Le «Boléro» de 2025

Jamais je n’ai enterré une année en poussant un tel soupir de soulagement tout en sachant très bien qu’il est minuit moins une au royaume des licornes à deux pattes. Peu importe, une fois les blagues « wokes » des partys de Noël digérées, après avoir déballé mon calendrier de pompiers 2024 (!) (« Désolé, momz, j’avais oublié de te l’offrir Noël dernier »), les pots de caramel à la fleur de sel distribués et le traditionnel soufflé aux marrons disparu, je me suis plongée dans des lectures légères comme L’orgie capitaliste de Marc Dugain ou Et Nietzsche a pleuré du Dr Irvin Yalom. À la moitié du livre, le philosophe allemand qui a viré fou à force de lucidité n’avait toujours pas pleuré.
Entécas, j’ai retenu que ce qui ne nous tue pas nous rend plus forts (ou fous) et j’ai pu constater que vous êtes plusieurs à avoir reçu le mémo. Je n’ai jamais lu autant de textes d’opinion et de commentaires divers sur l’état de crise actuel dans le monde.
Certains proposent d’entrer en résistance, d’autres suggèrent davantage de résilience et moins de déni, certains souhaitent nous réveiller de notre torpeur ou parlent de notre fracture avec la nature.
Peu importe, en 2025, il semble qu’il y a ceux qui ont reçu le mémo et se sentent d’attaque, ceux qui l’ont vu passer et fredonnent le Boléro de Ravel et ceux qui ne savent pas qu’il y a un mémo.
Pour le Boléro de Ravel, il dure 16 minutes et on en démarre un toutes les 15 minutes quelque part dans le monde. « Nous baignons sur la planète dans un Boléro perpétuel », affirmait le biographe de Ravel à France Culture en 2018. Ce ver d’oreille peut aussi rendre fou.
Le psychiatre français Christophe André explique dans une vidéo récente que le débat classique entre les tenants de l’action psychologique — la voie du réconfort et du repli sur soi quand le monde va mal — et les tenants de l’action politique — si tu veux la paix, prépare la guerre — peut donner mal à la tête : « Non seulement l’état du monde est inquiétant, mais en plus, nos réactions à son chevet sont désordonnées et contradictoires. » Nous sommes écartelés entre le piège de l’égoïsme et celui de l’anxiété généralisée. Se replier ou agir ?
Zoothérapie dans le tapis
Nous sommes nombreux à chercher des poignées de sagesse pour accueillir cette nouvelle année (et les prochaines), du genre « Espérez le meilleur, préparez-vous pour le pire ».
À cheval entre l’action psychologique et l’action politique, il y a la zoothérapie et l’adoption humanitaire. J’ai offert un chat à mon B pour Noël ; il était aux oiseaux. Nous sommes allés le choisir dimanche dernier à la SPCA. Ce qui reste en boutique ressemble à une urgence d’hôpital un 26 décembre.
Z’auriez dû voir fiston, la fibre du sauveur, pâmé devant n’importe quel félin de ruelle défoncé, de naissance nébuleuse et de fréquentations douteuses. Il a jeté son dévolu sur Donald, 3 ans. Si, si ! Quelqu’un a appelé ce matou avec une gueule de lutteur de MMA, porteur du FIV — le sida des minous — et aux oreilles « chipées » DONALD ! Pourquoi pas Elon ? ! J’étais aux abois, faute de mieux. Ce chat va nous apporter la guigne.
Le chat ronronne le présent. Le chat est toujours dans aujourd’hui.
Anyway, Adrien, le charmant Français spcéen qui nous accompagnait, nous aurait vendu une moufette nommée Chanel. Il ne trouvait que des qualités à Donald.
Ça s’est soldé par une adoption humanitaire à 100 $. J’ai cru que la SPCA nous payait pour le prendre, mais non, ce serait l’hôpital qui se fout de la charité.
Mon B en a profité pour essayer de me faire adopter par le Français des causes perdues (« Hey ! Google ça, man ! Elle a écrit Mon (jeune) amant français pis elle est célibataire ! ») ; je vous passe les détails ; il aurait peut-être fallu allonger 100 $, mais ce sont des moments de vie guillerets chassant la grisaille de janvier. En passant, il me semble avoir remarqué un beagle larmoyant dans une cage dorée. Il s’appelait Justin. Adoption humanitaire, assurément.
Fissa, nous avons rebaptisé Julot notre matou rescapé mi-décembre dans une ruelle d’Anjou. Et jamais voyou ne fut aussi heureux de débarquer sur le Plateau, la terre promise des julots avec un passé de pirate. Il ronronne depuis.
Y aurait-il une forme d’austérité à la fois hygiénique et confortable qui constituerait un drain contre les infiltrations successives susceptibles soit de me paralyser dans l’ahurissement d’une compassion stérile, soit de me hisser sur les cimes des meringues de l’indignation ?
