Catherine Dorion: rage contre la machine

Sortie de son carcan de députée, l’« égérie sulfureuse » de Limoilou revient sous les projecteurs avec Sciences po 101. Traité d’insoumission à l’usage du vrai monde, une pièce documentaire où elle braque la lumière sur les rouages d’une machine sociale qui tourne à vide — et met son grain de sable dans l’engrenage. Public, à vos crayons : Catherine Dorion vous convie à la révolution.
« Qu’est-ce qu’on souhaite profondément pour notre vie collective ? » demande l’ancienne députée dans son nouveau spectacle, convaincue de l’urgence de se poser la question et certaine de ne pas être la seule à chercher la réponse.
« Il n’y a pas de politique s’il n’y a pas d’humains conscients de ce qui a de la valeur pour eux », affirme-t-elle. Cette conscience, toutefois, s’engourdit dans la frénésie du monde moderne — et Catherine Dorion persiste à vouloir la réveiller, autrefois dans la noblesse pompeuse de l’Assemblée nationale, aujourd’hui dans la chaleur intime des théâtres.
« On est tellement bombardés, assommés de surinformation, de cette économie de l’attention qui, au lieu de nous informer, sature notre pensée et notre ressenti d’un fatras de choses sans lien entre elles, déplore-t-elle. Le show, c’est un exercice pour s’asseoir dans une salle de théâtre, faire silence loin de nos écrans, puis prendre le temps de se demander collectivement — pas juste chacun, tout seul, chez le psy, mais collectivement — “qu’est-ce qui a de la valeur pour nous ?” »

Le Traité d’insoumission à l’usage du vrai monde propose une forme de catharsis démocratique pour dépasser le sentiment d’impuissance qui définit, aux yeux de l’autrice, notre époque. Mis en scène par Alexandre Fecteau, il réunit sur les planches Catherine Dorion et son ancien attaché politique, le comédien Vincent Massé-Gagné, dans leur propre rôle.
« Ce sont deux personnes qui viennent de finir un mandat politique, explique l’ex-élue, et qui ressortent exsangues » de ce séjour parlementaire consacré à vouloir secouer une démocratie devenue sclérosée, à leurs yeux, à force d’accumuler la poussière déposée par mille et une traditions jamais remises en question.
Une question taraude les deux personnages à la sortie de ce que l’ancienne députée décrivait, dans son brûlot Les têtes brûlées, comme « un mauvais théâtre où journalistes et élus se donnent mutuellement la réplique » : est-ce qu’il y a de l’espoir et, si oui, il est où ?
La quête d’une réponse passera par la mise à nu du « système » qui perpétue la désillusion et l’apathie. Un peu à la manière du Discours sur la servitude volontaire d’Étienne de La Boétie, le Traité d’insoumission cherche à lever le voile sur la mécanique de l’asservissement pour mieux s’en affranchir.
Naviguer entre les courants de pensée
C’est la partie pédagogique de Sciences po 101, où l’époque passe par la moulinette des grands courants de pensée qui l’expliquent et la façonnent, selon Catherine Dorion.

« En ce moment, c’est une époque de domination où t’as des structures énormes auxquelles on accorde énormément de crédit — des banques, des pétrolières, des gouvernements, des lobbyistes, des réseaux sociaux — qui sont au-dessus de nous et qui ne sont pas là pour servir le peuple. On s’y soumet parce qu’on a peur de perdre notre gagne-pain, on a peur d’être moins employable ou d’être marginalisé. À d’autres époques, c’était la mort, aujourd’hui, tu perds ta job, illustre l’autrice. Au fond, c’est la même tendance. »
Les théories de la philosophe Hannah Arendt sur l’origine du totalitarisme et la banalité du mal, les écrits de Yuval Noah Harari sur l’évolution de l’Homo sapiens, sur « d’où il vient et sur ce dont il a besoin politiquement », les lois de la manipulation de masse développées par le publicitaire Edwards Bernays dans son essai Propaganda : « tous ces morceaux de ce savoir-là sont convoqués, explique l’autrice, sans que ce soit du tout déconnecté dans un intellectualisme un peu au-dessus du monde. »
Une fois l’époque décryptée, comment la réinventer et dessiner de nouveaux horizons en dehors des cases tracées d’avance ? La pièce met en abyme le parcours des deux protagonistes qui découvriront que leur quête de sens personnelle trouve aussi écho dans tous les milieux.
« On utilise dans le show des témoignages anonymes de députés, de journalistes, d’ex-ministres et de plein de monde ordinaire, expose Catherine Dorion. Au fil de la pièce, on entend ces voix qui, elles aussi, souhaitent ce qu’on souhaite, mais qui sont prises dans leur cadre. »
« En fait, tous ces grands systèmes-là, poursuit-elle, que ce soit en santé, en éducation ou en politique, sont remplis de gens qui voudraient les transformer et qui disent qu’une partie de leur travail se consacre à des tâches qui n’ont pas de sens. La quantité d’énergie, de motivation, de désir qui meurt à cause de ces structures contraignantes, ça nuit à la société et ça déprime les individus. Il faut arrêter d’être juste dans cette dépendance-là par rapport au système, puis se regarder les uns les autres et se dire “qu’est-ce qu’on fait ?” C’est un moment comme ça qu’on crée pendant la pièce. »
Un théâtre interactif
Le Traité d’insoumission fait appel au « vrai monde » pour fissurer l’ordre établi. Pendant le spectacle, le public participe, vote, applaudit, prend part à la discussion collective qui sous-tend la démocratie — loin du vacarme des réseaux sociaux et de la polarisation dictée par des algorithmes.

« Là où je veux mettre le feu, ce n’est pas aux institutions, mais dans le cœur des gens. Je sais que c’est contagieux. Je sais qu’on peut avoir un impact en vivant un moment de sentiments, de sens et de vérité partagé, assure Catherine Dorion. Le fait de faire le show a fait reculer notre sentiment d’impuissance et nous a fait renouer avec l’espoir. Ça nous a permis de retrouver notre vision des potentiels collectifs pour reprendre notre histoire en main. »
Au Grand Théâtre, où le Traité prendra d’abord l’affiche avant une tournée au Québec, la monumentale murale de Jordi Bonet a immortalisé dans le béton la phrase incendiaire de Claude Péloquin : « Vous êtes pas écœurés de mourir, bande de caves ! C’est assez ! »
Catherine Dorion, à bien des égards, actualise la même interrogation, sans la provocation ni le goût du scandale que plusieurs ont prêté à sa tuque, à son coton ouaté, à ses Dr. Martens et à ses espiègleries d’Halloween. Un autre vers, plus discret dans l’enceinte du théâtre, caractérise peut-être mieux son appel à l’insoumission :
« Je suis le cri de l’infini à remplir. »