprend que le vert est la couleur de l’amour naissant et impatient. « Au Moyen Âge, toutefois, l’amour possède une palette étendue. Au vert des amours incertaines de la jeunesse s’opposent le bleu de l’amour légitime et fidèle, le gris des amours malheureuses, le rouge de l’amour chrétien et de la charité. »

JOBLOG — La pyramide et la piscine

Je ne sais trop comment la sociologue Martha Beck est apparue sur mon radar. Mais je sais que nous aurons besoin pour traverser les temps présents de nous tourner vers les philosophes, les historiens, les logues et les sciences sociales au sens large, et quelques autres sorciers et sorcières capables de sortir leur lampe frontale et de nous redonner de la perspective.

Devenue coach et autrice (Beyond Anxiety), Martha Beck reste forte de ses études à Harvard, mais aussi en Asie, où elle s’est intéressée à l’ego et à l’illumination. Elle nous démontre dans cette vidéo comment notre système de pouvoir pyramidal a toujours été reconduit par les révolutions, replaçant une poignée d’élus au sommet. Martha nous explique à l’aide de sucre en cubes ce qu’est la conscience et comment un groupe d’individus qui se traitent en égaux peuvent dissoudre les pyramides de pouvoir. De la révolution à la dissolution : « The pyramid and the pool » sur marthabeck.com (en anglais).

Ce texte fait partie de notre section Opinion, qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.

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