«Les champs magnétiques»: révéler l’éloquence des corps

À partir du 28 janvier, Sylvain Émard présentera sa toute nouvelle création : Les champs magnétiques. Pour cette pièce, le chorégraphe de renom s’est laissé inspirer par des théories du physicien David Bohm ainsi que par de nombreux échanges avec ses six interprètes au sujet de l’interdépendance des êtres et des corps. Un spectacle qui souligne le 35e anniversaire de la compagnie en plongeant dans l’immensité des liens humains.
« C’est au détour d’une lecture, par hasard, que l’idée d’une nouvelle création m’est venue. Je vulgarise, mais David Bohm explique que, lorsque des particules issues d’une même source sont séparées dans l’espace, même à des distances très importantes, si on agit sur l’une, ça va transformer l’autre. J’ai trouvé cela très inspirant et je me suis dit : “C’est de la matière pour la danse, pour le mouvement, pour travailler le corps dans l’espace et les liens entre les interprètes” », se souvient Sylvain Émard. De plus, dans son travail, le physicien se cantonne à la supposition et non à l’affirmation. Un détail supplémentaire qui a convaincu le chorégraphe. « On n’a pas toutes les réponses aux phénomènes qu’on tente d’expliquer. Ça donne le champ libre pour explorer », ajoute-t-il.

Lorsqu’il découvre cet auteur, Sylvain Émard est en plein dans sa création de grande distribution Rhapsodie, où 20 interprètes partagent la scène. Pour Les champs magnétiques, il a voulu réduire le nombre de danseurs, mais a décidé de s’entourer d’une partie de la distribution de Rhapsodie. Une œuvre « très importante à mentionner » dans ce nouveau processus pour l’artiste. « La pandémie nous a permis d’approfondir le travail et d’essayer toutes sortes de choses avec Rhapsodie, de nous perdre, de nous retrouver, alors je trouvais intéressant de pouvoir poursuivre la recherche avec six danseurs de Rhapsodie. Ils connaissent ma façon de travailler et on a des sensibilités communes sur certains sujets », raconte-t-il.
Outre les interprètes, Les champs magnétiques n’a pas de lien direct avec Rhapsodie, tant en ce qui concerne la chorégraphie qu’en ce qui concerne la scénographie, mais on y retrouve la patte du chorégraphe. « Pour moi, la danse a toujours un aspect rituel, donc c’est toujours présent dans mon travail. J’ai beau changer, mettre des ruptures dans le processus pour découvrir autre chose, fondamentalement, ce que j’aime, c’est créer une musique des corps dans l’espace, trouver l’éloquence du mouvement et essayer de la révéler aux spectateurs. La partition change d’une pièce à l’autre, mais la musique du corps reste ma façon d’aborder le mouvement », décrit l’artiste.
Aiguiser l’écoute
Les discussions avec les interprètes et les explorations corporelles ont façonné le processus chorégraphique de cette nouvelle œuvre. « On cherchait des moyens d’aiguiser encore plus l’écoute qu’on pouvait avoir entre nous, et de voir comment on pouvait faire encore plus ressortir ces aspects qui nous relient, inconsciemment », explique M. Émard. Ainsi, les sept artistes ont par exemple fait une recherche sur les conséquences des gestes dans l’espace, sur la perception, ou non, des corps. « On a tellement travaillé fort et longtemps que, dans une section de la pièce, les danseurs sont à l’unisson rien que par l’écoute. Ils sont au diapason sans comptes, sans être sur la musique », dit-il.

Bien que la pièce soit très écrite pour ce qui est de la chorégraphie et qu’elle laisse peu de place à l’improvisation, elle laisse toutefois de la place à la singularité de chaque interprète. Un aspect recherché par M. Émard. « C’est important qu’on ne voie pas six Sylvain sur scène. C’est un spectacle exigeant, rigoureux, tous les interprètes sont sur scène tout du long, mais je veux qu’on voie leur couleur, qu’ils puissent, à travers ce processus, injecter de ce qu’ils sont », poursuit-il.
Du côté de la scénographie, Sylvain Émard a choisi une scène épurée au plancher blanc. Un dispositif de la même couleur surplombe les danseurs. « Ça crée deux surfaces blanches qui se font miroir dans le but de délimiter davantage l’espace tout en proposant une lumière plus diffuse. Ça crée un champ, un espace condensé. Ça allait dans le sens de ce qu’on voulait en mettant l’accent sur les corps qui se détachent. Esthétiquement, c’est simple, mais beau », décrit-il. Encore une fois, c’est avec le DJ Poirier que Sylvain Émard a collaboré pour cette nouvelle pièce. « On est partis de propositions musicales très épurées au début, encore une fois pour donner toute la place à la musicalité des corps, aux danseurs comme instruments de musique. Après, la musique évolue tout au long du spectacle, avec des sons tantôt rythmés, tantôt atmosphériques », dit-il.

Avec ce spectacle, la compagnie Sylvain Émard Danse souligne son 35e anniversaire. Une étape qui a permis au directeur de se rendre compte de tout le travail effectué. « Je ne réalise pas que ça fait 35 ans déjà, autant d’années ! Dernièrement, on a fait le ménage dans les archives, pour les numériser, et en replongeant dans les boîtes, je me suis rendu compte de tout le chemin qu’on a parcouru. On a fait tout ça ! Ça m’a étonné », raconte-t-il, amusé.
Sylvain Émard a profité de cette occasion pour faire un bilan de la compagnie, mais pas seulement ça. « La compagnie a évolué, a changé, mais j’ai aussi réalisé à quel point le milieu dans lequel on travaille s’est transformé, dit-il. Les codes de la danse sont différents, les esthétiques et les démarches artistiques aussi. Le milieu de la danse a triplé au Québec en volume et c’est toujours aussi difficile, malheureusement, pour les artistes, voire plus. C’est un peu décourageant, mais je suis fier de ce qu’on a fait et de faire partie de cette belle communauté. »