Robustesse de la marge
Après avoir écouté une entrevue passionnante de deux heures avec Olivier Hamant, le souriant biologiste et chercheur français à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement de Lyon, je suis désormais convaincue que Julot est un survivant qui a plusieurs choses à nous enseigner.
Le biologiste interviewé sur la chaîne Thinkerview souligne que notre monde désormais secoué par le chaos, l’instabilité, les polycrises, l’imprévisibilité et les fluctuations le sera durant… deux siècles. On a le temps de se faire une camomille. « Quel que soit le scénario, ça va tanguer très fort », soutient le spécialiste de la robustesse du vivant. La robustesse permet d’éviter le choc, contrairement à la résilience qui s’y adapte.
Le vivant étant hétérogène, ce sont les plus polyvalents, flexibles et marginaux qui vont le moins souffrir et inventer les chemins de traverse : « Dans une nuée d’oiseaux, ce sont les oiseaux à la périphérie du groupe qui guident le groupe, parce qu’ils sont exposés aux fluctuations du monde. Les oiseaux au cœur du système sont aveugles. » Hamant observe que les systèmes chavirent par les marges, et tous les signaux précurseurs du basculement (prédits dans le rapport Meadows, club de Rome, en 1972) sont déjà en place. Le hic, c’est que les températures estivales actuelles notées dans l’Ouest canadien étaient prévues par les scientifiques pour 2100. On pourrait également penser à Los Angeles qui brûle actuellement.
La marge, c’est ce qui fait tenir les pages ensemble
Le chercheur rappelle qu’aucune extinction comme celle des insectes depuis 30 ans n’a eu lieu aussi rapidement dans l’histoire de la planète. Il souligne que nous vivons un moment exceptionnel de l’histoire et que les tissus sociaux et associatifs, la coopération et les « communs » vont nous permettre de mieux nous en sortir. Mais avec moins de joueurs…
Je ne sais pas pour vous, mais je préfère écouter les cassandres qui passent pour des adeptes de la collapsologie et adopter des matous miteux qui ont neuf vies. C’est peut-être moins sexy, mais la sagesse et la robustesse n’ont pas à porter de Dim-Up.
Je nous souhaite collectivement, en 2025, la vision large des oiseaux de la marge.
cherejoblo@ledevoir.com
Instagram : josee.blanchette
Envoyé le lien de l’entrevue avec le biologiste Olivier Hamant à quelques personnes qui n’écoutent pas Ravel. Thinkerview compte 1,23 million d’abonnés sur YouTube et donne la parole à une foule de penseurs, artistes, intellectuels, politiques, chercheurs, activistes. Cette entrevue de deux heures (les 30 premières minutes donnent une bonne idée du topo) m’a captivée. L’intervieweur — anonyme depuis les débuts — est informé, mais assez acide parfois.
Olivier Hamant suggère trois lectures à la fin : le rapport Meadows du club de Rome, Homo confort de l’anthropologue Stefano Boni (j’en ai parlé ici) et Rendre le monde indisponible, du sociologue et philosophe Hartmut Rosa.
Écouté la vidéo du Dr Christophe André sur l’action psychologique ou l’action politique sur France Inter.
Souri en écoutant cette vidéo sur les noms farfelus donnés aux animaux reçus au refuge de la SPCA, dont une perruche nommée « Spooky Pooky la Creatura » et le chat avec une dermatite aiguë « Croustade » ou le chien « Dix-sept ».
Remercié Alain, un lecteur, pour cette perle de sagesse transmise à ses élèves : « La preuve que les extraterrestres existent, c’est qu’ils ne nous ont pas contactés ! »
JOBLOG – 115 ans et toujours vivant
Le Devoir célèbre ses 115 ans aujourd’hui et j’y ai déjà signé un courrier du cœur durant deux ans et demi au tournant du siècle, « Chère Joblo », avant les applications de rencontre.
Je me suis amusée à lire quelques lettres envoyées à Colette Lesage, courriériste à La Presse de 1903 à 1956 et qui signait le « Courrier de Colette ». Tirés du livre Écris donc à Colette de l’historienne et archiviste Maude Savaria, ces échanges témoignent d’une époque, celle de mes grands-mères. Colette y répond plus largement aux questions entourant la domesticité, le travail, la famille, mais aussi sur le couple et l’amour, les fréquentations qui duraient deux ou trois ans. Colette fut la Janette de son temps.
Elle enjoint à une jeune femme de 18 ans de se dépêcher à trouver preneur « avant qu’elle n’ait perdu de son intérêt », mais Colette ne souscrit pas à l’idée de « vieille fille » à 25 ans, étant célibataire elle-même.
Bref, un livre qui nous fait prendre la mesure du chemin parcouru par les femmes du Québec de multiples façons. Je préfère de beaucoup maintenant, même si « c’était mieux avant ».
Ce texte fait partie de notre section Opinion, qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.