Une bouffée d’air pour la profession enseignante

Plusieurs étudiants décident de quitter la formation après avoir vécu un ou des stages, là où ils se rendent compte que les conditions réelles d’exercice de la profession sont bien éloignées de ce qu’ils s’étaient imaginé.
Photo: Illustration Tiffet Plusieurs étudiants décident de quitter la formation après avoir vécu un ou des stages, là où ils se rendent compte que les conditions réelles d’exercice de la profession sont bien éloignées de ce qu’ils s’étaient imaginé.

Une fois par mois, Le Devoir d’éducation veut proposer des contributions enrichissantes, qu’elles proviennent de chercheurs et de praticiens du milieu de l’enseignement ou d’autres personnes qui ont réfléchi à l’état de notre système d’éducation.

Après une année scolaire marquée par un conflit de travail démoralisant, de même qu’un projet de loi nuisant à la valorisation de la profession, j’ai envie d’insuffler un peu d’espoir pour cette rentrée. En tant que parent, je ne peux que m’inquiéter d’entendre parler presque quotidiennement de cette pénurie dont on ne semble pas voir le bout, mais aussi m’indigner de voir chaque jour des enseignants qui finissent par jeter l’éponge… Et je les comprends !

Une des seules réponses de nos dirigeants à la pénurie enseignante est de demander aux universités de « produire » rapidement plus de diplômés. On accuse aussi les acteurs de la formation initiale de générer l’attrition des étudiants en cours de formation.

Ce qu’ils ne savent pas ou choisissent d’occulter, c’est que plusieurs étudiants décident de quitter la formation après avoir vécu un ou des stages, là où ils se rendent compte que les conditions réelles d’exercice de la profession sont bien éloignées de ce qu’ils s’étaient imaginé, notamment de leur perspective d’élève.

Certains comprennent aussi qu’ils n’ont pas une compétence linguistique suffisamment développée, et ils se découragent. Ensuite, au moment de l’insertion dans la profession, plusieurs constatent qu’on ne leur offre pas des conditions qui leur permettent réellement de mettre en oeuvre leurs compétences.

Certains vont jusqu’à dire qu’il n’y a peut-être pas véritablement de pénurie, mais que nous sommes plutôt témoins des effets délétères d’une désertion importante de la profession. Pour travailler depuis une vingtaine d’années en formation initiale à l’enseignement, je pourrais le croire.

Remplir un seau troué

Je n’ai pas assez de doigts pour compter mes anciens étudiants qui ont délaissé l’enseignement pour aller faire autre chose. Et ces abandons ne surviennent plus uniquement dans les premières années ; ils arrivent maintenant à tout moment dans la carrière.

À quoi servirait-il alors de former plus vite par des voies rapides (et plus mal, car je vois difficilement comment la qualité n’en serait pas affectée) si on ne s’attaque pas aux problèmes de fond de rétention ? Cela sans compter que plusieurs études étasuniennes indiquent que les personnes formées dans des programmes de certification alternative (qui sont très nombreux et diversifiés) quittent souvent la profession plus rapidement et en plus grande proportion que les enseignants formés dans des voies traditionnelles.

Autrement dit, ce qu’on tente de faire actuellement, c’est remplir à grands flots un seau d’eau truffé de trous ! Et le rapiéçage superficiel des dernières années ne suffit plus ; il faut changer le seau et repartir à neuf dans un environnement renouvelé.

Changer les choses pour les jeunes

Une des particularités de l’enseignement est la possibilité unique de changer des choses dans la vie des jeunes. C’est une des raisons qui donnent un sens au travail pour plusieurs enseignants.

Lorsqu’on combine cette finalité avec ce que nous aimons, ce dans quoi nous excellons et la cohérence ressentie avec nos valeurs, on a bien souvent l’impression « d’être sur son X », comme le dit l’expression.

M’intéressant au bien-être, à la résilience et à la motivation des enseignants depuis plusieurs années comme chercheuse, j’ai été amenée à explorer tout récemment le concept japonais d’ikigai, qui me semble assez bien traduire cette idée. Comme le précisent Vandroux, et Auzoult-Chagnault (2022), on pourrait associer le concept à la raison d’être, et cela serait lié à la santé physique et mentale, selon plusieurs études.

En ce sens, une première piste de réflexion pour créer cet environnement renouvelé serait de permettre aux enseignants de renouer avec (et d’honorer) cet ikigai en misant sur les multiples facettes qu’ils apprécient de leur travail, en mettant en valeur leurs forces et leurs réalisations, puis en leur donnant la chance d’être en cohérence avec leurs valeurs et leur mission, le tout sans perdre de vue la perspective collective de l’équipe. Pour ce faire, il faudra aussi nécessairement recenser et lever les entraves qui se dressent sur leur chemin ; j’y reviendrai plus loin.

Délaisser l’abnégation

Au-delà de ces aspects de valorisation, il m’apparaît en outre essentiel d’encourager les enseignants dévoués à délaisser l’abnégation absolue, qui mène bien souvent à l’épuisement professionnel et au sentiment d’impuissance.

