Élargir l’accès et rester vigilantes
Partout où les droits fondamentaux en matière de libre choix ont été gagnés de haute lutte, comme au Québec et au Canada, la posture de repli depuis l’invalidation de Roe v. Wade est celle de la vigilance. C’est sur un socle de méfiance et de prévoyance que la ministre des Relations internationales et de la Francophonie et ministre responsable de la Condition féminine, Martine Biron, a présenté lundi son Plan d’action gouvernemental sur l’accès à l’avortement 2024-2027. L’initiative est la bonne et embrasse tous les fronts où il faut encore agir pour que le Québec demeure un modèle.
Qui a dit que les droits étaient acquis ? Certainement pas les femmes américaines, dont les taux de mortalité ont déjà repris une tendance vers la hausse dans les États où les restrictions à l’avortement sont les plus strictes. Partout dans le monde, ce coup de tonnerre asséné par la frange majoritaire conservatrice de la Cour suprême des États-Unis a donné des frissons. Et si ça nous arrivait ? En ouverture du plan d’action, le premier ministre François Legault le souligne : « Nous avons parcouru un long chemin pour garantir ce droit, mais il est clair que nous devons rester vigilants. »
C’est sur ce terreau de vigilance bien sentie que la ministre Martine Biron avait lancé en 2023 une réflexion pour protéger le droit des femmes de disposer librement de leur corps et de poursuivre ou non une grossesse. Mme Biron a choisi la voie du plan d’action plutôt que celle d’une législation pour solidifier les acquis au Québec. Elle a fort bien fait, car les lois ont ceci de particulier qu’elles ont à dessein de protéger des droits, mais qu’elles peuvent être modifiées précisément à des fins contraires. Le vide juridique vaut mieux qu’une loi menacée par quelque gouvernement futur aux intentions malveillantes.
La ministre a présenté un plan en 28 mesures assorti de 7,5 millions à verser sur trois ans. La majeure partie de cette somme servira à construire un nouveau point de service d’avortement dans la région de la Capitale-Nationale, qui était fort mal pourvue en dépit de sa forte démographie. C’est sur l’accessibilité aux services que tous les tenants du modèle québécois avaient insisté, car il faut encore parfois parcourir plus de 50 km au Québec pour avoir accès à un centre offrant les services essentiels en matière d’interruption de grossesse. Une femme sur trois au Canada aura recours à un avortement, et la moitié des avortements seraient le résultat d’un échec de la méthode de contraception.
Les axes du plan sont pertinents : améliorer l’accès aux services, lutter contre la désinformation et bonifier l’information et l’accès aux méthodes de contraception. Les actions visant à contrer un vent de fausses informations nourries entre autres par les mouvements contre l’avortement — qui ne sont pas inactifs, loin de là — sont particulièrement judicieuses en cette ère de propagande sur des fronts ultraconservateurs. Fin octobre, le gouvernement Trudeau a aussi annoncé qu’il voulait mettre en place une mesure législative visant à exiger plus de transparence de la part d’organisations de bienfaisance qui, sous une fausse façade de clinique d’avortement, exercent au contraire sur les femmes des pressions anti-avortement. Leur financement serait conditionnel à la preuve de services visant réellement à soutenir les femmes dans l’exercice d’un libre choix.
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La vigilance prend tout son sens lorsqu’on sait que 40 % des élus sous la bannière du Parti conservateur de Pierre Poilievre ont des velléités anti-avortement. Et que, malgré le discours rassurant du chef, en coulisses, les députés n’ont pas raté une occasion de déposer qui une pétition, qui une motion, qui un projet de loi pour venir baliser les droits des foetus et, par ricochet, atteindre en plein coeur celui des femmes de disposer de leur corps comme elles l’entendent.
On a bien senti la volonté de la ministre Martine Biron de mieux faire connaître les vertus de la pilule abortive, que des professionnels de la santé autres que les médecins seront invités à prescrire (infirmières spécialisées, sages-femmes). C’est une bonne nouvelle, qui pourrait venir faciliter en partie les problèmes d’accès à des services médicaux d’interruption de grossesse. Depuis 2022, le Collège des médecins du Québec a révisé sa position sur l’accès à cette pilule, pour le rendre plus facile, en enlevant notamment l’obligation de formation pour les médecins, l’échographie pelvienne préalable et l’interdiction d’usage pour grossesses de plus de 63 jours. Un service de télésanté promis par la ministre d’ici 2027 pourrait permettre un accès simplifié. C’est de bon augure.
Mais c’est la concertation de l’ensemble des groupes autour de ce plan d’action qui constituera peut-être l’atout le plus précieux dont disposera le Québec, si effectivement ce plan fait consensus. Si la population, les organisations politiques, les groupes de défense des droits des femmes et les intervenants de première et de seconde ligne sont unis dans cette volonté de ne pas baisser la garde tout en améliorant l’accès à l’avortement et à une information juste, le Québec pourra conserver son statut de modèle.
Ce texte fait partie de notre section Opinion. Il s’agit d’un éditorial et, à ce titre, il reflète les valeurs et la position du Devoir telles que définies par son directeur en collégialité avec l’équipe éditoriale.