Cette bouteille de vin est-elle celle que vous pensez ?

Des bouteilles de vin contrefaites ou invendables jetées au Texas par les autorités américaines, en décembre 2015, en vue d’être détruites. Les produits provenaient de Rudy Kurniawan, l’un des plus grands fraudeurs de vin de l’histoire.
Photo: Rodolfo Gonzalez Austin American-Statesman Associated Press Des bouteilles de vin contrefaites ou invendables jetées au Texas par les autorités américaines, en décembre 2015, en vue d’être détruites. Les produits provenaient de Rudy Kurniawan, l’un des plus grands fraudeurs de vin de l’histoire.

Synonymes de raffinement et d’histoire enracinée dans le terroir, les grands vins attirent les collectionneurs et… les fraudeurs. L’industrie vinicole est en effet ciblée par des escrocs qui font passer de la piquette pour des vins d’exception. Ce crime continue d’être alléchant puisqu’il est aussi rentable que peu risqué pour les fraudeurs, déplore l’experte en authentification de grand cru, Maureen Downey, surnommée la « Sherlock Holmes des vins ».

Encore cet automne, Europol, l’agence européenne de police criminelle, a démantelé une vaste opération de contrefaçon de grands vins français, que les fraudeurs vendaient 15 000 euros (environ 22 000 dollars) la bouteille. Le vin était fabriqué en Italie et les bouteilles, habillées de fausses étiquettes — l’une des nombreuses méthodes de contrefaçon utilisées par les criminels —, devaient être livrées partout dans le monde à d’honnêtes négociants en vins qui croyaient avoir affaire à de vrais bordeaux de qualité supérieure.

Simple anecdote ou réel problème ? Lorsque l’on demande à Maureen Downey, fondatrice de l’entreprise Chai Consulting, quelle est l’ampleur de ce type de fraude, elle répond : « Voilà une question que l’on se pose depuis longtemps. Si on le savait, cela voudrait dire qu’on a la situation en main, ce qui n’est pas du tout le cas », dit-elle en entrevue avec Le Devoir depuis la Californie. Elle signale que même des organisations terroristes font le commerce d’alcool contrefait, car c’est pour eux une façon rapide de faire de l’argent.

Selon elle, une bonne estimation de la proportion de vin contrefait serait de 20 % des bouteilles se retrouvant sur le marché. Et contrairement à la croyance populaire, la fraude ne vise pas que les grands crus : une bonne partie de ce pourcentage comporte des vins d’entrée de gamme, même de supermarché. « Par exemple, il y a des tonnes de bouteilles Yellow Tail contrefaites », dit-elle. Une bouteille de shiraz de ce vin australien se détaille 13,05 $ au Québec.

Photo: Europol À l’automne 2024, Europol, l’agence européenne de police criminelle, a démantelé une vaste opération de contrefaçon de grands vins français, que les fraudeurs vendaient 15 000 euros (environ 22 000 dollars) la bouteille.

Si l’on ne parle que des vins haut de gamme, la proportion de faux serait plutôt de 5 à 10 %, précise alors l’experte.

Vendre du vin contrefait est lucratif, dit-elle, et « facile », parce que les « chaînes d’approvisionnement sont très opaques ». Tout le monde protège férocement ses sources, et même les gouvernements ne savent pas comment certaines bouteilles sont vendues, fait remarquer Mme Downey, dont le travail l’amène surtout à gérer des collections de vins privées.

Elle signale que le crime organisé s’est aussi intéressé au vin contrefait, car les peines sont moins lourdes que pour d’autres types de trafic comme la drogue ou la traite de personnes. Elle donne en exemple le cas du Russe Aleksandr Lugov, arrêté pour la première fois en 2017. Pour avoir vendu de faux bourgognes, il a été condamné à quatre ans de prison en France, avec une possibilité de libération conditionnelle après deux ans.

De grands fraudeurs

Rudy Kurniawan est probablement le plus grand fraudeur de vin de l’histoire. Maureen Downey le connaît bien : elle a été engagée comme experte par le département de la Justice américain, qui a enquêté sur le flamboyant personnage pour ensuite l’inculper.

L’homme s’est taillé une solide réputation de fin connaisseur dans les années 2000 aux États-Unis, alors qu’il organisait des dégustations raffinées et vendait d’importantes quantités de vin rarissime.

Ce sont deux hommes, aux champs d’intérêt bien distincts, qui ont allumé l’étincelle de cette enquête.

Il y a d’abord eu Laurent Ponsot, à la tête du domaine vinicole du même nom. Il est resté perplexe en 2008 quand des millésimes des années 1940 et 1950 du Clos Saint-Denis ont commencé à apparaître sur le marché. Le chef du domaine sait fort bien que sa famille a commencé à embouteiller ce cru en 1982. Flairant l’escroquerie, il a mené sa petite enquête, à l’instar du milliardaire américain Bill Koch. Ce dernier, fort mécontent d’avoir trouvé de fausses bouteilles dans sa collection, a engagé un détective privé.

Le FBI s’en est mêlé alors que des experts en authentification de vin voyaient de plus en plus de bouteilles louches aux enchères. En mars 2012, la police fédérale américaine a fait une descente dans la maison californienne de Rudy Kurniawan, où a été trouvé un atelier de contrefaçon. « Essentiellement, toute sa maison était un laboratoire de fabrication de faux vins », avait déclaré à l’époque l’agent du FBI Adam Roeser. Il y avait de vieilles bouteilles immergées dans l’eau de l’évier, de la cire en train de durcir sur des bouchons et des étiquettes arborant des dates remontant jusqu’à 1899. Selon le FBI, Kurniawan remplissait des bouteilles arborant de fausses étiquettes de grand cru avec des vins de moins grande qualité : il en aurait vendu pour environ 45 millions de dollars.

En décembre 2013, il a été trouvé coupable de fraude par un jury à New York, et un juge l’a envoyé en prison pour 10 ans.

Un autre cas qui a fait grand bruit est celui du négociant en vins allemand Hardy Rodenstock. Il a mis en vente des bouteilles qui auraient été trouvées à Paris derrière un mur recouvert de briques. Parmi le butin se trouvaient, selon ses dires, des bouteilles de la maison Lafite de 1787, supposément destinées au président américain Thomas Jefferson — un grand amateur de vin, qui avait été envoyé comme émissaire à Paris dans les années précédant la Révolution française. Des lettres avaient été gravées maladroitement sur le verre : « Th. J. Lafitte » [sic].

Malgré les doutes exprimés par des experts, la maison Christie’s de Londres a vendu en 1985 une de ces bouteilles à la richissime famille Forbes à un prix record pour l’époque de 362 000 $ (en dollars d’aujourd’hui).

Bill Koch — oui, encore lui — fait partie de ceux qui ont traîné Rodenstock devant un tribunal de New York, après avoir acheté lui aussi des bouteilles « Lafitte » dites de « Thomas Jefferson ». Il a notamment déposé une preuve d’expert selon laquelle les gravures sur le verre n’auraient pu être faites qu’avec un outil électrique, qui n’existait évidemment pas au XVIIIe siècle. Un jugement a été rendu « par défaut » contre Rodenstock, c’est-à-dire en son absence, car il ne s’est même pas présenté en cour. En 2012, il s’est fait ordonner de payer des dommages à Koch.

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