Les enseignants ne peuvent à eux seuls réparer un système brisé ! Il convient ainsi de rappeler l’importance de prendre soin de soi en apprenant à fixer ses limites, à viser un équilibre entre le travail et la vie personnelle, à avoir des attentes réalistes, puis à faire l’effort de voir et de célébrer ses succès, pour ne nommer que ces aspects.

Il ne s’agit pas là d’un défi facile à relever, mais il n’en constitue pas moins un atout majeur pour préserver sa santé. Cela dit, ce défi n’échappe pas non plus à l’influence du milieu et des conditions de travail, qui doivent absolument être considérés, de manière complémentaire.

Comme l’a signalé le Conseil supérieur de l’éducation dans les dernières années, au moins deux sujets majeurs devraient rapidement être pris en charge étant donné leurs effets extrêmement nocifs : l’école à trois vitesses et l’évaluation.

D’abord, bon nombre d’écrits soulignent que l’école à trois vitesses (systèmes privé, public et public sélectif) contribue à amplifier la ségrégation scolaire et les inégalités. Elle aurait notamment un effet important sur la composition des classes et nuirait aux chances de réussite de plusieurs élèves.

On peut comprendre qu’un gouvernement ne souhaite pas s’attaquer à ce problème majeur et tentaculaire, mais il n’en reste pas moins que cela s’avère essentiel. À cet effet, le collectif « École ensemble » propose un Plan pour un réseau scolaire commun qui m’apparaît des plus porteurs, considérant que bon nombre d’études plaident en faveur d’une plus grande mixité à l’école.

Revoir l’évaluation

En ce qui a trait à l’évaluation, l’importance (démesurée) qu’on accorde actuellement à sa fonction de sanction et de comparaison génère elle aussi de graves préjudices. Une concentration excessive est placée sur les examens ministériels, même au primaire, pour des fins de régulation du système et d’élaboration de tableau de bord visant à comparer une école ou l’autre.

Diverses études soulignent les conséquences désastreuses que peut avoir cette approche de l’évaluation sur le curriculum et non seulement sur la santé psychologique des élèves, mais aussi sur celle des enseignants, qui sont alors plus enclins à quitter la profession. Ainsi, comme le rappelle le Conseil supérieur de l’éducation, il est urgent d’opérer un changement de cap et de revaloriser plutôt une évaluation qui « compte vraiment », en étant au service de l’apprentissage des élèves.

Il s’agit là de deux aspects qui m’apparaissent prioritaires, mais ce ne sont pas les seuls à considérer pour améliorer le système. Dans leur étude menée auprès d’enseignants débutants, Desmeules et Hamel (2017) indiquent que les principaux motifs négatifs du décrochage des enseignants concernent la sécurité et la nature d’emploi, les conditions de travail, la santé physique et psychologique, le climat de travail, de même que la reconnaissance et la valorisation. Il y a là de nombreuses pistes sur lesquelles travailler !

Et là où des mesures de soutien existent (car je ne veux pas passer sous silence les immenses efforts faits par certains — mentors, directions d’établissement, conseillers pédagogiques, personnel des centres de services scolaires), des enseignants n’y ont pas toujours accès ou ne peuvent pas en bénéficier pour diverses raisons.

Pour d’autres pistes d’amélioration du système, à défaut d’états généraux sur l’éducation, des forums citoyens ont été organisés au cours des dernières années par le collectif « Debout pour l’école ».

Prendre soin de soi

Plusieurs centres de services scolaires ont dans leur Plan d’engagement vers la réussite des objectifs qui ciblent le bien-être des élèves. Il en est de même pour bon nombre d’écoles, qui visent également cet aspect dans leur projet éducatif.

Cela est bien sûr tout à fait louable, et l’on ne peut que s’en réjouir ! Cela dit, puisque de plus en plus d’études révèlent des liens entre le bien-être des élèves et celui du personnel scolaire qui les accompagne au quotidien, j’aimerais encourager ces milieux à considérer aussi le bien-être de leur personnel, si ce n’est pas déjà fait.

Et si nous allons collectivement vers ce type de changements, je nourris l’espoir que nous pourrons raviver la flamme de (trop) nombreux enseignants qui ont déserté la profession récemment. Pas en leur offrant des primes, mais plutôt en leur permettant de renouer avec leur ikigai, de retrouver le sens de leur travail, de s’épanouir et d’avoir les coudées franches pour changer vraiment des choses dans la vie de leurs élèves.

En dépit de l’adversité à laquelle ils ont dû faire face, nous devrions tout faire pour valoriser nos enseignants et leur donner les moyens pour réaliser les idéaux que nous chérissons pour notre système d’éducation et la société de demain. Cessons de rapiécer au moindre coût possible et tentons au moins de verser dans l’art du kintsugi, cet art japonais qui vise à réparer en sublimant.

Si vous côtoyez des enseignants, prenez le temps de les remercier pour ce qu’ils font, puis demandez-leur ce qui les motive et de quoi ils auraient besoin pour réaliser leur mission. Si vous êtes enseignants, je vous en prie, prenez le temps de vous arrêter pour prendre conscience de tout ce que vous accomplissez au quotidien (on oublie trop souvent de le faire !). Et de grâce, prenez soin de vous, ce n’est pas un luxe, mais une priorité ; nous avons besoin de vous !

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