Un casse-tête nommé Airbnb

La Ville de Montréal a annoncé en janvier dernier la mise en place d’un nouveau règlement visant à limiter les effets pervers des plateformes de location à court terme.
Photo: Getty Images La Ville de Montréal a annoncé en janvier dernier la mise en place d’un nouveau règlement visant à limiter les effets pervers des plateformes de location à court terme.

Valérie Plante n’est pas la seule mairesse à chercher la formule magique pour limiter l’offre de locations à court terme sur Airbnb. En pleine crise de l’habitation et du coût de la vie, les élus de toutes les grandes villes du monde se creusent la tête pour que les logements soient offerts en priorité à leurs résidents, et non aux touristes.

Les effets pervers des plateformes de location à court terme comme Airbnb sont bien documentés : des milliers de logements sont accaparés par des touristes plutôt que par des gens de la place. Cette réduction du parc locatif amplifie la rareté — ou la pénurie — de logements pour la population locale. Moins il y a d’offre, plus les prix augmentent.

Dans le cas de Montréal, on le constate, la crise pousse des gens dans la rue. Ou dans des tentes, même en plein hiver. Valérie Plante est réellement indignée de voir des dizaines de personnes forcées de vivre dans des campements, dans une ville réputée pour sa solidarité et son vivre-ensemble.

Les nouvelles règles annoncées le mois dernier par la Ville pour limiter les dégâts causés par les entreprises de type Airbnb s’inspirent de solutions mises à l’épreuve ailleurs dans le monde. Paris, Amsterdam, Berlin et bien d’autres capitales limitent le nombre de nuits (généralement à 90 par année) où un propriétaire peut offrir sa résidence, principale ou secondaire, en location à court terme.

Les villes font preuve de créativité pour freiner les locations à court terme : à Paris, les boîtes à clés sont désormais interdites sur le mobilier urbain. Une façon détournée de cibler les logements offerts sur Airbnb.

De son côté, l’administration Plante compte limiter à trois mois par année — entre le 10 juin et le 10 septembre — la période où la location à court terme d’une résidence principale sera autorisée. Les neuf autres mois, ce serait carrément interdit, sauf pour certaines exceptions — comme les gîtes touristiques en zone commerciale, ou peut-être la location d’une chambre dans une maison habitée par les propriétaires, si l’arrondissement le permet.

« Tourists go home »

Le maire de Barcelone, le socialiste Jaume Collboni, va plus loin : il s’est engagé l’an dernier à bannir la location de logements à court terme d’ici le début de l’année 2029. Le surtourisme fait des ravages dans la capitale catalane. Plus de 10 000 logements échappent au marché locatif local.

Les Barcelonais sont dégoûtés depuis longtemps par le déferlement de touristes qui défigure leur ville. Ils en ont ras le bol de côtoyer des fêtards en bermudas jusqu’aux petites heures du matin et de se faire réveiller par le bruit des valises à roulettes sur les pavés de leur cité millénaire.

Des escouades de citoyens exaspérés ont commencé à organiser des comités d’accueil pour les visiteurs : ils arrosent les touristes avec des fusils à eau et chantent à tue-tête à côté des terrasses bondées. Des affiches « Tourists go home », placées un peu partout en ville, ne laissent aucun doute sur le sentiment ambiant.

Frappée elle aussi par le tourisme de masse et la crise du logement, la Ville de New York a quasiment interdit la location à court terme sur des plateformes de type Airbnb, en 2023. Le règlement était formulé autrement, mais les obstacles administratifs sont si nombreux que les inscriptions sur les sites de location ont chuté considérablement.

La multinationale Airbnb a contesté devant les tribunaux l’offensive de New York contre les locations à court terme, mais la Ville a gagné la bataille. Les pressions sont néanmoins fortes en faveur d’un assouplissement de l’interdiction.

Nouvelle précarité

Le bannissement des locations à court terme est d’abord extrêmement difficile à faire appliquer. Les villes disposent de petites équipes d’inspecteurs. À New York comme à Montréal, on mise d’abord sur la délation pour contrer Airbnb.

La pression vient aussi des propriétaires. Un nombre grandissant d’entre eux comptent sur des revenus de location à court terme pour garder leur maison. La crise de l’habitation et du coût de la vie frappe tellement fort que la classe moyenne peine à payer ses factures, y compris le prêt hypothécaire. Certains évoquent même l’émergence de « nouveaux pauvres », ou à tout le moins de « précaires », ayant déjà accédé à la propriété.

