Le Canada doit prendre en main sa défense, exhorte la cheffe d’état-major

Le Canada doit impérativement renforcer ses capacités de défense pour affronter les nouvelles réalités géopolitiques, affirme la cheffe d’état-major de la Défense, Jennie Carignan. Face aux menaces grandissantes qui pèsent sur l’Arctique canadien, elle exhorte Ottawa à « prendre ses responsabilités » en matière de défense continentale.
« Dans le contexte mondial actuel, il faut absolument changer notre posture en ce qui concerne la défense. C’est clair qu’on n’a pas tout ce qu’il faut présentement pour faire face à la menace actuelle et future », dit la générale en chef lors d’une entrevue accordée au Devoir au quartier général de la Défense nationale, au centre-ville d’Ottawa.
Dans le couloir qui mène à son bureau, les murs sont ornés des portraits de ses prédécesseurs, une vingtaine d’hommes — son portrait étant la seule exception. Un symbole du plafond de verre qu’elle a brisé en devenant la première femme à prendre la tête des Forces armées canadiennes (FAC), l’été dernier.
Lors de son entrée en poste, la cheffe, originaire de Val-des-Sources, savait qu’elle devait relever des défis majeurs, notamment la reconstitution des effectifs des Forces armées canadiennes, alors en déficit de plus de 15 000 militaires. Six mois plus tard, elle doit aussi composer avec le retour du président Donald Trump à la Maison-Blanche et ses menaces répétées de faire du Canada le 51e État américain.
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Or, ce ne sont pas les discours expansionnistes du nouveau président qui l’inquiètent le plus, témoigne-t-elle.
« C’est le contexte géopolitique international actuel qui nous envoie des signaux comme quoi il faut se préoccuper de notre défense au Canada. Notre géographie ne nous protège plus aussi bien qu’elle le faisait auparavant. Ce n’est pas l’arrivée de M. Trump qui apporte quelque chose de nouveau. C’est vraiment l’environnement mondial qui a changé et qui nous démontre qu’il faut s’organiser différemment pour notre défense », fait-elle valoir.
L’Arctique convoité
Ces dernières années, Moscou a renforcé sa présence militaire dans l’Arctique, notamment en rouvrant des centaines d’anciennes bases militaires datant de l’ère soviétique et en construisant des ports en eaux profondes. La région suscite aussi l’attention de la Chine, notamment en raison de ses ressources naturelles et des possibilités en ce qui concerne de nouvelles voies maritimes.
Le réchauffement climatique dans la région ouvre l’accès à des zones d’exploitation auparavant inaccessibles en raison des glaces. D’ici 2050, l’océan Arctique deviendra une route maritime de plus en plus viable entre l’Europe et l’Asie pendant l’été. Et même si cela ne se produit pas dans l’immédiat, le gouvernement canadien doit « dégager les investissements nécessaires » dès maintenant pour assurer sa préparation militaire sur le long terme, affirme Jennie Carignan.
« Il faut prendre nos responsabilités pour la défense continentale, parce que si on ne s’intéresse pas à l’Arctique, dans cinq ans, le trafic va augmenter. Plus il y aura de personnes qui auront accès au Nord, plus c’est une menace à notre souveraineté », prévient-elle, assise au bord de son fauteuil dans son uniforme militaire.
En décembre, Ottawa a annoncé de nouveaux investissements pour renforcer sa présence diplomatique dans l’Arctique, notamment avec l’ouverture de deux consulats (à Anchorage, en Alaska, et à Nuuk, au Groenland), mais il n’a prévu aucune nouvelle somme pour la défense militaire de la région.
Parmi les plus grands besoins, la cheffe d’état-major indique que le Canada doit se doter de systèmes de défense antiaérienne — des équipements qui n’étaient pas requis dans les années 1990 et 2000, mais qui sont désormais importants. « Les talibans n’avaient pas de F18 et d’avions de chasse, des capacités qui pouvaient venir nous toucher par le ciel. Mais ce n’est pas le cas avec la Chine, la Corée du Nord, l’Iran et la Russie. Ils ont tous des capacités de missiles balistiques qui peuvent maintenant nous atteindre de très loin. »
Le bouleversement Trump
La plus haute gradée militaire au pays n’est pas la première à réclamer que le Canada augmente ses dépenses militaires. Avant même de revenir à la Maison-Blanche pour son second mandat, Donald Trump s’est souvent plaint des pays membres de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) qui ne consacraient pas 2 % de leur produit intérieur brut (PIB) à la défense, soit la cible établie pour tous les alliés en 2014.
Le Canada est l’un des quelques pays de l’alliance à ne pas avoir encore atteint l’objectif. L’an dernier, Ottawa a dépensé 30,5 milliards de dollars (1,4 % de son PIB) pour la défense, comparativement à 967,7 milliards (3,4 % du PIB) pour les États-Unis.
Lors du sommet de l’OTAN en juillet dernier, Justin Trudeau a promis que le Canada atteindrait la cible d’ici 2032. Il n’avait toutefois pas présenté de plan détaillant les dépenses requises pour atteindre l’objectif.
Bien que l’exercice soit complexe, Jennie Carignan affirme qu’avec une « bonne planification », Ottawa serait tout à fait en mesure d’accélérer son calendrier de dépenses en défense pour atteindre la cible de 2 % plus tôt que prévu. « On pourrait le faire avant 2032 si on nous donne la marge de manœuvre pour le faire », dit-elle.
Cette semaine, le président Donald Trump a toutefois franchi un nouveau cap en demandant aux alliés de l’OTAN d’augmenter leurs dépenses de défense à 5 % de leur PIB.
« Je vais demander à tous les pays de l’OTAN d’augmenter leurs dépenses de défense à 5 % du PIB, ce qu’elles auraient dû être il y a des années », a annoncé le président dans son premier grand discours au Forum économique mondial de Davos, jeudi.
Si elle admet que le ton à l’égard du Canada est nouveau, Jennie Carignan assure toutefois qu’au-delà de la joute politique, les relations militaires avec ses homologues américains restent « extrêmement solides ». « Avec chaque nouveau gouvernement, il y a des changements de directives et de politiques. On va s’adapter en conséquence selon ce que M. Trump pourrait décider de faire. »