«Boréaliser»: un pont forestier entre l’art et la science

Il y a quelques semaines, en lieu et place du numéro 64 de la revue Zinc, paraissait Boréaliser, un ouvrage collectif d’une centaine de pages que ses codirecteurs et codirectrices Jonathan Hope, Cassie Bérard, Catherine Cyr et Miguel Montoro Girona définissent comme « un projet interdisciplinaire réunissant des littéraires et des écologistes afin de construire un pont entre l’art et la science ». Une phrase de la romancière Catherine Leroux, citée dans le livre, aurait pu servir de sous-titre : « La forêt, c’est là où habite la littérature. »
Jonathan Hope, professeur au Département d’études littéraires de l’UQAM, explique que le recueil est le fruit d’un travail entrepris en 2021. « Avec plusieurs partenaires, à commencer par le Groupe de recherche en écologie de la MRC Abitibi de l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue, nous avons ouvert un chantier de création et de réflexion intitulé Réécrire la forêt boréale. L’objectif était de réunir autour de cette forêt, qui est à la fois immense et fragile, deux cohortes de chercheurs et de créateurs. Nous désirions procéder de manière pratique, concrète, à une co-construction du savoir. »

Les organisateurs ont alors émis le postulat qu’il y aurait, dans tous les textes générés par la recherche scientifique sur le terrain ou en laboratoire, qu’il s’agisse d’articles, de rapports, de protocoles, de courriels ou de demandes de subvention, un potentiel littéraire à développer. « Nous voulions inciter les scientifiques à assumer pleinement le geste d’écrire, explique Hope. Mais aussi pousser les littéraires à explorer l’univers des sciences de la forêt et les imaginaires de l’écologie, les enjoindre à plonger avec leurs outils dans les enjeux, notamment environnementaux, qui concernent la forêt boréale. Nous souhaitions, en somme, valoriser les savoir-faire des uns et des autres, expérimenter ensemble à partir de tout ça. »
Aller vers l’autre
À une époque où la pensée en vase clos se généralise, les universitaires ont osé opter pour le croisement, la rencontre improbable et la dépolarisation en organisant à Rouyn-Noranda, à Amos et à Montréal des ateliers, des discussions, des tables rondes et des lectures publiques. De ces excursions réelles et imaginaires en forêt ont émergé les neuf textes fort contrastés qui se sont taillé une place jusqu’au livre. D’abord accompagné par Marie Noëlle Blais, des Éditions du Quartz, une maison qui publie et diffuse des œuvres enracinées dans le territoire boréal, le projet a finalement été mené à bien grâce à Mélanie Vincelette, de la revue montréalaise Zinc.
Catherine Cyr, professeure au Département d’études littéraires de l’UQAM, tient à préciser que l’objectif des textes retenus n’est absolument pas de vulgariser la science. « C’est une véritable réécriture de la matière scientifique, explique-t-elle. La perspective littéraire permet de mobiliser une sensibilité aussi bien que des préoccupations formelles. Loin du discours universitaire, ou de ce qu’on pourrait considérer comme tel, l’écriture apparaît ici dans ce qu’elle peut avoir de plus libre, de plus créatif. »
En effet, qu’ils s’intéressent aux champignons, aux castors ou aux papillons, qu’ils s’interrogent sur les coupes, les incendies ou les épidémies d’insectes, Brigitte Léveillé, Erika Leblanc-Belval, David Paquette-Bélanger, Jonathan Cazabonne, Alexandre Côté-Perras et Simon Dansereau-Laberge ne se sont pas gênés pour entrelacer humour et gravité, création et théorie, poésie et données, témoignages et plaidoyers en faisant constamment dialoguer des œuvres artistiques et scientifiques de toutes sortes. À partir des faits, leurs prises de parole s’autorisent la subjectivité, l’imagination et la métaphore.
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Politiques environnementales
Le texte théâtral de Pierre-Olivier Gaumond aborde la question de l’efficacité contestée des bandes riveraines, une stratégie qui permettrait, selon certains, de filtrer la pollution, de contrer l’érosion et d’améliorer la qualité de l’eau. « J’ai inventé un personnage de chercheur slovaque qui présente une conférence lors d’un colloque, explique l’étudiant au doctorat en études littéraires. C’est ma manière de faire écho aux travaux de Michel Guimond, étudiant à la maîtrise en écologie forestière à l’UQAT, qui signe d’ailleurs lui aussi un texte dans le livre, une enquête dont le héros est un détective écologiste et, le crime, une coupe forestière survenue il y a 15 ou 20 ans. »
Les organisateurs nous apprennent que la deuxième édition de Réécrire la forêt boréale se prépare déjà et qu’il est fort probable qu’un ouvrage en découle une fois de plus. « Nous allons poursuivre en nous appuyant sur les mêmes principes, explique Catherine Cyr, mais en nous intéressant cette fois aux eskers, ces constructions qui se sont formées durant le retrait glaciaire. » « Fournissant de l’eau potable à toute la localité, précise Jonathan Hope, les eskers d’Amos sont d’anciens lits de rivières dont le gravier et le sable filtrent l’or bleu. Il y a, autour des eskers, des enjeux très importants, notamment politiques, dont on n’a pas fini d’entendre parler. »