L’apocalypse ajournée
Depuis des semaines, on prédisait que le ciel nous tomberait sur la tête le lundi 20 janvier 2025. Au plus tard le 21. Donald Trump avait promis d’agir « à une vitesse et avec une force sans précédent », et il ne se passait pratiquement pas une journée sans qu’il renouvelle ses menaces d’imposer des tarifs pouvant aller jusqu’à 25 % sur les exportations canadiennes aux États-Unis.
On a presque entendu un soupir de soulagement d’un bout à l’autre du pays quand il a d’abord été rapporté par le New York Times que l’apocalypse était ajournée, au moins temporairement, le temps qu’il faut pour démontrer que le revenant de la Maison-Blanche accorde la priorité à la question de l’immigration. Le soulagement a toutefois été de courte durée, Trump ayant confirmé en soirée sa volonté d’imposer des tarifs de 25 % au Canada et au Mexique dès le 1er février.
Rien dans le discours d’intronisation du nouveau président, dans lequel il a annoncé rien de moins que « l’âge d’or » des États-Unis, ne permet de penser qu’il ne pourrait pas réfléchir au-delà des coups de gueule et reconnaître que tout n’est peut-être pas aussi simple qu’il veut bien le croire, bien que plusieurs l’en pensent incapable.
Malgré la création d’une nouvelle agence de perception des revenus venant de l’extérieur, le pire n’est pas certain. Après tout, M. Trump n’a pas réitéré son intention de faire du Canada le 51e État américain. Pour le moment, il semble vouloir se contenter du canal de Panama !
Il faudra néanmoins lui concéder quelque chose qui lui permettra de crier victoire, ce qui fera inévitablement des victimes. En attendant, cet examen plus approfondi de la balance commerciale entre le Canada et les États-Unis, qui fera peut-être comprendre au nouveau président que leurs économies sont trop intégrées pour qu’on puisse attaquer l’une sans nuire à l’autre, est assurément le bienvenu.
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Depuis l’élection américaine de novembre dernier, la politique canadienne est conditionnée presque entièrement à la perspective du retour de M. Trump et aux menaces qu’il n’a cessé de proférer. Son imprévisibilité empêche de tenir quoi que ce soit pour acquis, mais une attitude moins belliqueuse que prévu pourrait aussi avoir un effet politique déterminant.
Depuis deux ans, les prochaines élections fédérales s’annonçaient comme un référendum sur Justin Trudeau et la taxe sur le carbone, que Pierre Poilievre n’aurait aucun mal à remporter. La victoire de M. Trump a eu pour effet de précipiter les choses, M. Trudeau a dû démissionner, et les prétendants à sa succession demandent à être évalués selon leur capacité à tenir tête au nouveau président.
Pierre Poilievre serait sans doute le plus heureux de voir la menace s’éloigner. Une guerre commerciale, qui pourrait amener le Canada à taxer le pétrole exporté aux États-Unis en guise de représailles, le placerait dans une situation intenable face à la base conservatrice de l’Ouest.
M. Trump aurait droit à toute la reconnaissance du chef conservateur s’il lui épargnait cette épreuve ou s’il reportait au moins le déclenchement des hostilités de quelques mois, soit après la tenue des élections au Canada, voire jusqu’à la renégociation de l’accord de libre-échange, prévue en 2026. D’ailleurs, le nouveau président semble avoir tellement de choses à faire — ou à détruire — chez lui que le Canada aura peut-être droit à un certain répit.
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Si, à Ottawa, M. Trudeau ne peut que gérer au mieux la menace des tarifs en attendant que son successeur soit choisi, le premier ministre du Québec, François Legault, a retrouvé ses accents du temps de la pandémie. Lors d’un point de presse donné en marge du caucus présessionnel de la Coalition avenir Québec, il a lui-même fait le parallèle entre la « crise Trump » et la « crise COVID », en espérant sans doute les mêmes dividendes politiques.
Contrairement à son homologue ontarien, Doug Ford, qui ne cache plus son intention de déclencher des élections anticipées pour obtenir un « mandat fort » afin de faire face à la menace trumpienne, M. Legault a dit exclure d’appeler les électeurs québécois aux urnes avant l’échéance d’octobre 2026.
Cette épée de Damoclès suspendue au-dessus de l’économie québécoise a quand même l’avantage de faire oublier certains dossiers qui demeurent irritants. Alors que 100 000 emplois sont en jeu, au dire de M. Legault, les lamentations du maire de Lévis, Gilles Lehouillier, qui a maintenant perdu tout espoir de voir le troisième lien se réaliser, risquent d’avoir bien peu d’écho.
Dans une entrevue accordée au Journal de Québec, M. Lehouillier affirme que le bureau de M. Legault a fait une croix sur le projet et qu’il l’utilise simplement comme un « leurre » pour éviter que des députés caquistes remettent leur démission. Cela n’aurait rien d’étonnant, mais qui se soucie du troisième lien ces jours-ci ?
Ce texte fait partie de notre section Opinion, qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.