«Chef d’orchestre»: Stéphane Lafleur et Joseph Marchand, deux amis et une histoire

L’alchimie entre Stéphane Lafleur et Joseph Marchand est là. Les deux amis se retrouvent autour d’un café pour une entrevue avec Le Devoir, dans le cadre de la sortie de Chef d’orchestre, au cours de laquelle on cessera vite de compter leurs éclats de rire tant ils sont nombreux. « Il y a un peu d’absurdité [dans la websérie]. C’est un monde créé par Stéphane », prévient Joseph Marchand, qui y tient son propre rôle. La fiction est en effet inspirée de sa vie, lui, le musicien de l’ombre et collaborateur de Pierre Lapointe et de Safia Nolin, entre autres. « J’élargirais un petit peu en disant que c’est basé sur des conversations qu’on a eues, à une certaine période où j’appelais souvent Stéphane [aussi membre du groupe Avec pas d’casque] pour des conseils, des suggestions de toutes sortes. Il m’a écouté. Je l’ai appelé des fois dix fois par jour, pour lui poser les mêmes questions », explique-t-il.

Le cinéaste décrit, de son côté, Joseph Marchand comme une personnalité haute en couleur. « Comment dire ? Il est anxieux, mais drôle en même temps, avec beaucoup d’autodérision. » D’une blague à une autre, l’idée de Chef d’orchestre a fait son chemin entre les deux hommes. « Je pense que c’est Stéphane qui a dit qu’on devrait faire quelque chose avec ça. C’était trop niaiseux », mentionne le musicien. Et son complice de renchérir : « Et puis, on l’a juste fait. J’ai envoyé peut-être une scène ou deux à Joseph. Il trouvait ça drôle », se souvient Stéphane Lafleur. Joseph Marchand confie à ce propos avoir eu un certain « droit de regard » pendant l’écriture. « Stéphane savait que c’était moi, que ça allait être mon nom, donc, il était très généreux en me demandant régulièrement ce que j’en pensais », signale-t-il.

Dans la websérie, Stéphane Lafleur esquisse ainsi, avec toute la sensibilité qu’on lui connaît, un portrait-robot de son ami, version comédie existentialiste qui évoque les codes de Curb Your Enthusiasm ou Seinfeld. « C’est l’idée que Larry David joue Larry [dans Curb Your Enthusiasm], mais ce n’est pas sa vie », précise Joseph Marchand, qui insiste sur l’aspect fictionnel de Chef d’orchestre. « Je n’ai jamais chanté du Léo Ferré dans mon auto en mangeant des huîtres », certifie ce pince-sans-rire à l’écran comme dans le réel. Les dialogues n’en sont que plus savoureux. De fait, le « faux » Joseph Marchand, qui, en pleine rupture amoureuse — et il s’agit bien du fil conducteur de Chef d’orchestre — doit aussi composer avec les contraintes de son métier, de sa vie familiale et amicale.

« J’avais quand même envie qu’on voie, sommairement, différentes fonctions, différents contextes dans lesquels tu pratiques ton métier, même si on les effleure et même si on ne va pas très loin là-dedans », ajoute Stéphane Lafleur en s’adressant à son ami pendant l’échange. Si elle se veut universelle en abordant le deuil amoureux, la série est d’autant plus originale qu’elle montre aux téléspectateurs l’envers du décor de la vie d’un musicien pigiste. « Pendant cinq ans, à chaque fois que Joseph racontait des bonnes anecdotes, je les notais. On en avait beaucoup à la fin », indique le cinéaste. Pour sa part, Joseph Marchand salue le détour pris par son ami. « Je n’avais pas vu ça encore à la télé, la vie d’un musicien qui fait des trucs en studio et après ça, s’en va faire la direction musicale sur un show de variétés. »

Humour, toujours

De la peine d’amour au caractère changeant de la vie de travailleur autonome, il était essentiel pour Stéphane Lafleur d’imaginer la vie parallèle de Joseph Marchand avec esprit. « Je ne voulais pas que ce soit une série lourde sur le plan du sujet, mais essayer des choses et faire quelque chose de décalé », assure-t-il. Le musicien se rappelle à ce sujet une expérience complètement « méta ». « Je tiens à souligner que j’ai composé la musique de la série : composer la musique sur soi-même, je ne sais pas s’il y a beaucoup de compositeurs qui l’ont déjà fait », souffle Joseph Marchand, non sans ironie.

Stéphane Lafleur retient en outre de cette première expérience à la scénarisation et à la réalisation d’une websérie la grande liberté qui lui a été accordée. « Pourquoi j’ai fait Chef d’orchestre ? Parce que j’avais la possibilité de tourner avec un non-acteur », révèle-t-il, lui qui envisageait cette possibilité depuis un moment. « Pour moi, c’était une condition : si quelqu’un me disait “ça ne peut pas être Joseph”, je ne faisais pas le projet. C’était ça qui me motivait à écrire, et non l’inverse. »

Les épisodes sont d’autant plus convaincants, sans doute grâce à la personnalité amusante, un brin maladroite, du protagoniste et à l’esthétique et au ton singulier du cinéaste. Selon lui, il fallait laisser à Joseph Marchand une marge de manœuvre pour permettre aux téléspectateurs d’entrer dans sa tête. Un défi relevé. « Parce que je n’ai aucune expérience dans le monde de l’acting, le résultat aurait pu être complètement sans intérêt », croit celui qui a su sur le vif que son jeu fonctionnait. « Je me suis surpris, quand Stéphane disait “action” : j’aimais ça. »

« Joseph pensait que c’était peut-être la seule fois dans sa vie qu’il allait tourner. J’ai trouvé que c’était une belle approche », relate Stéphane Lafleur, qui en redemanderait. Qu’il soit consolé, Joseph Marchand ne compte pas s’arrêter à Chef d’orchestre. « Une chose que je garde en moi, c’est qu’après le tournage, Stéphane m’a dit qu’il n’y avait pas vraiment de différence entre moi et un acteur professionnel », mentionne le musicien dans un fou rire partagé avec son ami. Désormais, son objectif est de jouer avec Roy Dupuis. « Je ne sais pas si ça va se rendre quelque part, mais je le dis. » C’est — presque — du sérieux.