Une lettre d’opinion diffusée au cours des derniers jours par l’organisme Haïtiens américains unis pour le progrès implore le maire de New York, Eric Adams, d’annuler l’interdiction des locations à court terme.

« Les restrictions imposées par la Ville ont eu un effet dévastateur pour les communautés comme la nôtre, où plusieurs propriétaires de résidences et de petites entreprises ont besoin des locations à court terme pour joindre les deux bouts, a écrit Elsie Saint Louis, présidente du regroupement. Airbnb a été une bouée de sauvetage sans laquelle ces gens risquent de perdre leurs maisons. »

Propriétaires en alerte

Des propriétaires montréalais ont lancé le même cri du cœur au Devoir au cours des derniers jours. Plusieurs nous ont fait part de leurs craintes après la publication d’un reportage à ce sujet. En limitant aux trois mois d’été la période autorisée pour les locations à court terme, la Ville « nous priverait de revenus dont on a besoin », dit Sophie Laberge, qui loue une chambre dans le sous-sol de la maison familiale.

Josée L., qui a demandé à garder l’anonymat pour des raisons familiales, craint de perdre sa maison en cas d’érosion de ses revenus de location d’Airbnb. Cette mère de famille monoparentale loue elle aussi un petit coin de son sous-sol depuis sa séparation, qui a fait gonfler considérablement ses factures.

« Je suis en règle, j’ai toutes les autorisations, et je n’enlève de logement à personne en louant une chambre dans mon sous-sol », dit-elle.

La Ville de Montréal dit être sensible à ces arguments. Le nouveau règlement sur les locations à court terme, qui doit être adopté au mois d’avril, après deux lectures au conseil municipal, tiendra compte des commentaires des Montréalais, indique-t-on.

Des commentaires, la Ville a dû en recevoir à la tonne : Le Devoir a appris qu’Airbnb a mis à la disposition de ses hôtes une plateforme pour envoyer un courriel aux élus municipaux, y compris à la mairesse. « Demandons à Montréal de protéger la location courte durée », indique le site.

« Expliquez à la Ville les bénéfices de l’accueil de voyageurs pour vous, pour votre famille et pour votre quartier, et l’impact que les changements proposés auraient sur vous et votre communauté. »

Les locataires d’abord

Véronique Laflamme, porte-parole du FRAPRU (Front d’action populaire en réaménagement urbain), sympathise avec les propriétaires aux prises avec la hausse du coût de la vie. Elle prône toutefois des mesures pour protéger les locataires, qui sont les grands perdants dans cette histoire, selon le FRAPRU.

Une loi adoptée en juin 2024 prévoit qu’il est interdit d’évincer un locataire pour « subdiviser un logement, l’agrandir substantiellement ou en changer l’affectation » pour une période de trois ans. Ce moratoire empêche les propriétaires d’expulser des locataires pour offrir le logement sur Airbnb, ce qui était une pratique courante jusqu’en juin dernier, rappelle Véronique Laflamme.

Des propriétaires sans scrupule, souvent des promoteurs qui se vantent de posséder des « portes », continuent d’intimider les locataires pour les chasser de chez eux malgré le moratoire, note le FRAPRU : « Les locataires ne connaissent pas tous leurs droits. Il continue d’y avoir des évictions frauduleuses. »

Royaume de la surenchère

Les propriétaires disposent de leviers financiers inaccessibles aux locataires, note Louis Gaudreau, professeur à l’École de travail social de l’UQAM.

« On assiste depuis une vingtaine d’années à une transformation du rapport au logement. Une propriété ne sert plus uniquement à se loger, mais aussi à générer des revenus et à assurer sa retraite », dit cet expert membre du Collectif de recherche et d’action sur l’habitat.

Les locataires ne connaissent pas tous leurs droits. Il continue d’y avoir des évictions frauduleuses.

Les propriétaires ont accès à une série de produits financiers, comme les marges de crédit hypothécaires, permettant d’emprunter des fonds en fonction de la valeur de revente estimée de l’immeuble. « Les propriétaires peuvent ainsi payer les études de leurs enfants, faire des voyages, rénover la maison ou acheter une voiture », rappelle Louis Gaudreau.

L’explosion des prix de l’immobilier, y compris des logements à louer (parce que les propriétaires doivent payer le gros prix pour leurs immeubles), est due en bonne partie au système capitaliste, qui mise sur l’augmentation de la valeur des maisons, souligne le professeur. « Il y a des surenchères parce que les institutions financières sont prêtes à parier sur ces hausses de valeur. »

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