Des armes contre les violences technologiques

Le « partage » non consensuel d’une image intime — soit le fait de publier, de diffuser, de distribuer, de transmettre, de vendre, de communiquer ou de rendre accessible une telle image ou d’en faire la publicité — est une forme particulièrement grave de violence technologique.

Nous vivons dans un environnement technologique où il est facile d’abuser de la puissance des outils connectés. Chacun a la capacité de capter et de diffuser les informations même les plus intimes sur autrui. Les technologies de captation d’images, l’intelligence artificielle et surtout les capacités considérables de répandre de façon virale des images intimes posent de redoutables défis pour ceux qui sont soucieux de protéger l’intimité. La puissance que confère la technologie à ceux qui décident de se venger ou d’exercer un contrôle sur une autre personne nécessite des réponses musclées.

Face à la vitesse et l’ubiquité d’Internet, les lois doivent être adaptées de façon à pouvoir répondre avec rapidité et fermeté aux actions malveillantes émanant de ceux qui font usage du réseau pour nuire ou harceler. Le projet de loi 73, présenté récemment par le ministre de la Justice Simon Jolin-Barrette, vient renforcer la protection contre la dissémination non consensuelle d’images intimes. Surtout, il met en place des mécanismes pour accélérer les processus afin d’obliger les individus et les entreprises en mesure d’agir de le faire avec célérité.

Déjà, des lois ont été mises en place à Terre-Neuve-et-Labrador, au Nouveau-Brunswick, en Nouvelle-Écosse et en Colombie-Britannique afin de procurer des recours aux victimes de publication non consensuelle d’images intimes. Au Québec, l’article 28.1 de la Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé prévoit un droit d’exiger la cessation de diffusion d’un renseignement personnel lorsqu’il est démontré que la diffusion du renseignement contrevient à la loi ou à une ordonnance judiciaire. Cette disposition vise notamment des situations de partage non consensuel d’images intimes, mais également toutes sortes de diffusions illégales de texte ou d’image. Le projet de loi 73 vient ajouter des moyens au bénéfice des personnes qui ont à se débattre avec les violences que constitue la diffusion d’images de leur intimité.

La loi habilitera les juges de la Cour du Québec et les juges de paix magistrats à intervenir promptement dans les situations de partage sans consentement d’une image intime ou de menace d’un tel partage. Ils pourront ordonner à toute personne qui détient ou qui a sous sa gouverne une image intime de s’abstenir de partager cette image, de cesser tout partage de cette image ou de détruire cette image dès la notification de l’ordonnance. De même, le juge pourra ordonner à toute personne de désindexer tout hyperlien donnant accès à cette image.

La loi permettra aussi au juge d’ordonner à toute personne de lui fournir toute information nécessaire ou utile en vue de faire cesser le partage d’une telle image ou de prévenir ce partage, notamment toute information pouvant servir à identifier une personne ayant partagé une telle image ou menaçant de le faire, ainsi que de prononcer toute autre ordonnance accessoire appropriée dans les circonstances.

Une telle ordonnance peut être demandée par la personne représentée sur l’image. Si cette dernière y consent ou que le tribunal l’autorise, elle pourra être demandée par une autre personne ou par un organisme. En cas de décès de la personne représentée sur l’image, l’ordonnance pourra aussi être demandée par son conjoint, par un proche parent ou par un allié. La loi viendra ainsi faciliter le travail des organismes qui viennent en aide aux personnes victimes de telles violences technologiques.

Les images intimes

Le projet de loi définit une image intime comme étant « toute image, modifiée ou non, représentant ou semblant représenter une personne soit nue ou partiellement nue, exposant ses seins, ses organes génitaux, sa région anale ou ses fesses, soit se livrant à une activité sexuelle explicite lorsqu’elle pouvait s’attendre de façon raisonnable à ce que sa vie privée soit protégée, que ce soit dans les circonstances de la création, de la captation ou de l’enregistrement de cette image ou, le cas échéant, celles où elle est partagée ». Un enregistrement visuel ou sonore ou toute diffusion en direct de pareil contenu sont aussi visés.

Les images intimes relèvent de la vie privée. À ceux qui ne manqueront pas de brandir la liberté d’expression pour s’opposer au projet de loi 73, il faut rappeler que cette liberté n’est pas et n’a jamais été absolue. La liberté d’expression est évidemment limitée par les droits des autres et, singulièrement, par le droit à la dignité et à la vie privée.

Le projet de loi 73 est le type de mesure législative qu’il faut mettre en place le plus vite possible afin de répondre aux violences technologiques qui engendrent tant de détresse. Il ne suffit pas de déplorer les violences technologiques en s’imaginant naïvement que « l’éducation des gens » fera, à elle seule, disparaître les usages abusifs des réseaux sociaux. Il faut imposer de vraies obligations à ceux qui profitent des pratiques abusives dans les réseaux et déployer des moyens fonctionnant à la vitesse qui caractérise la viralité de la diffusion sur Internet.

Ce texte fait partie de notre section Opinion, qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.

À voir en vidéo