Les Canadiens ne sont plus seuls à se battre contre les tarifs, dit François-Philippe Champagne
Même si le président américain, Donald Trump, continue de frapper ses alliés de tarifs douaniers, les voix dissidentes se font plus nombreuses dans le milieu des affaires aux États-Unis, observe le ministre fédéral de l’Innovation, François-Philippe Champagne, en entrevue au Devoir.
M. Champagne se défend d’avoir parlé trop vite en lançant que le « ton a changé » sur les tarifs douaniers aux États-Unis après le sursis de tarifs de 25 % sur les produits importés du Mexique et du Canada accordé par Donald Trump le 3 février dernier.
« Non, le ton a changé », a réitéré l’élu fédéral, quelques jours après l’annonce de nouveaux droits de douane de 25 % sur l’acier et l’aluminium par la Maison-Blanche.
Quand un ministre canadien tente d’attirer l’attention des Américains sur les contrecoups des tarifs dans les cartons de M. Trump, « nobody cares », ou presque, convient François-Philippe Champagne. Or, quand le président du constructeur automobile Ford, Jim Farley, parle du « chaos » et des « coups dans la chaîne d’approvisionnement » de l’industrie automobile américaine, les Américains écoutent, à commencer par les politiciens, ajoute-t-il.
Même chose, selon lui, pour les patrons de l’industrie de l’acier. Il y a « des voix américaines qui s’élèvent », répète-t-il, pointant la gouverneure du Michigan, Gretchen Whitmer, et le gouverneur du Kentucky, Andy Beshear ; deux élus démocrates.
Néanmoins, François-Philippe Champagne continue de répéter à qui veut l’entendre que le plan tarifaire de M. Trump « va nuire à la concurrence américaine [et] même à la sécurité nationale » et qu’une aciérie ou une aluminerie ne peut être déménagée du Canada aux États-Unis en une nuit par « trois déménageurs, puis un camion ».
Même s’il convient de répliquer « fermement » aux États-Unis, M. Champagne accueille avec réticence l’idée du premier ministre du Québec, François Legault, d’ajouter des tarifs canadiens à l’exportation sur l’acier et l’aluminium sur d’éventuels tarifs américains à l’importation.
Le ministre veut « consulter l’industrie pour bien comprendre les impacts » avant de se faire une opinion. Il se rendra vendredi au Saguenay pour rencontrer des dirigeants et des syndiqués du géant du secteur de l’aluminium Rio Tinto.
« Vous savez, ce sont des marchés complexes, des chaînes d’approvisionnement complexes », souligne M. Champagne, qui devait s’entretenir au téléphone avec M. Legault jeudi, peu après son entrevue au Devoir.
Le ministre en convient, il faut rouvrir l’accord de libre-échange entre le Canada, les États-Unis et le Mexique plus tôt que prévu, soit avant 2026. Mais le processus prendra « des mois » et il faut au moins attendre le 1er avril, date à laquelle la revue des échanges commerciaux commandée par le président Trump sera terminée, et attendre que les Canadiens puissent élire le prochain gouvernement fédéral.
À lire aussi
La filière batterie, ralentie, mais pas anéantie
Même si la guerre commerciale alimente les inquiétudes des investisseurs au Canada, le ministre Champagne assure qu’il n’a pas été témoin d’une « sortie » des investissements vers les États-Unis. Du moins, jusqu’à maintenant.
« Il y a des investissements qui seront ralentis. Il y a des investissements qui seront faits peut-être d’une façon différente », fait remarquer M. Champagne. Mais, pour le moment, le ministre « n’a pas entendu » que des entreprises voudraient « absolument sortir du marché canadien ».
Pas même dans la filière batterie. Pourtant, quand Northvolt s’est installé au Québec, le marché visé par le cellulier suédois était bien l’Amérique du Nord. Les entraves commerciales brandies d’un côté comme de l’autre de la frontière depuis le début de l’année risquent d’assombrir les perspectives financières de l’entreprise, déjà en grande difficulté et sous la protection de ses créanciers.
« Ce n’est pas seulement nous qui avons cru que l’électrification, c’était l’Étoile du Nord », plaide M. Champagne, à propos de l’entreprise Tesla dirigée par Elon Musk, proche conseiller du président Donald Trump. Considérant la capitalisation boursière du constructeur texan de véhicules électriques, qui est évaluée à plus de 1000 milliards de dollars américains, « il y a certainement un ou deux investisseurs qui pensent que c’est quand même l’avenir », fait-il valoir.
Il observe néanmoins « beaucoup de prudence » chez les petits et grands industriels, qui doivent à la fois penser à « court terme », à « moyen terme », puis à « long terme ». « Dans deux ans, peut-être que ça va changer. Puis, dans quatre ans, il y aura peut-être une nouvelle administration qui va dire d’autres choses. C’est là où c’est complexe pour les industriels. »
Le président américain a aussi affiché son intention d’abandonner les aides à l’industrie, notamment celles prévues dans l’Inflation Reduction Act, plus connue sous son acronyme « IRA ».
S’il va de l’avant, qu’adviendra-t-il des subventions canadiennes à la production, calquées sur celles américaines ? Dans le cas de Northvolt, elles représentent près de la moitié (3,6 milliards de dollars) de toutes les subventions qui lui ont été promises.
« On devra s’asseoir avec les industriels. Pour l’instant, je vous dirais, les cartes ne sont pas tellement claires non plus du côté américain. On essaie de démêler ça », a répondu le ministre, rappelant que plusieurs États républicains du Sud, « qui sont des États clés pour le président », profitent de ces aides.
« Wake up call » pour l’industrie
Chose certaine, l’« électrochoc », ou le « wake up call », des menaces tarifaires trumpiennes a suscité un « éveil collectif » sur la politique industrielle du Canada après des décennies « faciles » où « stabilité » et « prospérité » rimaient.
« C’est notre “moment C.D. Howe” de 1945, où C.D. Howe est un grand ministre de l’Industrie canadienne qui a tout réinventé un peu le portrait industriel du Canada : on s’est mis à faire des voitures, on avait une industrie navale, on a commencé à faire des avions… »
À ses yeux, peu importe si Trump fait pleuvoir ses tarifs sur l’Amérique ou non, le Canada doit réfléchir à des façons de renforcer et de diversifier son économie. La présence d’un président des États-Unis qu’on ne peut prendre au mot le commande.
« Une fois que les règles du jeu ont changé, la confiance est érodée », dit simplement François-Philippe Champagne. « Évidemment, on sera toujours le plus grand partenaire commercial des États-Unis. La géographie oblige ; la grandeur du marché américain [aussi]. »