Une bibliothèque passive, ça chauffe quoi en hiver?

Des livres à la bibliothèque Le Prévost dans l'arrondissement de Villeray–Saint-Michel–Parc-Extension.
Photo: Valérian Mazataud Le Devoir Des livres à la bibliothèque Le Prévost dans l'arrondissement de Villeray–Saint-Michel–Parc-Extension.

Avis aux architectes : la future bibliothèque de Villeray devra se conformer à la certification PassivHaus, qui repose sur le chauffage solaire. Cela en fera normalement le premier édifice de la Ville de Montréal à atteindre ce graal de l’efficacité énergétique. Selon les experts consultés par Le Devoir, cette exigence ne gonfle en rien la facture (déjà salée) du projet. Au contraire, elle participe peut-être à la réduire.

Le mois dernier, la Ville de Montréal lançait un concours d’architecture pour une nouvelle bibliothèque remplaçant celle située dans le Patro Villeray, un centre communautaire de l’arrondissement de Villeray–Saint-Michel–Parc-Extension. Le projet, disposant d’un budget de 42,5 millions de dollars, comporte aussi le réaménagement du parc Le Prévost. Le bâtiment devra satisfaire à la norme allemande PassivHaus, encore méconnue au Québec.

Avec ses fenêtres orientées plein sud, un bâtiment « passif » s’abreuve de la lumière du soleil pour se chauffer en hiver. Son socle massif emmagasine l’énergie durant le jour. Enveloppé de fenêtres à triple vitrage et de murs très épais, le bâtiment bénéficie d’une isolation et d’une étanchéité sans pareil. En été, sa géométrie prévient la surchauffe en bloquant une partie du haut soleil de midi, et ses fenêtres ouvrables laissent libre cours à la ventilation naturelle.

« PassivHaus, c’est l’approche qui permet d’obtenir la meilleure performance énergétique, et de loin ! » estime Dominique Laroche, un architecte de la firme BGLA qui vient de signer le premier bâtiment institutionnel visant cette certification au Québec. Il s’agit de l’hôtel de ville de La Pêche, en Outaouais, inauguré en novembre 2024. Cet édifice de 1400 mètres carrés consomme 65 % moins d’énergie que la référence actuelle du Code du bâtiment. Grâce à ce choix, la municipalité économisera plus de 15 000 $ d’électricité par année.

Et le prix de construction ? À La Pêche, il s’élevait à 11,5 millions de dollars. Pas plus cher que celui d’un bâtiment traditionnel équivalent, selon M. Laroche. « Normalement, il n’y en a pas, de surcoût. En réalité, plusieurs facteurs [inhérents aux bâtiments passifs] peuvent réduire le coût de construction », ajoute l’architecte Lucie Langlois, cofondatrice de l’OBNL Bâtiment passif Québec et membre du jury du concours de la bibliothèque de Villeray.

Photo: Stéphane Brugger Le nouvel hôtel de ville écoénergétique de La Pêche a été inauguré en novembre 2024.

Parmi ces facteurs figure la géométrie « simple et compacte » des bâtiments passifs, explique Mme Langlois. Un édifice avec une toiture complexe, de multiples ailes et des porte-à-faux souffre de davantage de fuites thermiques. Ces éléments architecturaux onéreux sont donc à proscrire pour atteindre la norme PassivHaus. En outre, les bâtiments passifs ont besoin de systèmes de chauffage et de climatisation moins puissants. Une autre économie.

« Un bâtiment passif, ce n’est pas nécessairement plus cher », affirme aussi l’architecte Jennifer Paquette, coordonnatrice du développement durable chez Humà design + architecture. Sa firme, comme celle de M. Laroche, envisage de participer au concours de la bibliothèque Villeray. Arriver au résultat escompté ne sera pas du gâteau. La norme PassivHaus est « sévère » et il faut être « très rigoureux » dans la conception et la réalisation du projet, avertit Mme Paquette.

D’autres caractéristiques des bâtiments passifs tirent aussi les prix vers le haut. Pensons aux fenêtres hyperperformantes, qui sont essentielles. En outre, les architectes, les ingénieurs et les entrepreneurs ont encore peu d’expérience avec cette approche. « C’est sûr que quand on fait un premier projet, on sort des sentiers battus », précise Mme Langlois. Cela dit, le budget de la bibliothèque de Villeray — 42,5 millions — n’a rien d’exceptionnel dans une industrie de la construction dont les coûts ont explosé ces dernières années, selon M. Laroche.

Viser la sobriété énergétique

Pour l’instant, on ne compte qu’une poignée d’immeubles passifs au Québec, essentiellement dans le secteur résidentiel. Pour satisfaire à la norme PassivHaus, un bâtiment doit consommer au maximum 15 kilowattheures d’énergie par mètre carré, par année. C’est 12 fois moins que la maison québécoise moyenne. La norme pose aussi un critère sur l’étanchéité : par ses failles fortuites, le bâtiment doit subir moins de 0,6 changement d’air à l’heure. Pour assainir l’air, un échangeur d’air équipé d’un récupérateur de chaleur est essentiel.

Avec un bâtiment public, telle une bibliothèque, des difficultés particulières se posent. Il faut prendre en compte la chaleur humaine dégagée par les nombreux usagers pour prévenir la surchauffe, avertit M. Laroche. Mais surtout, les vestibules doivent être savamment conçus pour éviter les courants d’air vers l’extérieur. Autrement, le va-et-vient incessant des usagers de la bibliothèque va dilapider la chaleur en hiver. « Ce sera un grand défi », dit l’architecte.

La bibliothèque de Villeray sera le premier bâtiment municipal passif à Montréal, mais ne devrait pas être le dernier. Dans son Plan climat 2020-2030, la Ville se donne comme objectif de réaliser « environ 10 projets » de construction ou de rénovation selon l’approche passive. Avec ce projet, Montréal est « précurseure », salue Mme Langlois. « C’est intéressant qu’un donneur d’ouvrage public montre cette voie-là », dit celle qui a conçu la première maison PassivHaus au Québec, certifiée en 2018.

Dans la province, le faible coût de l’électricité ralentit probablement l’adhésion aux principes de la construction passive. Ailleurs dans le monde nordique, l’approche gagne en popularité. À Bruxelles, toutes les constructions neuves doivent se conformer au « standard passif » depuis 2015. Au Massachusetts, au moins 30 municipalités requièrent que les nouveaux bâtiments résidentiels multifamiliaux soient passifs, conformément au plus haut standard proposé par l’État en 2023.

Il faut que le Québec cesse de « tirer de la patte », soutient Mme Langlois. « On parle beaucoup d’énergie. C’est vrai que l’empreinte carbone du chauffage n’est pas un enjeu, chez nous. Mais si on veut électrifier les transports et exporter notre électricité, il faut viser la sobriété énergétique », dit-elle. Généraliser la norme passive au Québec dégagerait des dizaines de térawattheures d’économie d’énergie, équivalentes à plusieurs centrales hydroélectriques.

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