Le BAPE «préoccupé» par un nouveau pouvoir que le ministre de l’Environnement veut se donner

Le Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE) se dit « préoccupé » par la volonté du gouvernement Legault de se donner le droit d’autoriser des « travaux préalables » pour des projets, et ce, avant même l’évaluation environnementale. Cette nouvelle disposition risque de nuire à la « crédibilité » de tout le processus d’examen, prévient l’organisme dans un mémoire déposé dans le cadre des consultations sur le projet de loi 81.
Avec ce projet de loi actuellement à l’étude à l’Assemblée nationale, le gouvernement caquiste compte modifier les huit lois sous la responsabilité du ministère de l’Environnement du Québec. L’objectif est notamment d’accélérer l’évaluation environnementale des projets et devrait entraîner « des économies » pour les entreprises.
Le texte du projet de loi 81, intitulé « Loi modifiant diverses dispositions en matière d’environnement », prévoit la possibilité de « permettre que certains travaux préalables requis dans le cadre du projet soient entrepris ». Cette autorisation découlerait d’une recommandation du ministre de l’Environnement et elle serait accordée « dans le cas où un projet d’un ministère participe à l’atteinte des cibles gouvernementales en matière de lutte contre les changements climatiques ou relatives aux objectifs de la transition énergétique ».
Il ne précise toutefois pas de liste de projets dont il pourrait s’agir. Le cabinet du ministre de l’Environnement, Benoit Charette, a déjà évoqué cette possibilité « pour un projet hydroélectrique ou éolien, par exemple ». Il s’agirait toutefois « d’une mesure d’exception » soumise à « plusieurs conditions d’admissibilité », selon le bureau du ministre. Le gouvernement devra également juger que « l’intérêt public le justifie ».
« Préoccupé »
Dans un mémoire de 14 pages déposé dans le cadre des consultations particulières sur le projet de loi 81, le BAPE se dit cependant « préoccupé par le fait qu’une telle disposition permette au gouvernement de soustraire certaines composantes d’un projet à la procédure régulière et, éventuellement, à un examen public du BAPE ».
« Lors de ses activités d’information et de consultation sur le projet, le BAPE risque de se retrouver dans une position délicate devant un public qui remettrait en cause la légitimité de ses actions alors que certains travaux sont déjà en cours de réalisation. Cela pourrait affecter non seulement la crédibilité des processus d’information et de consultation publique, mais également celle de la Procédure dans son ensemble », fait valoir l’organisme chargé de piloter les audiences publiques qui font partie de la procédure d’évaluation environnementale en vigueur, en vue de formuler des recommandations au gouvernement.
Le BAPE estime donc que tout promoteur devrait dès le départ indiquer s’il souhaite demander « pareille soustraction », de façon que les citoyens puissent « émettre leurs observations et préoccupations », en vue d’un « compte rendu » qui serait produit par le BAPE. Cet organisme gouvernemental impartial « enquête et avise le gouvernement afin d’éclairer sa prise de décision » sur des projets et sur toute question relative à l’environnement que lui confie le ministre responsable de l’Environnement.
Multiplication des projets
On anticipe une croissance marquée des projets de production énergétique au Québec au cours des prochaines années. Cette augmentation est présentée comme un passage obligé dans un contexte de transition énergétique, et notamment pour alimenter des projets industriels et le parc automobile, qui est appelé à s’électrifier.
Dans le cadre de son « plan d’action » pour les dix années à venir, Hydro-Québec prévoit de « tripler la production » éolienne d’ici 2035 afin d’ajouter 10 000 mégawatts de nouvelles capacités dans cette filière. Les projets devraient donc se multiplier sur le territoire de la province.
La société d’État souhaite également construire « de nouvelles centrales » hydroélectriques, sans en préciser le nombre. L’idée d’un projet sur la rivière du Petit Mécatina, sur la Basse-Côte-Nord, a été évoquée, mais aucun projet concret n’a été annoncé jusqu’à présent.
Raccourcir les délais
Le projet de loi 81 doit par ailleurs permettre de raccourcir les évaluations environnementales de « quelques mois », selon le ministre Benoit Charette. Pour y parvenir, le gouvernement a choisi de modifier la procédure qui prévalait jusqu’à présent en éliminant l’étape de la « recevabilité » de l’étude d’impact, qui implique les experts de différents ministères, pour mettre en place un nouveau processus.
« Actuellement, les experts sont consultés à partir du dépôt de l’étude d’impact [au début de l’étape de la “recevabilité”]. Avec les modifications proposées, les experts seront consultés dès que la procédure sera amorcée, sur l’avis d’intention et la proposition de contenu d’étude d’impact que l’instigateur devra alors déposer. Les avis permettront au ministre de remettre à l’instigateur une directive d’étude d’impact propre au projet et au milieu envisagé pour sa réalisation », a déjà expliqué le ministère dans une réponse écrite au Devoir.
Avec cette nouvelle façon de faire, l’étude d’impact sera « plus complète », ce qui devrait accélérer le processus qui peut mener à un examen du Bureau d’audiences publiques sur l’environnement.